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indique Cæsaromagus comme la capitale des Bellovaquse. Beauvais, disent-ils, est incontestablement la ville que Ptolémée désigne par Cæsaromagus et qu'il donne pour le cheflieu du Beauvaisis. Or, Cæ saromagus ne peut être lui-même que Bratuspantium, dont César parle dans ses Commentaires, et qu'il indique comme étant la ville principale des Bellovaques. Donc Beauvais remplace Bratuspantium. Ce raisonnement pèche sous bien des rapports. Il est démontré, nous en convenons, que notre ville est bien celle que Ptolémée nomme Cæsaromagus dans sa géographie, et qui a pris par la suite le nom du peuple auquel elle appartenait. Mais est-il également prouvé que Bratuspantium ait été la capitale du Beauvaisis au moment de l'invasion des Romains? César ne le dit pas; il se contente de raconter que lorsqu'il amena son armée dans le Beauvaisis, les habitants de cette contrée s'étaient retirés dans leur oppidum de Bratuspantium exercitumque in Bellovacos duxit qui quum se suaque omnia in oppidum Bratuspantium contulissent, etc.» En admettant même, ce qui est plus probable, pour les raisons que nous donnerons dans la suite, que cet oppidum ait été en effet la place principale des Bellovaques, du temps de César, s'en suivrait-il qu'elle l'ait encore été à l'époque où écrivait le mathématicien Ptolémée, c'est-à-dire, vers la fin du second siècle de l'ère chrétienne? N'est-il pas possible que Cæsaromagus (1) soit devenu le chef-lieu du Beauvaisis, et qu'il ait même été bâti après la conquête. Ce qui me semble bien prouver qu'avant l'invasion des Romains la capitale des Bellovaques n'occupait pas la place qu'occupe actuellement Beauvais, qu'il n'y avait pas même alors dans cet emplacement, de ville, de forteresse ou de village tant

(1) Magus vient du mot gaulois Mag qui signifie grande demeure ou réunion d'habitations.

soit peu considérable, c'est que tandis que les démolitions, les fouilles et les terrassements que l'on a faits à Beauvais, à différentes époques ont procuré un grand nombre d'antiquités romaines; à peine y a-t-on rencontré quelques monnaies gauloises. Cambry, dans sa liste des objets d'art découverts à Beauvais, n'indique aucune monnaie, aucun monument de l'ère celtique. M. Graves, en énumérant les localités du département où l'on a recueilli des objets de l'art gaulois ne cite pas une seule fois la ville de Beauvais. J'ai vu moimême plusieurs collections d'antiquités trouvées dans notre ville depuis quarante ou cinquante ans, et je ne me rappelle pas y avoir rien remarqué qui ait appartenu aux Gaulois.

Une autre considération qui, à mon avis, ne permet point d'admettre que Bratuspantium ait existé dans l'emplacement actuel de Beauvais, c'est que César, en parlant de son départ de Bratuspantium, s'exprime ainsi : « Omnibus armis ex oppido collatis, ab eo loco in fines Ambianorum pervenit. Cette expression pervenit marque la brièveté du temps et de l'espace; elle indique ici que César eut à peine quitté l'oppidum des Bellovaques, qu'il parvint aussitôt sur la frontière des Ambianais. Or, les limites de l'Amiennois, même du côté du Crocq et de Cormeille, sont au moins à cinq ou six lieues de Beauvais, et il y a tout lieu de croire qu'elles étaient beaucoup plus reculées de ce côté au moment de la conquête. Le territoire de la cité ambianaise devait, en effet, avoir alors peu d'étendue, puisque les Bellovaques, dans la coalition des Belges, promirent 60,000 hommes d'élite, tandis que les Ambianais n'en purent mettre sur pied que 10,000 en tout.

Il nous reste maintenant à examiner la dernière opinion et à rechercher si l'on peut admettre que Bratuspantium existait dans la vallée de St.-Denis, entre Bauvoir, Vendeuil et Caply.

1o. Il est incontestable qu'il a existé dans cette vallée

une ville romaine très-importante. En effet, on y a découvert de tout temps et on y découvre encore chaque jour des vestiges de constructions romaines formées la plupart de grosses pierres appareillées et unies par des barres de fer, on n'y peut faire un pas sans voir des tessons de poteries rouges couvertes de bas-reliefs et de fragments de tuiles à rebords. On y a découvert un grand nombre de vases, de statuettes et d'instruments de fabrique romaine. On y a surtout trouvé une quantité prodigieuse de monnaies impériales en or, en argent et en bronze. Le duc de Sully, qui était propriétaire du château de Vendeuil, avait fait une magnifique collection d'objets recueillis dans la vallée de St.Denis. Cambry donne une longue liste de médailles que ce lieu lui a procurées, et il assure qu'il est impossible de se faire une idée de la multitude des vases de formes élégantes qu'on en a extraits en faisant des fouilles et qui lui ont été remis. Un grand nombre de cabinets de France, d'Allemagne et d'Angleterre se sont enrichis d'objets d'art provenant de ce même emplacement. D'ailleurs, autrefois, à l'époque où les terres commencent à se couvrir des premiers jets de la culture, on pouvait reconnaître à la couleur et à la hauteur des herbes, les emplacements des rues et des principaux édifices. « Les rues, les grands chemins, les amphithéâtres, les cirques se dessinent, à l'œil des curieux, dit l'auteur de la description du département de l'Oise; c'est une carte géographique à laquelle l'imagination ajoute quelque chose, mais dont l'homme le plus difficile à convaincre ne pourrait nier l'existence. » Louvet avait fait auparavant la même remarque. Il assure, dans son histoire du Beauvaisis (tom. 1er., p. (25), que « quand cette grande campagne est ensemencée en blé, on y reconnaît encore le compassement des rues où le blé est plus petit qu'aux lieux où les maisons étaient bâties. » A force de remuer le terrain, d'enlever les cailloux

et les restes des fondations, ces indices disparaissent de plus en plus. Cependant on voit maintenant encore au printemps des endroits où les blés sont plus courts et moins verts; il y a quelques années, le maire de Vendeuil me fit reconnaître à cette marque trois chemins ou trois rues fort longues, qui venaient aboutir au sommet du mont Catelet.

que

On rapporta à Cambry qu'à l'est de ce mont Catelet, il y avait eu autrefois une tour dont on trouvait encore quelques murs souterrains; qu'on avait fait des fouilles près de ces mais murs dans l'espoir de trouver un trésor, les ouvriers n'y travaillèrent pas long-temps, parce que les démons protecteurs des trésors chassaient les travailleurs, comblaient la nuit l'espace creusé pendant le jour, et faisaient entendre des cris lugubres, ce qui a fait donner à ce lieu le nom de fosse serpris, ou fosse aux esprits.

D'après l'auteur que nous venons de citer, la ville pouvait couvrir un espace de 600 arpens (1).

2o. Avant qu'il ait existé dans la vallée de St.-Denis une ville romaine, il y avait eu auparavant une ville gauloise; on ne saurait encore élever là dessus le moindre doute. Les monuments de l'art gaulois n'y sont pas, en effet, plus rares que les monuments de l'art romain; on les y trouve même plus abondamment. Déjà le père de Montfaucon, dans son ouvrage de l'antiquité expliquée, avait fait connaître qu'il avait ramassé une grande quantité de médailles gauloises qui avaient été trouvées en France et principalement à Breteuil, entre Beauvais et Amiens; que le plus grand nombre étaient d'un si mauvais goût que les curieux les rejetaient et ne voulaient pas leur donner place dans leurs cabinets. Il a di

(1) La ville de Beauvais, sans compter les faubourgs, n'a pas 200 arpens; l'ancienne enceinte de cette ville n'a que 10 hectares 40 ares, ce qui équivaut à peu près à vingt arpens; la ville entière n'est guère que huit fois plus grande.

visé en trois âges ou classes ces monnaies plus ou moins grossières et il en fait graver une planche entière. La liste que donne Cambry des médailles celtiques qu'il a recueillies à Breteuil est très-étendue. Ayant souvent accompagné mon père dans ses voyages archéologiques, je puis assurer que les cultivateurs des communes de Vendeuil, Caply et Beauvais, lui présentaient ordinairement beaucoup plus de monnaies gauloises que de monnaies romaines. Je possède encore une soixantaine de médailles gauloises la plupart barbares et grossières qui viennent de la vallée de St.-Denis. Cette localité m'a fourni des fragments de haches en silex.

3o. Nous pouvons encore regarder comme indubitable que cette ville gauloise était la plus forte et peut-être la seule du pays des Bellovaques; car nulle part ailleurs on n'a trouvé autant d'objets gaulois, nulle part ailleurs on n'en a trouvé sur une étendue aussi considérable.

4. Mais cette ville gauloise était-elle l'oppidum Bratus pantium dont parle César? Tout porte à le croire. Car en admettant que les Bellovaques aient eu plusieurs oppida, quoique César ne parle que d'un seul, n'est-il pas convenable de supposer qu'à l'approche d'un ennemi si puissant, ils se seront retirés dans la place qui était la plus importante et qui pouvait leur offrir plus de ressources et une défense plus certaine. Nous ne voyons pas pourquoi ils auraient choisi une autre forteresse; le chemin que César devait prendre en venant du Soissonnais ne pouvait les y déterminer.

L'hypothèse qui place Bratuspantium près de Breteuil se concilie parfaitement avec le passage des commentaires où il est dit que César ayant quitté Bratuspance parvint aux frontières des Ambianais; car Vendeuil n'est qu'à une forte lieue ou une lieue et demie de poste de la frontière de l'Amiennois, frontière très-bien marquée par une côte escarpée que

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