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deux secondes commençaient à paraître, et les deux dernières étaient à l'état de germe. La science fixe l'âge de ce sujet à 25 ou 30 mois. Ce quartier était le dortoir des jeunes enfants, une véritable crèche : il y en avait plusieurs couchés dans le même tombeau, comme dans le même lit, et je suis convaincu qu'il n'y avait pas là moins de six à huit petites créatures de l'àge d'un an à trois ans. S'ils appartenaient à la même famille, s'ils sont morts à une époque rapprochée, il faut convenir que ce petit coin de terre cache un des plus cruels mystères de la douleur antique. C'est une des pages les plus déchirantes de l'histoire de nos anciennes funérailles. Combien de larmes maternelles ont dû arroser ces frèles édifices que nous contemplons avec tant d'indifférence ou de curiosité.

Une tendre et pieuse affection entoura autrefois la dépouille à peine refroidie de ces petits êtres qui emportaient avec eux tant de joie et d'espérances. On s'en fera une juste idée en voyant le mobilier funèbre dont ils furent dotés par la main de leurs mères. Dans le tombeau supérieur, nous n'avons trouvé qu'un petit vase placé aux pieds (pl. 1, fig. 2); mais le second en renfermait quatre en terre grise, dont l'un formait une petite marmite à trois pieds (pl. 1, fig. 19); deux autres représentaient de petits trépieds (pl. 1, fig. 6, 7). C'était comme un ménage d'enfant auquel on avait ajouté un biberon de verre semblable à celui de Neuville-le-Pollet (pl. 1, fig. 44). Le nôtre était accompagné d'un fort bouton en os percé de trous, qui paraissait avoir été disposé pour servir de couvercle. Des cordons devaient rattacher ce bouton à l'anse usée par le frot

tement.

Dans le troisième, il y avait absence de vases, mais sous le plomb étaient des vertèbres, des côtes, des tibias et une màchoire inférieure. Aux pieds du même sujet, gisaient des morceaux de cuir ou de peau artistement découpés à jour 1.

'Dans le Précis analytique de l'Académie de Rouen, pour l'année 185152, M. Girardin a non-seulement analysé ce morceau de cuir, mais il l'a encore dessiné dans la planche Iv de ce recueil. Voici le résultat obtenu par notre savant chimiste :

C'est, dit-il, une matière animale azotée; car, par la calcination dans un tube, elle donne des vapeurs blanches, alcalines, d'une odeur de corne brûlée, de l'huile empyreumatique, et elle laisse un résidu noir charbonneux.

Elle se gonfle dans l'eau, mais n'abandonne rien à ce liquide froid. Par l'ébullition elle lui cède une substance organique, qui est précipitée par l'acide tannique et l'alcool.

Le quatrième renfermait, dans sa chemise de plomb, des ossements réduits en bouillie, un joli vase noir aux pieds (pl. 1, fig. 43, et quatre boules de verre émaillé de bleu, de vert et de blanc (pl. 1, fig. 36). C'est là qu'a été trouvée, sur le sein de l'enfant, une statuette en terre cuite, que nous prenons pour Latone ou Junon Lucine (pl. 1, fig. 60).

Le cinquième, rempli de terre, n'avait pas de plomb, mais il n'en était pas moins le plus riche en vaisselle enfantine. Les os des jambes y subsistaient encore. A leur extrémité, étaient un verre de cristal brisé en morceaux 2, une petite marmite en terre cuite, contenant un vase noir (pl. 1, fig. 17); un plateau gris (pl. 1, fig. 44, posé le long d'un tout petit pot rouge bosselé (pl. 1, fig. 16); un tonnelet de verre percé par un seul bout (pl. 1, fig. 51), une petite baguette de verre torse (pl. 1, fig. 38) et à tête plate, une épingle en os et quatre boules en verre blanc (pl. 1, fig. 36).

C'était toute une collection de joujoux d'enfant.

Un peu plus loin que les tombeaux, entre la maison d'habitation et l'ancien pressoir, devenu depuis une épuration d'huile (pl. 1, F.), je tentai un sondage qui, dès les premiers jours, rapporta plus de quinze ou seize vases funéraires. Il devenait évident que nous étions sur un cimetière romain de la plus haute importance. Je fouillai pendant quinze jours, je remuai environ soixante mètres carrés de terrain, et, dans toute cette L'alcool et l'éther sont sans action sur elle.

Elle se gonfle dans l'eau de potasse, la colore d'abord en jaune, puis en brun et finit par s'y dissoudre complètement.

D'après ces caractères, cette matière me paraît être de la peau non tannée. 1 M. Girardin ayant bien voulu analyser cette boule bleue, a obtenu le résultat suivant : « Cette boule, de la grosseur d'une aveline, offre à l'intérieur une teinte bleue-pale; elle est opaque et présente des indices de frottement comme si elle avait roulé long-temps sur le sol. Sa cassure est brillante et la pâte est criblée de petits trous; le centre est comme poreux, de sorte que l'intérieur de cette boule est à peu près comme celui des larmes bataviques. C'est un verre à base de chaux avec traces de fer et de magnésie, Ja matière colorante est de l'oxyde de cuivre ; c'est donc de la fritte d'Alexandrie qui a été employée comme couleur. »

2 Voici ce que M. Girardin a bien voulu nous dire de ce verre : • Се verre épais, blanc, légèrement opaque et d'une assez grande densité, m'a fourni, par l'analyse, du plomb en proportion marquée. C'est donc véritablement du cristal, analogue à celui que j'ai trouvé dans un cercueil galloromain de Quatre-Mares, et dont j'ai parlé dans mon premier Mémoire sur les Objets antiques (p. 12). » Cette nouvelle analyse confirme donc ce que jai annoncé en 1816, à savoir que les Romains fabriquaient le cristal.

étendue, les sépultures ne manquaient d'aucun côté; c'est nous qui les avons laissées beaucoup plus qu'elles ne nous ont quitté. Je reste convaincu que, entre la maison, le bureau et l'épuration, il y a toute une moisson antique à recueillir, tout un mobilier funèbre à déterrer, tout un musée céramique à monter. En effet, que ne peut-on espérer d'un champ funèbre de 40 mètres de long sur 25 de large, lorsque douze sur cinq ont produit près de deux cents objets antiques?

A Cany, les sépultures étaient beaucoup plus nombreuses qu'à Neuville, mais elles avaient moins de petits vases autour d'elles; un grand nombre consistaient tout simplement dans une urne en terre grise, ayant la forme de nos pot-au-feu (pl. 1, fig. 4, 9, 18, 23, 34). Ces urnes étaient couvertes avec des plateaux rouges (pl. 1, fig. 14, 15, 34, 35), et, le plus souvent, avec des assiettes noires ou grises (pl. 1, fig. 22. 23). Toutes étaient déposées sur un sol argileux, à 40 c. de l'ancien sol, à 60 ou 70 du sol actuel. Presque toutes étaient entourées de cailloux taillés, et recouvertes de morceaux de tuiles à rebords, les grandes urnes étaient remplies d'os brûlés, quelques-unes contenaient, avec les cendres, des verres, de petits vases et de petits flacons, et même jusqu'à de petites bouteilles.

Parfois les ossements étaient contenus dans des vases en verre. Parmi ces vases, les uns étaient pomiformes (pl. 1, fig. 49), d'autres en barillet (pl. 1, fig. 43); plusieurs étaient carrés, avec anses (pl. 1, fig. 46, 52), ou ronds comme un bocal d'apothicaire. Ces urnes délicates et distinguées se rencontrent toutes seules ou renfermées dans des jarres en terre. Alors les ossements étaient placés dans le verre, et le grand vase de terre n'était qu'un mortier chargé de cette vaisselle. Dans le plus grand de nos pot-au-feu, nous avons trouvé une urne de verre contenant des ossements brûlés, deux petits vases en terre, un petit vase et un trépied en terre grise; une autre fois, c'était une urne noire couverte d'un plateau rouge dont le nom du potier ne s'est pas laissé lire; dedans était une fiole de verre à deux compartiments (pl. 1, fig. 47).

A Neuville, douze ou quinze vases accompagnaient parfois l'urne principale; ici je n'en ai guère compté que cinq ou six au plus.

Le 23 avril, urne pleine d'ossements; elle était bouchée avec deux assiettes, l'une sur l'autre. L'assiette noire était cassée, mais la rouge était entière, bien conservée, d'une glaçure brillante et fraiche, avec l'estampille du potier PRIMVS. C'est

notre plus belle pièce de poterie. L'urne principale protégeait deux vases gris, placés l'un à droite, l'autre à gauche.

Le même jour, urne de verre, de forme ronde, avec une cruche vide (pl. 1, fig. 24) et un petit vase noir bosselé. Le soir, ce fut beaucoup mieux. Après avoir exhumé une urne en terre rougeâtre, vernissée à la mine de plomb, et remplie d'os brûlés, nous avons mis à découvert un joli verre blanc (pl. 1, fig. 48), une cuiller en bronze pour les parfums (pl. 1, fig. 58), deux boules de verre (pl. 1, fig. 36), quatorze perles de verre peint, de couleur verte, qui pouvaient avoir formé un bracelet de femme ou un collier d'enfant (pl. 1, fig. 40). C'était vraisemblablement une parure de femme, car, à côté, était une épingle, une fibule en bronze, dont la surface ronde avait été couverte d'émail, et une plaque de métal très-poli d'un côté et d'une forme à peu près carrée, que je prends pour un miroir . Enfin, venait une jolie clé en bronze, dans la forme la plus élégante qui ait été connue depuis, au moyen-âge (pl. 1, fig. 55). Elle était sans doute destinée à fermer le coffret de bois qui contenait tous ces précieux restes.

Une des journées les plus intéressantes fut celle du 4 mai, jour où M. Pottier vint nous visiter. On exhuma en sa présence deux sépultures des mieux conservées et des plus considérables. Comme toutes les autres, elles étaient entourées de silex taillés, de tuiles cassées et de clous oxydés.

Voici par quel procédé M. Girardin a été amené à reconnaître dans ce métal un miroir antique :

« Cette plaque jaune et brillante d'un côté, présente sur l'autre face une croûte verte se détachant facilement.

» Ce métal bien dépouillé de cet oxyde se laisse facilement attaquer par le couteau, et offre, dans les parties coupées, une surface jaune d'un brillant éclat; il se dissout rapidement dans l'acide azotique, en fournissant une poudre blanche; il ne renferme que du cuivre et de l'étain, sans aucune trace d'or ni d'argent; il n'y a également ni plomb, ni zinc, ni fer. Sur cent parties en poids l'alliage se compose de :

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» C'est un bronze analogue au métal des cloches et des cymbales.

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Quand à la croûte verdâtre qui recouvre une des faces de la plaque, c'est de l'oxyde d'étain ne contenant que des traces de carbonate de cuivre, avec quelque peu d'oxyde de plomb et de fer.

» Il est évident par là que cette plaque de bronze avait été étamée sur l'une de ses faces pour servir de miroir. »>

La première se composait d'une urne de verre pomiforme à large ouverture (pl. 1, fig. 49). Des urnes semblables ont été trouvées à Lisieux et à Neuville-le-Pollet. La nôtre, ici, était pleine d'ossements brûlés qui y sont encore, et d'une eau limpide que je crois le résultat des infiltrations du sol. L'urne était si bien fermée par un couvercle en terre, tout-à-fait semblable à ceux d'aujourd'hui (pl. 1, fig. 32), que pas un grain de poussière n'y avait pénétré. A côté, était un vase noir strié (pl. 1, fig. 12), contenant dans son sein un autre petit vase, l'abrégé de lui-même. Ils étaient presque vides; seulement au fond, on apercevait une terre grasse et glaiseuse; auprès, était une cruche vide qui paraissait avoir contenu un corps gras (pl. 1, fig. 26); puis, des garnitures de fer oxydé et des fioles de verre de forme allongée (pl. 1, fig. 27); ces fioles appelées LACRYMATOIRES, parce qu'elles s'allongent comme des larmes, sont communes dans les sépultures romaines, mais plutôt dans celles du Bas que dans celles du Haut-Empire.

La seconde sépulture, voisine de la première, était composée de six vases, dont un pot-au-feu de couleur grise, rempli de terre, dans lequel avait été placée une urne en verre de forme ronde, avec goulot et anse (pl. 1, fig. 18). Cette urne était remplie d'ossements brûlés; au-dessus de l'urne de verre était placé un verre à boire d'une pâte blanche comme du cristal (pl. 1, fig. 50); une assiette cassée avait été destinée à couvrir le tout. Sur les flancs de l'urne, avaient été déposés, comme accompagnement religieux, un petit pot en terre grise et un joli barillet de verre, ayant au-dessous ces trois lettres: F. R. O. séparées par des points (pl. 1, fig. 43).

Le monument le plus curieux que nous ait présenté cette fouille est la sépulture à ustion, découverte le 26 avril, à 86 centimètres du sol. C'était une petite construction en brique, d'une forme à peu près carrée, ayant 72 centimètres de long sur 60 de large (pl. 1, G). L'ouverture allait en se rétrécissant, le sommet paraît avoir été primitivement recouvert avec de gros cailloux que la pression avait refoulés jusqu'au cœur de la sépulture, au milieu des vases qu'ils devaient protéger. Les briques qui composaient ce monument funèbre avaient une forme particulière et tout-à-fait inconnue. Elles ne ressemblaient en rien aux briques romaines que l'on trouve dans tous les monuments de la Gaule et de l'Italie, à celles mêmes que nous voyons ici dans les tombeaux des enfants. Toutes les briques romaines, que nous avons vues jusqu'à présent, étaient

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