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ces indications pour des études ultérieures, mais nous qui ne pouvons tout explorer, nous ne saurions en tirer aucune conclusion utile pour notre sujet. Nous le regrettons profondément, et pour bien faire comprendre notre pensée, qui est celle de l'école moderne, nous terminerons cet article par les réflexions inspirées à M. Roach Smith, par de semblables faits arrivés en Angleterre. Ces réflexions s'adaptent merveilleusement à la France, et elles trouveront leur application tant en-deçà qu'au-delà de la Manche.

« Un des meilleurs signes de l'esprit judicieux avec lequel les recherches archéologiques sont dirigées de nos jours, c'est l'attention généralement donnée à la classification et aux traits caractéristiques qui déterminent l'arrangement des objets sous un point de vue spécial. C'est cette absence de classement, basée sur les faits, qui rend tant d'anciennes publications archéologiques comparativement médiocres et presque nulles aujourd'hui. C'est aussi à la même négligence que nous devons attribuer la stérilité scientifique dont se trouvent frappées une foule d'antiquités rassemblées dans nos Musées publics et particuliers. Dans quel ordre, en effet, pourrait-on classer des armoires et même des salles entières remplies des œuvres de l'art ancien, lorsque les collecteurs n'ont pas eu soin d'en indiquer la provenance, ni de nous dire comment et dans quelles circonstances elles ont été trouvées? Qu'il me soit permis de citer ici l'expression pleine de naïveté du vieux Hutton : « L'antiquaire, dit-il, attache du prix à un objet en raison de son authenticité. Une pièce de monnaie, qui ne vaut pas un schelling, produira vingt fois sa valeur intrinsèque quand on connaîtra son histoire; mais quelque grande que soit son antiquité, si son origine est obscure, sa valeur ne dépassera jamais le poids. » Douglas, dans ses Nenia Britannica, fut un des premiers à substituer les détails scrupuleux, une description précise et des illustrations nombreuses, à de vagues généralités et à des théories rarement appuyées sur les faits et plus rarement encore accompagnées de la reproduction des objets. C'est pour cela que son livre est un des plus utiles que nous possédions et que dans les matières qu'il traite il jouit de plus d'autorité qu'aucun autre. >>

Après ces observations, pleines de sagesse, il ne nous reste plus qu'un souhait à faire, c'est que l'esprit d'observation et de critique pénétre chez nous, comme il règne déjà chez nos voisins de l'Angleterre, de la Suisse, de l'Allemagne et même

du Danemark. La France n'est pas moins riche que l'antique Germanie, ni que la Grande-Bretagne. Les découvertes faites depuis quelques années, et sur quelques portions de son territoire, le prouvent surabondamment. Notre terre est féconde pour l'archéologie comme pour l'industrie et l'agriculture; il ne s'agit que de savoir la cultiver à propos. Puisse cet ouvrage, un des premiers dans son genre qui aient été publiés dans notre patrie, inspirer à nos compatriotes le goût des observations archéologiques, contribuer à propager parmi nous l'étude de l'antiquité nationale, et procurer quelques lumières à ceux qui seront appelés à juger, à conserver et à classer les productions de notre sol:

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CHAPITRE XXV.

DESCRIPTION DES MONNAIES FRANQUES TROUVÉES DANS LE CIMETIÈRE MÉROVINGIEN D'envermeu, prÉCÉDÉE DE CONSIDÉRATIONS HISTORIQUES SUR LES SYSTÈMES MONÉTAIRES En usage chez les Franks, AUX Ve ET VIe SIÈCLES.

Lettre de M. THOMAS, Avocat à Rouen,
à M. l'Abbé COCHET.

S

1, comme je vous l'écrivais l'année dernière, au sujet des triens par vous trouvés à Lucy, l'attribution de ces pièces appartenant à une classe nombreuse et bien connue, présente fréquemment certaines difficultés insolubles, votre précieuse découverte d'Envermeu soulève autour d'elle de bien autres obstacles.

Ici, en effet, l'incertitude n'est plus limitée à quelques points de détail, elle s'étend sur tous. Plus d'inductions fondées sur l'analogie des types ou du poids de monnaies du même ordre, plus de documents historiques : les éléments de comparaison manquent et les textes sont muets ou contradictoires, au moins en apparence.

Uniques vestiges d'une espèce de monnaie détruite par le temps (tempus edax), ces fragiles parcelles de métal ont d'autant plus de prix, à mes yeux, qu'elles nous révèlent l'existence, ignorée jusqu'à ce jour, de fractions monétaires des Franks nos ancêtres.

Vainement ai-je tenté, pour répondre plus tôt à votre désir, de me renfermer dans les principes généralement admis; le poids, le titre et les caractères variés de ces pièces s'y refusent et laissant entrevoir des bases nouvelles, me reportent invinciblement à l'origine commune du monnoyage des peuples

qui s'élevèrent, à la fin du ve siècle, sur les ruines de l'empire d'Occident.

Je ne me dissimule pas ce qu'il y a de téméraire de ma part, privé des ressources que Paris seul peut offrir, à traiter des matières aussi graves, où l'on éprouve, à chaque instant, le besoin de consulter soit des monnaies soit des textes qui me manquent, mais il ne m'est pas permis d'hésiter. Je vous ai promis de mettre en lumière ces témoins d'un autre âge, si heureusement exhumés par vous, et de fâcheux indices d'altération progressive m'imposent le devoir d'accomplir cette mission sans retard, la numismatique étant le plus sûr et l'un des plus puissants auxiliaires de l'histoire.

En abordant un sujet où je ne puis éviter de heurter les opinions émises par des hommes dont nul plus que moi ne respecte le talent éprouvé et les vastes connaissances, est-il nécessaire de dire que l'intérêt de la science pouvait seul me déterminer à entrer dans la lice après eux?

Mon travail se ressentira certainement des conditions dans lesquelles il est entrepris, je ne saurais donc donner à mes savants devanciers une plus haute marque d'estime qu'en rouvrant ainsi un débat dans lequel ils seront à la fois juges et parties.

Je ne regretterai pas les erreurs que je m'expose à commettre, si, en appelant la discussion, elles font naître la lumière, but unique de mes recherches.

Avant de vous engager avec moi dans cette exploration d'un passé, déjà bien éloigné de nous, il convient de fixer notre point de départ, puis de vous tracer notre itinéraire. La route vous étant connue vous paraîtra peut-être moins aride, et, à coup sûr, moins longue.

BASES DU SYSTÈME MONÉTAIRE MÉROVINGIen les plus gÉNÉRALEMENT ADMISES AUJOURD'HUI.

Monnaies réelles en usage dans toute l'étendue de la monarchie. Le sol, solidus, poids diversement évalué 1, 72, 83, 84 ou 85 grains 4/3.

OR

Valeur en deniers.

Le demi-sol, semis,

Le tiers de sol, tremis ou triens,

40

val' en rapport avec l'unité

Tous les poids indiqués dans cette notice se réfèrent à l'ancien poids de marc de Paris, suivant l'usage établi. La livre romaine, conservée par les Mérovingiens, se composait de 12 onces, valant 6,144 grains du poids de marc, ou 0 kil. 326337.

ARGENT. Le denier, denarius ou saïga, poids, 20 grains 48/100mes ou 21 grains.

Rapport de valeur entre l'or et l'argent,

Uniforme comme l'usage des monnaies, et subordonné dèslors aux poids différents attribués à ces monnaies.

Monnaie, soit réelle, soit de compte 1 seulement,

D'un emploi commun à tous les peuples soumis aux rois mérovingiens, ou restreint aux Franks Ripuaires, aux Allemands et aux Bavarois, et enfin général ou exceptionnel chez ces mêmes peuples, selon différentes autorités.

Le sol d'argent, solidus, inconnu en nature.

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Ainsi, une seule espèce de deniers, désignée sous la double dénomination denarius ou saïga, et deux espèces de sols, dont l'une d'or, valant 40 deniers, et l'autre d'argent, valant 42 deniers, ou les 3/10mes du sol d'or, tel est le cercle dans lequel la discussion a constamment tourné depuis Leblanc 2, et hors duquel je vous invite à m'accompagner.

Après un coup-d'œil sur le monnoyage romain, nous pénètrerons dans la Gaule, et guidés par nos observations, appuyés sur les monnaies et sur les textes, nous tenterons d'y reconstituer sur leurs bases primitives, les systèmes monétaires des Mérovingiens.

Puis, déduisant des points que nous aurons établis, l'exis

En termes généraux, la monnaie réelle est celle qui circule en nature, et la monnaie de comple, au contraire, n'a qu'une existence fictive. Mais il faut observer que la même monnaie peut être à la fois réelle et de comple. Il peut aussi exister simultanément des monnaies de compte d'un usage général et d'autres d'un usage particulier. Au siècle dernier, la livre tournois, monnaie fictive, était la principale monnaie de compte en France, et l'écu de 3 livres était à la fois monnaie réelle et monnaie de compte exceptionnelle. Le franc, aujourd'hui notre monnaie de compte générale, est en même temps monnaie réelle, tandis que la pistole, encore en usage dans nos campagnes, est une monnaie de compte purement fictive, et très-exceptionnelle, indice accusateur du vieux levain de la Ligue à la fin du XVIe siècle.

Réelle ou fictive, la monnaie de compte générale est le pivot de tout système monétaire, et elle est de la plus haute importance dans le sujet qui nous occupe, toutes les amendes et compositions étant formulées dans les lois en monnaie de compte, sauf le très-petit nombre de cas où il s'agit de valeurs au-dessous de l'unité de compte.

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2 Leblanc, Traité des Monnaies de France, Paris, 1690. - Voir les savantes dissertations publiées sur cette matière, dans la Revue numismatique, 1836-1839.

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