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de ce temps, tout était libre et individuel. Je n'ai vu cette remarque faite nulle part, mais je suis convaincu qu'aucun fait ne viendra la démentir ni qu'aucun archéologue instruit ne la contredira.

Il est possible que la lance fût l'arme de la jeunesse et que les petites indiquassent des guerriers nouveaux et inexpérimentés. En effet, celles que l'on trouve avec les haches ont des dimensions considérables.

La feuille de la lance était généralement étroite, parmi nous elle affectait habituellement la forme d'une barre de fer taillée en losange (pl. vii, fig. 6, 4; pl. x1, fig. 6, 35). Quelques-unes sans doute étaient aplaties, mais c'était le moindre nombre (pl. vii, fig. 2).

Les plus curieuses que nous ayons rencontrées étaient les lances munies d'oreilles ou de crochets à l'entrée de la douille

(pl. vii, fig. 5). Ces types gracieux étaient assez rares. Nous n'en avons vu que deux à Londinières, un à Douvrend, un à Lucy et autant à Neufchâtel. Je ne me souviens pas qu'il en ait été trouvé à Envermeu. Celle de Lucy était lourde, pesante et grossière. Un moment j'avais pensé qu'on pouvait appliquer à ces lances ce qu'Agathias rapporte de l'angon dont se servaient nos pères : « Ces angons, dit cet historien, sont des lances de fer dont le haut est pointu, tandis que le bas est muni de crochets recourbés comme des hameçons. Dans la mêlée le soldat franc jette cet angon. » Je dois ajouter que les antiquaires anglais contestent cette application, que je laisse pour ce qu'elle vaut, que je suis même disposé à abandonner, comme on le verra à propos d'Envermeu 1.

Quoi qu'il en soit, il paraît bien, par le témoignage de l'histoire et de l'archéologie, que les Francs, les Burgondes, les Saxons ainsi que les Germains, leurs pères communs, faisaient grand

1

M. Wylie, Remarks on the angon or barbed javelin of the Franks, London, Nichols, 1853. - Archeologia, vol. xxxv.

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usage de la lance. Tacite nous apprend que de son temps, en Germanie, un chef de famille ou de tribu donnait solennellement la framée à un jeune homme, et que cette cérémonie répondait à peu près à celle de la prétexte chez les Romains. Aussi trouve-t-on fréquemment la lance dans tous les tombeaux des Germains, témoin les sépultures de Xanten, racontées par M. Philippe Houben, et celles de Selzen, étudiées par MM. Lindenschmit. Le cabinet de M. Baudot, à Dijon, est rempli de fers de lance de toute espèce. Le tombeau de Childéric nous en a fourni une absolument semblable aux nôtres; Bénouville-sur-Orne en a donné un bon nombre, ainsi que Miséry, dans la Somme. Les ouvrages anglais de MM. Néville, Wylie, Thomas Wright, Akerman et Roach Smith sont remplis de lances de toutes formes et de toutes dimensions. Les Musées de Rouen 1, de Beauvais et d'Amiens, les collections du Louvre et de la Bibliothèque impériale, le Musée britannique et les nombreux cabinets de l'Angleterre possèdent tous des assortiments complets de lances de toutes les tailles et de toutes les formes.

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FERS DE FLECHES. Comme diminutif de la lance, comme dernière arme aggressive, nous devons citer, à Londinières, plusieurs fers de flèches trouvés dans la fouille de 1850. On en a rencontré également cinq ou six à Douvrend, en 1838, et autant à Envermeu en 1850. Quatre de celles d'Envermeu formaient un seul groupe; chacune d'elles étant d'une forme différente et fort curieuse (pl. xiv, fig. 6 et 7,- pl. xvi, fig. 5). C'est une chose digne de remarque qu'à la butte des Gargans M. Moutié ait trouvé cinq flèches ensemble, et qu'à Charnay, en 1832, M. Baudot en a rencontré aussi par paquets de deux et de quatre, comme s'il se fût agi de la provision d'un carquois enterré avec le mort et dont le temps aurait détruit jusqu'à la trace. Les fers de flèches, figurés par MM. Lindenschmit, sont placés entre les jambes des morts et ils paraissent en avoir encore reconnu la hampe en bois. Chez nous il ne restait absolu

Les lances de la vallée de l'Eaulne sont déposées dans diverses collections publiques. Le Musée de Rouen en possède la plus grande et la plus belle partie; il y en a quelques-unes à la bibliothèque de Neufchâtel, provenant de Londinières et de Parfondeval; celles de Douvrend ont été recueillies à la bibliothèque de Dieppe; plusieurs sont à Caen dans la collection de la Société des Antiquaires de Normandie, qui a fait les frais d'une fouille en 1851. Avec la permission de M. le préfet, j'en ai déposé six au Musée d'artillerie et autant à celui du Louvre.

ment que l'armature en fer. Parmi les fers de flèche que nous avons vus chez M. Baudot, plusieurs étaient barbelés, caractère qui s'est reproduit sur un des dards trouvés à Envermeu, c'est à ce dard barbelé que les antiquaires anglais sont disposés à appliquer ce qu'Agathias dit de l'angon des Francs.

LE BOUCLIER. L'objet le plus curieux que nous ait fourni le cimetière mérovingien de Londinières, c'est un bouclier de fer trouvé en 1852. S'il ne s'était rencontré que l'umbo, l'intérêt ne serait qu'ordinaire, non-seulement parce qu'il en a été trouvé de semblables à Envermeu, en 1850 (pl. xi, fig. 46) et en 1853 (pl. xvi, fig. 4 et 2), mais aussi parce qu'on en a déterré d'autres en plusieurs endroits de France, d'Allemagne et d'Angleterre. MM. Lindenschmit en figurent deux dans leurs sépultures germaniques de Selzen 1. M. Wylie en a trouvé douze dans les tombeaux saxons de Fairford 2; les << Collectanea antiqua» de M. Roach Smith, en représentent quatre trouvés à Ozingell, dans le Kent 3, et déjà « l'Archeologia » en avait reproduit d'autres, ainsi que le « Journal of the British Archeological association. » M. Baudot, de Dijon, nous en a montré cinq provenant de Charnay (Saône-et-Loire).

M. Rigollot, dans les Mémoires de la Société des Antiquaires de Picardie 4, » décrit un bouclier de fer trouvé à Miséry, dans la Somme, dont l'umbo et l'appendice étaient revêtus d'une lame d'argent doré, sur laquelle était estampillé le nom de l'orfèvre. Enfin le savant Schoepfelin, de Strasbourg, avait, dès 1740, recueilli un umbo de bouclier franc, dans un tombeau trouvé à une lieue de Verdun, sur la voie publique, non loin de la Meuse. M. Oberlin, qui a publié cette pièce, la regarde à tort comme le sommet d'un casque 5.

Mais tous ces boucliers, qu'ils soient conservés dans des collections, ou qu'ils soient représentés dans différents ouvrages, n'ont guères fourni que leurs umbos aux études de l'antiquaire. Du moins les artistes ne nous ont reproduit que cette partie solide et importante de l'armure. Un des quatre boucliers d'Ozingell possède sa poignée reproduite par M. Smith 6. On y voit le creux où l'on plaçait la main et les

1

Das Germanische todtenlager bei Selzen, planche 7 et planche générale.

2 Fairford graves, in-8o, Oxford, 1852.

3 Collect. antiq., vol. III, part. I, plate II.

4 Tome x, p. 220.

› Museum Schoepfelini. t. 1, p. 143-44, pl. xv1, in-4o, Argentorati, 1773. 'Collect. antiq., pl. 111, part. I, plate 11, fig. 5 et 6.

deux clous qui attachaient cette traverse à l'umbo. Cette espèce de manipule paraît complet, ainsi que ceux que j'ai vus chez M. Baudot, de Dijon. J'en dirai tout autant du bouclier de Selzen, figuré planche 7; on n'y remarque guère qu'un brassard ou un manipule plus ou moins compliqué. Cependant chez M. Baudot j'ai remarqué une branche de fer destinée à soutenir le cercle de l'appendice; mais je crois que cette verge est unique.

Cette dernière particularité s'est également reproduite à Envermeu en 1853. Car si le bouclier de 1850 ne nous a donné que l'umbo et son manipule, celui de 1853 avait, outre ces deux pièces, une verge unique, qui partant de chaque bout du manipule s'avançait en dehors de l'umbo à la distance de 15 c. d'un côté et de 17 de l'autre. La longueur totale de la verge et du manipule, formant garniture, était de 50 c. Mais nous devons ajouter qu'elle était cassée par les deux bouts (pl. xvi, fig. 1 et 2).

Ce qui rend le bouclier de Londinières si intéressant, c'est l'armature de fer qui l'accompagne (voir planche VI). Cette armature est complète et si quelques parties ne sont pas entières, celles qui restent peuvent aisément en donner l'idée et les faire suppléer. Cette armature, composée tout d'une pièce, présente au centre une lame de fer ployée en creux, mais non entièrement fermée (pl. vin, fig. 3). Cette ouverture est ménagée pour la main du guerrier; et, tandis que la paume saisissait le dos de la plaque, les doigts pénétraient dans l'ouverture et s'y tenaient fortement accrochés. Cette lame de fer était fixée sur les bords de l'umbo au moyen de clous dont les têtes plates étaient encore très-visibles (pl. vi, fig. 2). Le côté convexe était en dehors de l'umbo (pl. vi, fig. 3), et la partie concave regardait le dedans (pl. vш, fig. 2); mais à partir des deux clous le manche de fer se partageait de chaque côté en trois verges plates terminées par un petit rond au milieu duquel passait un clou (pl. vin, fig. 2 et 3). Ce faisceau de verges imite assez le foudre tel qu'on le représente dans les mains de Jupiter ou sous les serres de l'aigle antique. Ce double. faisceau servait à soutenir d'un côté la planchette de bois qui formait l'appendice du bouclier et de l'autre le cuir ou la peau qui recouvrait le bois. La planche de bois, encore très-reconnaissable, nous a laissé juger son épaisseur entre les têtes de clous et le rond placé à l'extrémité des verges. Cette épaisseur était juste d'un centimètre.

Maintenant cette planche avait-elle la forme ronde ou la forme ovale? c'est ce que nous ne pouvons savoir. M. Smith en figurant un des boucliers d'Ozingell, ne balance pas de décrire autour de lui une forme circulaire pour indiquer que l'appendice était rond. Cependant notre armature de fer laisse soupçonner que celui de Londinières avait peut-être la forme elliptique, comme on le vit plus tard sur les écus des chevaliers du moyen-âge. Le bouclier d'Envermeu, qui n'avait qu'une seule verge transversale, fait aussi présumer la forme elliptique. Un dessin de soldats romains de la xxe légion, reproduit par Buonarroti, donne aux boucliers une forme généralement allongée. Nous remarquons ce même caractère sur un fragment de vase à relief trouvé dans les ruines romaines de Vichy, représentant un gladiateur armé d'une main d'un glaive et de l'autre d'un bouclier ovale. Le célèbre Winkelman, dans ses Monuments inédits, figure des gladiateurs tenant de petits boucliers ovales 1.

La miniature anglo-saxonne, du Ixe siècle, dont nous avons déjà parlé à propos des fibules, figure plusieurs soldats tenant. à la main des boucliers convexes, dont la forme paraît légèrement allongée 2. En tout cas, nous laissons aux savants le soin de décider cette question.

La longueur totale de l'armature de notre bouclier de Londinières, était de 50 c. Le diamètre de l'umbo n'était que de 17; sa hauteur de 14 à 12.

Maintenant on nous demandera peut-être d'indiquer le lieu où se trouvait placé le bouclier, objet de cette notice. Malheureusement nous ne pouvons le dire, nous n'étions pas présent au moment de la découverte, et l'ouvrier, fort peu intelligent, n'a pu rien nous apprendre de satisfaisant à ce sujet. Il en a été de même à Envermeu, en 1850. L'umbo a été trouvé en notre absence. Mais ici l'ouvrier nous a affirmé qu'il l'avait rencontré non loin de la tête. Nous y étant transporté une heure après, nous avons tout lieu de croire à la vérité de son assertion.

Les différents ouvrages que nous possédons sur les sépultures des temps mérovingiens, nous représentent trois boucliers, tous trois à des places différentes. M. Roach Smith, dans les sépultures saxonnes d'Ozingell, qui n'ont pas été fouillées par lui, montre le squelette ayant sa lance au côté droit, son vase

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