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ture de Notre-Dame, peinte à fresque dans la cathédrale de Prato, et que M. Rio nous raconte avec une entraînante sympathie; enfin le grand Orgagna, qui a mérité d'être appelé le Michel-Ange de son siècle, à cause de sa suprématie simultanée dans la peinture, la sculpture et l'architecture, mais avec cette différence qu'il a toujours été aussi chrétien dans ses œuvres que Michel-Ange a été païen, et qu'il a ouvert dans l'art une ère de pure et pieuse beauté, tandis que Michel-Ange en ouvrit une d'exagération anatomique et de décadence morale. Son Triomphe de la Mort au Campo-Santo de Pise, et son Paradis à Sainte-Marie-Novella, compteront toujours parmi les chefs-d'œuvre de la peinture chrétienne, et se distinguent surtout par une intensité d'expression, comme dit fort heureusement M. Rio, que nul n'avait encore atteinte à un si haut point. Ce chapitre se termine par un résumé des progrès faits par la peinture jusqu'alors, et des principaux traits qui caractérisent cette période. L'éloignement pour toutes les traditions grecques s'est de plus 1 s'est de plus en plus enraciné. Les sujets mystiques sont exclusivement cultivés, le goût pour les sujets dramatiques ne s'étant pas encore annoncé, selon M. Rio; et cependant nous ne savons trop ce qu'il peut y avoir de plus dramatique, dans le meilleur sens du mot, que les différentes époques de la vie de Notre-Seigneur, de NotreDame et le Jugement dernier, répétés si fréquemment par les peintres de cette époque. L'histoire de saint François est aussi exploitée avec un amour tout particulier; cela a été le

M. Rio cite comme preuve remarquable de cette antipathie, que jamais les Pères de l'Église grecque n'ont été mêlés aux Pères de l'Église latine, qui faisaient presque de droit partie de toutes les grandes fresques. Presque toutes nos recherches ont confirmé la vérité de cette observation; nous n'avons vu qu'un seul exemple de cette union, mais en assez bon lieu pour mériter d'étre noté. C'est à la chapelle Saint-Laurent du Vatican, où le bienheureux Angélique a représenté saint Athanase et saint Jean Chrysostome comme pendants de saint Léon et de saint Grégoire le Grand.

privilége perpétuel de ce grand saint; mais nous ne pouvons admettre avec l'auteur que la préférence donnée à cette histoire sur celle de saint Dominique tienne à la différence originelle de leurs deux institutions. Quand on voit les délicieuses peintures que le dominicain Fra Angelico de Fiesole a consacrées au père de son ordre à Cortone, et sur le gradino de son couronnement de la Vierge au Louvre, on peut bien admettre que la vie de saint Dominique prêtait autant que celle de saint François aux inspirations de la peinture chrétienne; et d'ailleurs, comment se fait-il que l'ordre des Frères Prêcheurs ait produit tant de grands artistes, et du premier rang, tels que Fra Angelico et Fra Bartolommeo, tandis que le nombre de ceux sortis des Frères Mineurs est infiniment moindre? Nous avouons que nous sommes jaloux de la moindre parcelle de la gloire de saint Dominique, surtout depuis que nous l'avons entendu traiter de profond scélérat par un célèbre député, membre de l'Académie française.

Dès cette époque primitive l'art, qui avait son foyer à Florence, rayonnait au loin; de toutes les parties de l'Italie une foule d'artistes venaient étudier à Florence : une touchante confraternité s'établit entre eux; elle avait pour base l'esprit exclusivement chrétien de leurs travaux. « Nous autres peintres,» disait Buffalmacco, élève de Giotto, «< nous ne nous occupons d'autre chose que de faire des saints et des saintes sur les murs et les autels, afin que, par ce moyen, les hommes, au grand dépit des démons, soient plus portés à la vertu et à la piété. » Aussi, dans la première académie de peinture dont l'histoire fasse mention, la confrérie de SaintLuc fondée en 1350, les membres s'assemblaient, non pour se communiquer leurs découvertes ou délibérer sur l'adoption de nouvelles méthodes, mais tout simplement pour

chanter les louanges de Dieu et lui rendre des actions de grâces.

L'âme sincèrement et logiquement catholique se repose avec délices sur cette époque si belle et si pure, où rien ne vient ternir l'éclat de la jeune parure dont la religion. vêtait le monde, où tout ce qui ornait et charmait la vie de l'homme lui rappelait le ciel. M. Rio a compris la beauté et l'unité de cette époque dans la partie qui a été l'objet de ses études si nous avons un reproche à lui faire, ce serait de n'avoir pas assez insisté sur cette période de son ouvrage, de nous avoir privés de bien des détails précieux, d'avoir omis quelques peintres dignes d'ètre appréciés par lui, tels que Gherardo Starnina', beaucoup trop sévèrement jugé dans un chapitre subséquent, et Nicolas di Pietro 2; mais peutêtre ces défauts seront-ils justement des qualités aux yeux d'autres moins ardents et moins exclusifs que nous, dans notre amour pour l'art purement catholique et tel qu'il était avant le mélange de tout autre élément inférieur. Dans tous les cas, M. Rio a la gloire incontestable d'avoir mieux jugé et mieux loué cette glorieuse richesse de notre foi qu'aucun autre écrivain français, et c'est une gloire dont il lui sera chaque jour tenu plus de compte.

Dès la seconde période de l'école florentine, que les chapitres IV et V nous exposent, l'unité a cessé. La résurrection du paganisme, qui équivalait à celle du matérialisme, voilà, comme M. Rio le reconnaît, le germe de cette décadence qui se développe lentement et à l'ombre, pendant que la peinture

M. Rio paraît avoir oublié qu'il peignit les quatre évangélistes à la voûte de la chapelle latérale du transept méridional de Santa-Croce.

2 Auteur des admirables fresques de la passion de Notre-Seigneur, au cou vent de San-Francesco à Pise. Jamais sainte Madeleine n'a été représentée avec plus de génie chrétien. Ce chef-d'œuvre a été gravé au trait par le cav. Lasinio.

Euvres. VI. - Art et Littérature.

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marchera à sa perfection. On en trouve des symptômes manifestes chez Paolo Uccello (mort en 1423), qui ne voyait dans la peinture d'autre beauté que la perspective, et à qui les Médicis firent peindre des animaux dans leurs palais; première marque de la protection accordée par cette famille à l'art, et digne symbole de ce funeste patronage. Un autre peintre, nommé Dello, alla peindre des sujets mythologiques pour le roi d'Espagne. La peinture devenant peu à peu tributaire du pédantisme classique et du luxe des banquiers, un nouvel élément de décadence, celui du naturalisme, s'y introduit par l'usage profane de multiplier les portraits dans les tableaux de piété, en donnant les traits d'un protecteur ou d'un ami vivant aux personnages les plus sacrés; usage bien différent de l'humble et chrétienne inspiration qui faisait représenter le peintre ou le donateur d'un tableau aux genoux de la Madone, ou confondu parmi les bergers ou la suite des rois qui venaient offrir leurs hommages à l'Enfant Jésus. Les progrès du paganisme et du naturalisme déterminèrent bientôt une scission dans l'école florentine; elle se décompose en trois tendances bien distinctes, selon M. Rio (et cette distinction est fondamentale pour la suite de son ouvrage): 1° celle des peintres restés fidèles aux habitudes giottesques, tels que Lorenzo Bicci et Chelini; 2° celle des peintres qui réagirent contre les innovateurs profanes par le perfectionnement de l'élément mystique; et 3° ceux qui cultivèrent surtout la forme et la firent progresser, mais aux dépens de l'esprit chrétien des œuvres primitives. Ghiberti est à la tête de ces derniers; ses bas-reliefs de la porte du Baptistère font époque dans l'histoire de la peinture aussi bien que dans celle de la sculpture, car il eut pour collaborateurs plusieurs des peintres les plus célèbres de son époque. Nous croyons que M. Rio est en contradiction avec lui-même lorsqu'il regrette que toute

l'école florentine n'ait pas puisé ses inspirations dans ces fameux bas-reliefs; on y voit, ce nous semble, ce beau génie marcher graduellement vers le matérialisme; ils ont pour voisins ceux d'André de Pise, qui assurément répondent bien mieux à l'idéal chrétien '. Masolino fut le plus habile des collaborateurs de Ghiberti; il commença la célèbre chapelle del Carmine. Mais nous aimerions mieux le juger et le ranger dans la catégorie des peintres restés purs, d'après le charmant tableau de lui à l'académie. Masaccio, qui acheva la chapelle del Carmine, et exerça par cette œuvre une si grande influence sur son époque, alla à Rome pour s'y inspirer des souvenirs classiques; mais, en y arrivant, il était encore bien complétement pur et chrétien, s'il faut en juger par sa magnifique Histoire de sainte Catherine, peinte à fresque dans l'église de Saint-Clément, et que M. Rio juge avec une sévérité qui nous a vivement blessé; car, s'il est vrai que ces fresques ont été cruellement retouchées, il en reste encore les contours si fins et si gracieux, et surtout l'esprit général de la composition, digne des plus beaux monuments de l'art chrétien. Chaque tête mérite une étude spéciale 2. Mais Rome gâta ce jeune talent. De retour à Florence, il fit cette chapelle del Carmine, où le naturalisme triomphe complétement, où il n'y a plus même vestige de la simplicité et de la profondeur primitives, ce qui explique parfaitement l'enthousiasme qu'elle a excité chez Vasari et ses copistes classiques.

Les fresques del Carmine devinrent aussitôt un centre d'inspirations pour une foule de peintres. Le moine Filippo

Dans une publication récente faite à Paris, on n'a donné que la dernière porte de Ghiberti, celle de l'est, et on a soigneusement omis celle d'André de Pise, et celle où Ghiberti lui-même se montrait encore complétement chrétien.

On peut en juger d'après les belles gravures au trait publiées à Rome par Labruzzi, en 14 planches.

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