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ris fecit ob suam devotionem. Ces deux frères se sont immortalisés par leur grande fresque du Campo-Santo de Pise, représentant les divers épisodes de la vie des Pères du désert, chef-d'œuvre de grâce et de simplicité naïve. M. Rio relève avec raison toute la poésie de ce sujet; il nous donne ensuite un récit charmant de la légende de saint Rainier, qui forme un des ornements de ce même Campo-Santo, et qui a été peint par ce Simon Memmi, que Pétrarque mettait sur la même ligne que Giotto. Nous regrettons de ne pas trouver quelques détails sur les magnifiques fresques du même Simon Memmi, à la chapelle des Espagnols, à Florence; cette admirable représentation de l'Église triomphante et militante, avec tout le fécond symbolisme de l'époque, ce Jésus descendant aux limbes, et écrasant le démon vaincu sous la porte brisée des enfers, et tant d'autres sujets traités avec une supériorité réelle, méritaient une attention spéciale de la part de l'auteur, qui n'aurait pas dû se borner à nous renvoyer à Vasari, dont il nous a recommandé, et à si juste titre, de nous défier.

Mais quelque chose de bien plus grave que cette omission, c'est l'injustice avec laquelle M. Rio donne congé à toute l'école siennoise, après avoir cité ces trois ou quatre noms, en déclarant qu'après eux sa fécondité ne fut que purement numérique jusqu'au quinzième siècle. Nous verrons que M. Rio n'est pas moins injuste pour les grands peintres siennois du quinzième, et en attendant, nous réclamons de toutes nos forces en faveur de plusieurs peintres que des séjours malheureusement trop courts à Sienne nous ont permis cependant de connaître; et en premier lieu, nous citerons Manno di Simone, auteur dès 1287, à ce qu'on dit, de la fresque de la chapelle du palais public, qui représente NotreDame entourée d'anges et de saints, assise sur un trône et sous un vaste baldaquin porté par les saints protecteurs de

Sienne, tandis que deux anges agenouillés devant elle lui présentent des corbeilles de fleurs : nous connaissons peu de productions plus grandioses et plus catholiques. Puis ce Sano di Pietro, dont on voit une admirable Incoronazione ', à la chancellerie du palais public, datée de 1345; et enfin cet André Vanni, que son goût pour la peinture n'empêcha pas d'être capitaine du peuple et ambassadeur auprès du Pape, à qui sainte Catherine de Sienne adressa une lettre sur l'art de bien gouverner, et qui en revanche nous a laissé d'elle un portrait authentique et délicieux, au capellone de l'église Saint-Dominique. On voit aussi de lui à l'académie les quatre Trionfi de Pétrarque, assez ingénieusement reproduits. Nous n'hésitons donc pas à dire, et nos observations ultérieures viendront à l'appui de ce jugement, que, dans la prochaine édition de son livre, M. Rio doit refaire toute la partie de l'école siennoise, sous peine d'être confondu, quant à ce, avec cette masse banale de voyageurs dont les yeux et le cœur restent toujours fermés aux productions du véritable art chrétien 2.

Le chapitre III nous introduit à l'étude de l'école primitive de Florence, née un demi-siècle après celle de Sienne. M. Rio fait bonne justice de la réputation exagérée de Cima

C'est la désignation italienne du Couronnement de la sainte Vierge dans le ciel, sujet favori des peintres chrétiens de tous les temps et de tous les pays. Dans sa nouvelle version (1860) M. Rio a fait droit à ces observations. Il a consacré les deux premiers chapitres de son premier volume à l'histoire de l'école de Sienne, qui y est exposée avec des détails plus complets et plus originaux que partout ailleurs. Le sujet traité en douze pages dans la première édition en occupe cent soixante-six dans la seconde. On lira avec bonheur et profit ce tableau des gloires artistiques, si pures et si nombreuses dans cette petite mais fameuse république; on y admirera la double influence exercée sur l'art par la sainteté et la liberté; la sainteté, popularisée par la canonisation de deux enfants de Sienne, saint Bernardin et sainte Catherine, et la liberté, dont les Siennois aimaient à remercier le ciel comme d'un don céleste, per lo dono celeste della libertà.

buë, qui a passé longtemps pour le régénérateur de l'art, et que les feuilletonistes éclectiques de nos jours se résignent quelquefois à citer comme un grand génie. C'est à Giotto qu'appartient plus justement le titre de régénérateur; ce fut lui qui brisa définitivement les types byzantins. M. Rio le démontre par des observations d'une rare sagacité, et réfute les absurdes reproches que Rumohr a adressés à ce grand peintre. II passe en revue ses principaux ouvrages et les traits de son caractère qui nous ont été conservés. On s'étonnera seulement de ce qu'il regarde la révolution opérée par Giotto dans la peinture comme contemporaine de celle par laquelle l'architecture moderne s'affranchissait du joug classique. Quand même l'architecture ogivale daterait de l'époque de Giotto, ce qui n'est pas, M. Rio ne saurait être du nombre de ceux qui regardent les cathédrales de Spire et de Mayence, le dôme et le baptistère de Pise, Saint-Marc de Venise et tant d'autres monuments du dixième au douzième siècle, comme émanant de l'architecture classique: cela ressemblerait trop à ce savant de la renaissance qui prétendait avoir découvert que la cathédrale de Milan avait été bâtie d'après les règles tracées par Vitruve. Nous déplorons aussi la brièveté excessive avec laquelle notre auteur passe sur les grandes fresques de la chapelle de l'Arena à Padoue, qui sont, selon nous, l'œuvre capitale de Giotto, et où se trouvent douze sujets de la vie de Notre-Dame jusqu'à son mariage, vingt-quatre sujets de la vie de Notre-Seigneur, dont plusieurs de la plus haute beauté, surtout la Résurrection de Lazare et la Déposition de croix, un magnifique Jugement dernier, le plus ancien que nous connaissions, et enfin les figures des Vertus et des Vices en grisaille, qui surpassent tout le reste. Son Espérance et sa Charité n'ont de rivales que les figures analogues de la porte du baptistère de Florence par André de Pise. Le sym

bolisme si remarquable de ces figures avait frappé l'attention de notre savant d'Hancarville, à une époque où Giotto était encore regardé comme un barbare; elles viennent de fournir à un écrivain de Padoue, le comte Selvatico, le sujet d'un opuscule très-intéressant1. Comme ces fresques forment l'ensemble le plus vaste, le plus complet et le plus ancien de cette époque, nous croyons qu'elles exigeaient plus d'attention de la part de M. Rio. Pour le plus grand avantage des voyageurs, nous dirons encore que les belles fresques de Giotto, représentant les sacrements d'ordre et de mariage, que l'on admire encore à Naples, se voient à l'Incoronata, petite église presque souterraine, près le Château neuf, et non pas, comme dit M. Rio, à Sainte-Claire, celles qui ornaient cette dernière église ayant été blanchies à la chaux par les hommes éclairés du dernier siècle. A l'occasion du célèbre tableau signé par Giotto, à Santa-Croce de Florence, M. Rio signale la présence d'anges jouant de divers instruments de musique ; heureuse innovation qui a fourni de tout temps aux peintres vraiment chrétiens des épisodes délicieux dans leurs plus beaux tableaux 2. Du reste, les sujets traités avec le plus de prédilection par ce peintre furent, selon M. Rio, la Crucifixion et la vie de saint François. Nous ne savons pourquoi il dit que, dans cette glorieuse vie, il y a

1 Sulla capellina degli Scrovegni nell' Arena di Padova, e sui freschi di Giollo in essa dipinti osservazioni di Pietro Estense Selvatico; Padova, 1836. Nous recommandons cet ouvrage à nos lecteurs comme le seul que nous ayons encore rencontré en Italie où l'art du moyen âge soit assez bien apprécié, malgré les inconséquences bizarres qu'on y rencontre mêlées aux jugements les plus sains.

2 M. Guénebault attribue cette innovation à André Tafi, qui vivait vers l'an 1233, et remarque avec raison que l'origine de cette idée se trouve dans le passage de saint Augustin où il énumère les jouissances du paradis : « Quæ cantica! quæ organa! quæ cantilenæ ibi sine fine decantantur! sonant ibi semper melliflua hymnorum organa suavissima angelorum melodia, » etc. (Manuale, c. 6, n. 2.)

très-peu d'actions extérieures, très-peu d'épisodes dramatiques. Nous n'en connaissons pas au contraire où il s'en trouve plus, témoin les grandes fresques de l'église supérieure d'Assise, que notre auteur traite avec une singulière brièveté1.

La révolution opérée par Giotto trouva à Florence une adhésion unanime; mais elle eut à combattre quelques respectables résistances, comme celle du vieux Margaritone, qui avait envoyé un crucifix de sa façon à ce Farinata (dont le Dante trace un portrait si imposant), pour le récompenser d'avoir sauvé sa patrie; puis à Rome, celle d'un élève même de Giotto, Cavallini, auteur du crucifix miraculeux qui parla à sainte Brigitte 2.

Rien de plus faux que l'assertion des classiques qui prétendent que la peinture a été stationnaire pendant le demisiècle qui suivit la mort de Giotto, c'est-à-dire jusqu'au moment où le naturalisme envahit l'art avec Masaccio. M. Rio détruit de fond en comble cette erreur par son éloquente énumération des œuvres principales des successeurs immédiats de Giotto, énumération habilement parsemée de détails charmants sur leur vie et leur piété. Nous voyons passer successivement Taddeo Gaddi, digne filleul et disciple de Giotto, qui avait pris saint Jérôme pour sujet de prédilection; Giottino, bien supérieur encore à Giotto, selon nous, quoique son nom semble indiquer un diminutif du talent de celui-ci; Agnolo Gaddi, fils de Taddeo, auteur de la légende de la cein

'Toutes ces omissions sont réparées dans la nouvelle édition, qui contient une appréciation parfaitement raisonnée des œuvres et de l'influence de Giotto.

2 C'est la tradition répétée par M. Rio, mais assez peu d'accord avec les faits, puisque ce crucifix de sainte Brigitte que l'on montre encore à SaintPaul-hors-des-murs, et qui a échappé au dernier incendie, est sculpté en bois et non pas peint.

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