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dera le Saint Jérôme de Prévitale à Bergame, comme trèsélégant? Sans parler des innombrables péchés d'omission envers des chefs-d'œuvre les plus suaves. Et ce sera bien pire si l'infortuné remonte plus haut et se trouve pris à la gorge par les Dupaty, les Cochin, les Lalande. Mais

Non ragionam di lor....

Laissons le dix-huitième siècle pourrir en paix. Répétons seulement que le livre de M. Rio est le meilleur guide pour l'étude de la peinture en Italie. Bienheureux ceux qui n'auront pas eu d'autre guide que lui, qui prendront ce livre pour premier Cicerone: nous n'avons pas eu ce bonheur; mais nous savons par l'expérience d'autrui le bien qui en résulte, et nous avons vu la facilité et la rapidité avec laquelle des voyageurs encore purs de tout contact avec l'esthétique routinière ont été conduits à l'étude et à la connaissance du vrai par ce livre qui, selon leur propre expression, versait des flots de poésie dans leur âme.

Il eût été à désirer que M. Rio eût songé à adjoindre à toute cette poésie un index topographique qui en eût facilité l'usage au voyageur, à mesure qu'il parcourt les lieux qui renferment les trésors décrits par l'écrivain. Mais, comme nous l'avons déjà vu pour son titre, M. Rio ne songe pas toujours à se rendre accessible au vulgaire. L'index n'existe pas. Chacun peut s'en faire un '; et, tel qu'il est, le meilleur conseil que nous puissions donner à ceux de nos lecteurs qui feront ou referont le voyage d'Italie, c'est d'emporter avec eux ce volume. C'est dans l'espoir d'obtenir pour ces

Au moment où nous relisons ces lignes, nous apprenons que M. Guénebault, déjà si honorablement connu par ses travaux d'archéologie chrétienne dans les Annales de Philosophie chrétienne, vient de terminer une table à la fois alphabétique et analytique de l'ouvrage de M. Rio.

pages l'honneur d'être adjointes, à titre de supplément, à ce précieux vade mecum, que nous relèverons avec quelque détail certaines omissions de M. Rio, et que nous combattrons ses opinions sur certains peintres ou certains tableaux, mais toujours dans l'intérêt exclusif de la même cause et en partant des mêmes principes, ne différant de lui que pour leur application.

Après ce préambule, qui n'est pas trop long pour l'importance de l'ouvrage, nous allons passer à l'analyse des divers chapitres, en avertissant d'abord nos lecteurs que toutes les idées et tous les faits que nous citerons sont tirés de l'ouvrage même, à moins de mention contraire.

Dans le premier chapitre nous assistons tout d'abord au magnifique spectacle de la peinture chrétienne venant au monde dans le berceau sanglant des catacombes et contrastant, autant par sa direction intime que par ses manifestations extérieures, avec les dégoûtantes orgies de l'art sous les Césars persécuteurs. Un bon résumé des sujets représentés dans les catacombes fait ressortir la sublime abnégation de soi avec laquelle les artistes martyrs évitaient toute commémoration, même indirecte, de leurs supplices. Puis, avec l'affranchissement de l'Église par Constantin, viennent ces grandes mosaïques romaines, que Ghirlandajo appelait à si juste titre la vraie peinture pour l'éternité. Mais la vitalité de l'école justement qualifiée par M. Rio, de romano-chrétienne, fut menacée dès lors par une controverse très-curieuse entre les Pères les plus illustres de l'Église latine et quelques Pères de l'Église grecque, appuyés avec fureur par les moines de l'ordre de Saint-Basile. Ceux-ci soutenaient que JésusChrist avait été le plus laid des enfants des hommes, tandis que leurs adversaires disaient, comme plus tard saint Bernard, que la merveilleuse beauté du Christ surpassait celle

des anges, et faisait l'admiration de ces êtres célestes. On sait assez que l'Occident tout entier se rangea du côté de ces Pères. Mais en vérité, lorsque nous avons lu ce passage du livre de M. Rio, nous nous sommes rappelé les horribles travestissements des principaux faits de la vie de Notre-Seigneur, qui, non contents de s'étaler périodiquement sur les murs du Louvre, viennent souiller à demeure les parois de nos églises, dignes pendants, du reste, de la musique d'Opéra qu'on y entend; nous nous sommes rappelé ces éditions de luxe des livres les plus sacrés, où les traits de notre divin Maître, de la Vierge mère, des apôtres, de Madeleine, etc., sont livrés aux mêmes imaginations et aux mêmes burins qui se sont fait un nom en illustrant (c'est le terme consacré) les facéties de Voltaire et de La Fontaine; nous nous sommes rappelé enfin le débordement de vulgarité, de niaiserie, d'inconvenance, qui caractérise tout ce qu'on appelle aujourd'hui des sujets religieux, et que le clergé a la bonté d'admettre comme tels; et puis nous nous sommes demandé si par hasard la doctrine byzantine n'avait pas été ressuscitée de nos jours, et si tous les coryphées de nos écoles modernes ne s'étaient pas donné le mot secrètement pour représenter Notre-Seigneur et tous les personnages religieux comme les plus laids d'entre les enfants des hommes. Quoi qu'il en soit, il est certain que les fanatiques byzantins du quatrième et du cinquième siècle, s'ils renaissaient au dix-neuvième, ne pourraient qu'être flattés de voir une pratique aussi conforme à leur théorie.

M. Rio se livre aux considérations les plus sages sur la nature dégradante des doctrines byzantines qui préludaient dès lors au schisme de Photius, et dont l'autocratie moscovite est au sein de notre société moderne le dernier résultat; elles exercèrent longtemps la plus funeste influence en Italie : heureusement le siége infaillible et immortel de Pierre réagit

constamment contre elles. Ne pouvant introniser le laid dans l'art religieux, Byzance et ses empereurs devinrent iconoclastes pour anéantir dès le berceau cet art sublime. De là cette guerre admirable, que M. Rio compare justement aux croisades, qui unit toute l'Italie, sauf Naples, pour la défense du Pape et des saintes images, et que Gibbon a jugée avec sa mauvaise foi ordinaire. Cependant, l'école romano-chrétienne devait mourir, à ce que croit l'auteur, et il fixe l'époque de cette extinction complète aux douzième et treizième siècles. Nous protestons de toute notre âme contre cette assertion; car, à notre avis, les mosaïques de Sainte-Marie in Transtevere et de Sainte-Marie-Majeure, qui datent précisément de ces deux siècles, sont les plus belles de Rome. Mais nous admettons volontiers que cette école, à laquelle nous attachons du reste moins d'importance que l'auteur et quelques autres écrivains modernes, a été avantageusement remplacée par l'école germano-chrétienne, née avec Charlemagne, et dont il nous reste des monuments nombreux dans les miniatures des manuscrits, et plus tard, dans les vitraux. Il importe d'établir, comme l'a fait M. Rio, que rien dans cette école ne sent, comme on s'en va le répétant tous les jours, l'imitation servile de ce qui s'était fait à Byzance et en Italie. Le clergé ne cessa jamais de diriger cet art dont il avait été le père, et de lui donner cette fécondité que le catholicisme communique à tout ce qu'il enfante'. Aussi l'originalité des écoles de France, de Belgique, de Cologne, du dixième au treizième siècle, est un fait qui ressortira chaque jour davantage de l'étude approfondie de leurs produits. M. Rio énumère avec soin les traits distinctifs du genre occidental et du genre byzantin; il suit

On ne saurait lire sans émotion cette admirable définition du concile d'Arras en 1205, où il dit que la peinture est le livre des ignorants qui ne sauraient pas en lire d'autres.

les différentes phases de l'existence languissante de celui-ci en Italie, et relève les déplorables conséquences de son influence sur l'école napolitaine, qui n'a jamais pu se relever de ce honteux vasselage; mais nous lui demandons grâce pour le bon vieux Giunta de Pise, qu'il regarde comme le dernier représentant de l'art byzantin, et que nous voudrions délivrer de cette flétrissure, en considération du beau portrait de saint François qu'on voit de lui à la sacristie d'Assise, comme aussi de ce crucifix peint par lui, qui stigmatisa sainte Catherine de Sienne, et que l'on conserve encore dans la maison paternelle de cette grande sainte à la Contrada dell' oca, à Sienne.

Le chapitre II est consacré à l'école siennoise. Quoiqu'à peu près passée sous silence par Vasari, les recherches postérieures, surtout celles de Rumohr, ont bien établi que Sienne, qui s'honorait du titre de Cité de la Vierge, a été le berceau de la peinture chrétienne d'Italie, au treizième siècle. On y voit encore quelques ouvrages de ces premiers maîtres si purs et si dévots, signés de leur nom, avec l'addition d'une prière ou d'une éjaculation pieuse. Tels sont : Guido, dont la grande madone, à Saint-Dominique, est le premier tableau à date certaine (1221) de l'Italie; Duccio vanté par Ghiberti, et à si bon droit; Ambrogio, qui fit la grande fresque allégorique d'une des salles du palais public, que M. Rio déclare n'avoir pas comprise, mais où l'on pourrait, ce nous semble, clairement reconnaître les principales vertus chrétiennes, avec les symboles universellement admis dans la peinture et la sculpture chrétiennes de cette époque, belle idée assurément pour une salle de justice. Il ne reconnaît qu'un seul tableau authentique de Pietro, frère d'Ambrogio: il a oublié la jolie madone, voisine de l'hospice della Scala, que nous citons à cause de sa touchante et simple inscription: Opus Laurentii Petri picto

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