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Partie, tandis qu'on cherche en vain de quoi il peut être question dans la première, et si elle existe ou non, achèvent de jeter la confusion dans l'esprit du lecteur. Il est vrai que sur la couverture brochée du volume, on lit: De l'Art chrétien ; et cette addition met sur la voie de la pensée fondamentale de l'auteur, savoir que l'art est identique avec la poésie, surtout dans l'ordre religieux; qu'il n'est autre chose qu'une des formes de la poésie, et qu'on ne saurait isoler l'histoire, l'étude, l'intelligence de l'un et de l'autre. C'est là une vérité incontestable à nos yeux; mais l'auteur n'aurait pas dû oublier que cette identité de la poésie et de l'art n'a jamais été proclamée en France, et qu'elle n'est rien moins que constatée, ni même soupçonnée par l'immense majorité des lecteurs français. Il était donc nécessaire de bien établir préalablement ce point de départ.

M. Rio, ne pouvant ou ne voulant pas nous présenter en ce moment cette base fondamentale de ses travaux, aurait dû se borner à prendre pour titre les premiers mots de son premier chapitre De la Peinture chrétienne; et en y ajoutant ceuxci en Italie, il aurait donné à chacun une notion claire et complète du beau volume que nous allons passer en revue, heureux de pouvoir, grâce à lui, donner à nos lecteurs une esquisse historique des produits de cette admirable branche de l'art chrétien dans le temps où elle a été la plus féconde et la plus brillante.

Il est donc sous-entendu que, pour M. Rio, la peinture, comme tous les autres arts, n'est qu'une des formes de la poésie; or, comme la poésie religieuse est nécessairement la poésie la plus haute, il s'ensuit que la peinture religieuse occupe nécessairement aussi le premier rang dans le développement de la peinture. Cette primauté est d'ailleurs suffisamment démontrée par le fait en Italie: c'est ce qui ex

plique pourquoi l'étude de cet art touche de si près à la religion.

Cela posé, nous commencerons par établir quels sont les principaux mérites de M. Rio dans cet ouvrage. Et d'abord nous placerons au premier rang le catholicisme du livre et de son auteur. Et qu'on nous entende bien, c'est d'un bon et solide catholicisme que nous voulons parler, non pas de ce vague sentiment religieux qui est à la mode aujourd'hui, qui consent à ne rien nier pourvu qu'il ne soit pas obligé de rien admettre comme incontestable. M. Rion'est pas de cette trempelà à chaque page de son livre on voit que c'est un homme qui n'a ni honte ni peur de croire tout ce qu'il a trouvé dans le catéchisme, l'Évangile et la tradition de l'Église, et il en résulte pour le lecteur un sentiment de bien-être qui vaut presque mieux que l'enthousiasme, et comme une sorte de soulagement ineffable qui repose et qui exalte en même temps. On voit encore qu'il pratique ce qu'il croit; on voit qu'il a prié au pied de ces autels dont il décrit la parure avec tant de poésie, que les trésors de l'art chrétien n'ont pas été pour lui des toiles mortes, débris plus ou moins curieux de la mythologie chrétienne, mais bien des symboles plus ou moins parfaits de l'éternelle vérité. En un mct, M. Rio est franchement et avant tout catholique : plus on le lit et plus on reconnaît en lui un frère, un homme à côté de qui on serait aise d'élever sa prière à Dieu, un homme que tout catholique pourrait accoster avec confiance soit dans une église, soit dans une galerie, soit dans une académie, et lui prendre la main, et lui donner son cœur, sans craindre de se tromper, et de trouver le froid sourire de l'incrédulité ou la vanité satisfaite du pédant sous le voile d'un enthousiasme factice.

C'est là ce qui place M. Rio bien au-dessus de Rumohr,

et de tous les Allemands qui ont pu rivaliser avec lui

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Œuvres. VI.

Art et Littérature.

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science et le sentiment de l'art, mais qui sont restés bien en deçà pour la foi, à l'exception du seul Frédéric Schlegel.

Ce doit être quelque chose de bien déconcertant, ce nous semble, pour vous, Messieurs les critiques, qui, dans vos jugements souverains sur l'art ancien et moderne, posez d'abord en principe que le catholicisme est définitivement mort, qu'il est aujourd'hui dénué de toute séve créatrice, et qu'aucun être doué de raison, et à plus forte raison, de science, ne peut y trouver la règle actuelle et positive de ses jugements et de ses idées? Daignerez-vous seulement vous retourner dans votre marche triomphale du salon de 1837 au salon de 1838, pour écouter la voix grave et éloquente d'un homme qui aurait cependant quelque droit à votre attention? Car ici il ne s'agit pas d'un peintre obscur, atteint et convaincu de faire des pastiches du moyen âge, selon le terme inventé pour flétrir aux yeux des fins connaisseurs toute tentative de régénération; c'est un savant professeur de l'Université, qui, après avoir commencé à vivre sur les champs de bataille et avoir gagné à quinze ans la croix d'honneur, a enseigné longtemps l'histoire avec éclat; et puis tout à coup, à la fleur de l'âge, s'est senti saisi d'un tel amour pour l'art purement chrétien, qu'il a renoncé à toute autre occupation pour l'étudier et pour en révéler les doux mystères et les saintes traditions. Un esprit aussi rétrograde vous étonne peut-être; mais, s'il plaît à Dieu, vous en verrez bien d'autres.

A côté de ce mérite suprême de la foi complète et courageuse, vient se placer chez M. Rio celui d'une science approfondie et complétement originale. Son livre est, en quelque sorte, un répertoire de découvertes en fait d'art, qu'il y a eu autant de mérite à faire que de courage à publier, tant elles froissent la routine des jugements ordinaires et tant elles sont éloignées de la voie battue depuis trois siècles que le paga

nisme a envahi tous les domaines de l'intelligence. Mais c'est encore à la foi chrétienne que M. Rio doit sa vraie science; c'est elle qui lui a donné la lumière, qui lui a procuré le point de vue aussi neuf que satisfaisant où il place ses lecteurs. Ce point de vue, nous nous hâtons de le dire, ne résulte d'aucune théorie arbitraire ni individuelle: il n'y a peut-être pas dans son livre une seule page de théorie proprement dite, et nous l'en félicitons hautement; il n'est parti que d'une seule donnée toute simple et toute chrétienne, c'est que toutes les œuvres de l'homme racheté par Dieu doivent concourir à la gloire de son Sauveur et au salut de son âme. Or, comme cette loi suprême, si étrangère à tous les docteurs de l'art depuis la renaissance, a heureusement dominé le génie des peintres italiens pendant deux ou trois siècles, il a été facile à M. Rio de rassembler assez de faits positifs, assez de détails biographiques, assez de jugements de visu sur des œuvres capitales, pour dresser un inventaire des riches produits du génie chrétien pendant la période que ce volume embrasse. C'est de cet inventaire même que ressort une théorie, ou plutôt une série de conséquences toutes naturelles, que chacun peut et doit en déduire, et dont l'auteur a laissé souvent la déduction à la sagacité du lecteur. Nous les résumerons toutes en une seule, savoir que la peinture chrétienne est la plus belle de toutes, et qu'elle répudie tout ce qui, soit dans l'expression, soit dans l'inspiration, tient de près ou de loin au matérialisme, ou, en d'autres termes, au culte exorbitant de la nature, qui règne dans l'art depuis les Médicis.

C'est donc un immense service rendu par M. Rio, aux Chrétiens d'abord, et ensuite à tous ceux qui s'occupent consciencieusement de l'art, que d'apporter un livre de faits, un livre d'érudition et d'observations personnelles, au milieu de ce déluge de prétendus critiques dont les jugements té

méraires et les stériles théories inondent tous les feuilletons

de nos jours, et finit par déborder jusque dans les journaux religieux ou soi-disant tels.

Un service presque aussi grand et plus facile à apprécier, c'est d'avoir enfin donné aux voyageurs en Italie un manuel qui puisse leur ouvrir les yeux sur les beautés de l'ordre le plus élevé, et justement le plus méconnu, que leur présentera le pays qu'ils parcourent. Pour nous, à qui il a fallu trois voyages et trois séjours prolongés en Italie avant de nous dépêtrer complétement du bourbier matérialiste où l'on est lancé tout d'abord par l'effet combiné et unanime de tous les livrets, de tous les guides, de tous les itinéraires, en un mot de tous ceux qui ont écrit sur l'Italie en français, en anglais, en italien, en prose ou en vers, depuis les effusions lyriques de lord Byron jusqu'au fameux Guide économique et culinaire de madame Starke; pour nous, qui en sommes enfin bien sortis, grâce à Dieu et à M. Rio, nous nous hâtons de lui adresser nos actions de grâces, en même temps que nous le recommandons à tous nos compagnons d'infortune passés ou futurs. Nous leur dirons que, s'il y a eu en Allemagne quelques symptômes de régénération sous ce rapport, la France a été privée jusqu'à présent non-seulement d'un ouvrage savant et fondamental comme celui-ci, mais même du plus petit essai, de la plus insignifiante monographie, rédigée dans un esprit de justice et d'affection pour l'art catholique. Il a paru dernièrement un ouvrage très-estimable en cinq volumes, intitulé l'Indicateur italien, par M. Valery : c'est certainement ce qu'il y a de plus complet jusqu'à présent sur l'Italie; on y trouve beaucoup de faits et de recherches très-curieuses; mais que pensera l'amateur de l'art chrétien lorsqu'il verra, dès les premières pages, que la cathédrale de Milan n'est qu'un énorme colifichet, qu'on lui recomman

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