centre, où l'on voit saint Michel au milieu d'une montagne de plâtre destinée à figurer des nuages. En revanche, il y a dans la quatrième chapelle du bas-côté de la nef, à gauche, un autel du seizième siècle qui est l'un des plus curieux monuments de transition qu'on puisse voir; l'ogive y apparaît à peine, tout affaissée qu'elle est sous le poids des coupoles, des tourelles, des arabesques, des ornements de tout genre que lui impose l'imagination émancipée et capricieuse de l'artiste. Ces ornements servent d'encadrement à trois charmantes statues Notre-Dame et l'enfant Jésus, Sainte Catherine et Sainte Barbe; celle-ci délicieuse, bien qu'évidemment inspirée par une beauté d'un genre tout différent de celle qui régnait sur les imaginations des siècles antérieurs; la voûte de cette chapelle, comme celle de la nef, est très-ornée et très-curieuse. La plus ancienne et la plus curieuse église de Bordeaux est celle de Sainte-Croix : fondée par Clovis II, en 651, elle a été reconstruite dans sa forme actuelle à une époque que les autorités les plus compétentes s'accordent à fixer à l'année 1031, sous Guillaume le Bon, duc d'Aquitaine. C'est un monument presque unique du genre mystique, hiératique, qui a précédé l'architecture gothique, et de la transition qui y a conduit. Je ne me sens pas le droit de rien dire sur son caractère mélangé, ni sur les célèbres sculptures symboliques de sa façade, qui a été décrite, ainsi que tout le reste de l'édifice, avec autant d'exactitude que de discernement, par M. Jouannet, dans l'excellente notice qu'il a insérée dans le Musée d'Aquitaine, et que vous devez connaître. Mais je serai fidèle à ma mission en dénonçant les ravages que le vandalisme a infligés à cette belle et pure église, qui, sacsagée et mutilée au dehors par la Terreur, a été flétrie au dedans par un goût pitoyable. On ne s'y est pas contenté de radouber toutes les sculptures des chapiteaux, les corniches, les ornements de tout genre avec une épaisse couche de plâtre; on y a profité de tous les espaces que la sculpture n'avait point envahis, pour y peindre des coupoles, des ciels chargés de nuages, un grand balcon dans la voûte au-dessus du maître-autel, des portes entre-bâillées et ingénieusement encadrées dans des arcades ogivales, des abat-jour en vitres simulées, enfin toutes les fadaises possibles, tout cela en style d'enseigne de cabaret, dans des dimensions colossales, et remplissant les trois ronds-points qui occupent le fond de l'église, de manière à frapper immédiatement les regards de celui qui descend les marches par où l'on entre. Au fond d'une poudreuse chapelle, la première du bascôté à gauche, derrière la cuve baptismale, revêtue elle-même d'une sculpture très-curieuse qui représente la Cène dans une salle gothique, j'ai distingué une planche peinte, mais recouverte d'une épaisse poussière. Après l'avoir fait légèrement éponger, j'ai reconnu que c'était un tableau sur bois à l'italienne, d'une école tout à fait primitive, entouré d'une inscription en caractères gothiques indéchiffrables pour moi; on y voit une Pieta, ou la sainte Vierge portant le corps de Notre-Seigneur sur ses genoux, et des deux côtés, dans des compartiments séparés, sainte Barbe, saint Dominique, saint Sébastien, saint André, sainte Catherine; tous ces personnages m'ont paru être d'un caractère aussi naïf qu'original. Il est déplorable que jusqu'à présent ni l'autorité ecclésiastique, ni aucun amateur de l'art ancien, n'ait songé à placer dans un lieu convenable cette peinture que son antiquité seule suffirait pour rendre intéressante. Après Sainte-Croix, l'église la plus ancienne de Bordeaux est celle de Saint-Seurin, qui fut la cathédrale avant SaintAndré. L'intérieur, d'un gothique très-ancien, est encore sombre et beau, malgré la dégradation des colonnes de la nef en 1700, et un badigeonnage général en 1822. Sur le mur latéral de droite, on voit dans le tympan d'une porte à ogive, aujourd'hui murée, un bas-relief du plus haut intérêt, qui représente la Messe de saint Grégoire; un cardinal, dont la tête est merveilleusement belle, assiste le pape; Jésus-Christ, entre deux anges, plane sur l'autel. Cette sculpture inappréciable remonte au quatorzième siècle, et se rapporte probablement à Bertrand de Goth, archevêque de Bordeaux, qui devint pape, sous le nom de Clément V, en 1305. Vis-à-vis, sur le mur latéral de gauche, dans un tympan semblable, se trouve un autre bas-relief de la même époque qui représente NotreSeigneur au milieu des douze apôtres. En entrant dans le sanctuaire, on retrouve l'empire du vandalisme : j'ai déjà parlé du trône épiscopal dont le conseil de fabrique avait voté la destruction, et que le curé a défendu avec succès; mais il n'a pu le préserver d'un blanchissage funeste. Les trois croisées romanes qui occupent, par une disposition assez rare, le fond du chœur qui n'est pas arrondi, croisées à triples arcades avec enroulements très-ornés, ont été peintes en brun. Un malheur pareil a atteint les élé-gantes boiseries des stalles du chapitre, de même que les sculptures du dessous des siéges, qui représentent des scènes populaires et souvent burlesques, entremêlées à des traits de l'Écriture sainte : ainsi une querelle d'ivrognes, un homme qui fait cuire des poissons sur un gril, à côté de Samson armé de sa mâchoire; tout ce beau et curieux travail a été surchargé tout récemment d'une peinture en rouge garance. On a heureusement épargné de toute matière le monument le plus précieux de cette église, le retable du maître-autel, formé de huit bas-reliefs en marbre, réunis en un seul cadre, traités avec la plus grande finesse, et représentant l'intéres sante légende de saint Seurin ou Séverin, évêque de Bordeaux au cinquième siècle. Il y a au-dessous du chœur une chapelle souterraine qui renfermait les reliques de saint Fort, qui a toujours été l'objet d'une immense vénération, et où chaque année les mères et les nourrices viennent faire dire la messe sur la tête de leurs nourrissons, pour attirer sur eux la protection du saint. Cette chapelle à trois nefs en plein cintre est curieuse, mais elle a été cruellement dégradée; d'abord elle a été badigeonnée en dépit du sens commun, puis on lui a volé pièce par pièce un pavé en mosaïque, dont il ne reste que quelques pierres. On y voit encore le tombeau du saint, ouvrage très-soigné de la renaissance. L'extérieur de Saint-Seurin est en général très-irrégulier, mais n'en est pas moins très-remarquable. La chapelle de la sainte Vierge, à droite du chœur, est beaucoup plus moderne que la nef. Dans un angle de la sacristie, qui est aussi du quinzième siècle, il y a une charmante statue de sainte. Le clocher quadrilatère à double rangée d'arceaux en plein cintre est d'une grande beauté. L'ordre supérieur rappelle quelques-unes des plus célèbres églises du moyen âge en Italie. Au milieu de la façade latérale du midi se trouve un porche de la renaissance, assez élégant, qui couvre et protége un triple portail du plus haut intérêt, dont les trois portes sont entourées par une série de sculptures datées de 1267 et travaillées avec un soin infini, représentant la Vigne du Seigneur et le Jugement dernier, sujet très-fréquent dans les belles églises gothiques de ces contrées. Ce triple portail est flanqué par les statues des douze apôtres et de deux personnages couronnés, en pied et de grandeur naturelle, malheureusement endommagées, mais produisant encore un excellent effet. La façade occidentale, qui devait servir d'entrée principale, n'a point été achevée du temps de la construction pri mitive de l'église. Il n'y a qu'un vestibule très-curieux, et qui remonte évidemment aux premiers temps de la fondation, au neuvième ou au dixième siècle, formé de trois voûtes basses, se prolongeant l'une après l'autre, séparées et soutenues par trois arceaux cintrés dont les chapiteaux sont couverts de sculptures très-bizarres et du genre le plus élémentaire. Je n'ai pu distinguer qu'un seul sujet connu, le Sacrifice d'Abraham. Au bout de ce vestibule s'élève aujourd'hui une façade, dessinée par M. Poitevin (qui a été destitué par l'administration éclairée de nos jours), et exécutée par son successeur, M. Lasmolle. Cette façade a le mérite d'avoir été conçue de manière à se rapporter au caractère général de l'édifice, et la partie inférieure répond assez bien à ce dessein. Mais, en élevant tout à fait inutilement la partie supérieure, décorée d'une balustrade beaucoup trop lourde, on ôte au spectateur la vue d'un ordre entier de l'admirable clocher. On m'a même assuré qu'il y avait sur ce même clocher d'excellents bas-reliefs, aujourd'hui recouverts par le prolongement du toit en ardoises et complétement inaccessibles. Puis on a surchargé cette nouvelle façade de statues absurdes, exécutées par un artiste espagnol; il y en a quatre colossales, deux évêques, qui ont coûté 10,000 francs chacun, et deux évangélistes, à 5,200 francs la pièce, tous les quatre détestables en tout point. Voilà, de compte fait, 30,400 francs d'inutilement dépensés sur les 45,000 qu'a coûté la façade entière. Je ne dis rien d'un bas-relief qui est encore pire que les statues, et qui a dû coûter proportionnellement. Ces calculs montrent que ce sont bien moins les ressources matérielles qui manquent à la restauration de nos vieux monuments, que l'intelligence de leur caractère et l'instinct des conve nances. Je reprocherai ensuite à M. Lasmolle de n'avoir pas em |