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L'église des Augustins, le troisième des grands monuments monastiques de Toulouse, a été transformée en musée. Le cloître attenant, qui est d'un caractère excellent, avec des arcades en ogives tréflées du quatorzième siècle, doit être disposé pour recevoir le musée de sculpture, qui se compose des débris les plus précieux de tombeaux et de bas-reliefs du moyen âge. Je ne pense pas qu'il se trouve en France de collection plus originale, plus nationale. On y remarque surtout les statues tumulaires des comtes de Comminges, des évêques et archevêques de Toulouse et de Narbonne, ainsi que de délicieuses madones en pierre et en bois. Il faut espérer que ces charmants morceaux, qui gisent aujourd'hui pêle-mêle dans le cloître, y seront bientôt disposés par ordre chronologique, et surtout que l'on ne fera aucun changement, aucune addition postiche au cloître qui, dans son état actuel, est du plus grand mérite. Malheureusement, le sort de l'église, destinée à recevoir les tableaux, n'est pas fait pour rassurer; au moins fallait-il, en lui ôtant sa destination sacrée, lui laisser sa forme primitive, qui était d'un gothique élégant et simple. Mais les barbares transformateurs en ont jugé autrement; ils n'ont pas su comprendre tout ce qu'aurait de grandiose et de beau une pareille galerie; ils ont élevé le plancher à six pieds au-dessus de l'ancien niveau, ont substitué un plafond en plâtre à la voûte en ogive, construit une sorte de colonnade corinthienne à l'endroit du maître-autel, et, enfin, défoncé la rosace de la façade, dont les débris jonchent en ce moment la cour extérieure 1.

Le plus curieux édifice religieux de Toulouse est sans con

A propos de ces travaux, le Moniteur du 2 février 1833 disait gravement : « On peut déjà apprécier la grandeur du plan et l'élégance des détails.... Le musée de Toulouse présentera un aspect monumental inconnu dans nos contrées! >>

tredit l'église de Saint-Sernin, qui a été achevée, telle qu'on la voit aujourd'hui, en 1097. Je la regarderais volontiers comme un des modèles les plus complets du style roman qui existent en France. Elle a la forme d'une croix latine extrê— mement allongée; son extérieur est très-simple et a cet air de forteresse qui distingue les églises de cette époque; le clocher en étages successivement rétrécis, surmonté d'une flèche et percé de baies à sommet triangulaire, produit tout l'effet d'une pyramide. Malheureusement ce clocher et tout l'extérieur ont été victimes d'un ridicule badigeonnage qui a coûté 10,000 fr., tandis qu'on négligeait les réparations les plus urgentes. Le collatéral du midi a deux portails également remarquables. Le premier, précédé par un porche de la renaissance, est très-curieux par les sculptures de ses chapiteaux qui représentent le Massacre des Innocents, et autres sujets sacrés, dans le goût le plus primitif. Le second est plus grand et plus moderne: les chapiteaux des colonnes représentent les sept péchés capitaux. Dans une chapelle grillée, à côté de ce portail, se trouvent les tombeaux de trois comtes de Toulouse du onzième siècle, trop dégradés pour offrir un très-grand intérêt. L'intérieur de cette belle église a échappé aux badigeonneurs modernes, grâce au bon esprit de son ancien curé, comme je l'ai déjà raconté. Il serait à désirer que son successeur fût animé des mêmes dispositions; on ne le verrait pas alors faire ouvrir, uniquement pour sa commodité particulière, une porte dans la chapelle de la croisée septentrionale, où furent déposés les restes de Henri, duc de Montmorency, la plus noble victime de Richelieu. La triple nef, très-longue et très-étroite, offre une perspective d'une rare beauté; la voûte, très-haute, est parfaitement cintrée; les piliers des arcades inférieures ont été équarriés et défigurés; mais la galerie supérieure en plein cintre est excellente, ainsi

que tout le chœur. Les boiseries des stalles, sculptées au seizième siècle, sont dignes d'être observées; on y reconnaît les passions violentes et la brutalité satyrique de cette époque; dans l'une des stalles, on voit un porc assis dans une chaire, en rase campagne, avec cette inscription: Calvin le porc preschant. Dans les chapelles du pourtour du chœur, il y a des châsses en bois qui sont de curieux modèles d'architecture ecclésiastique très-ancienne: entre ces chapelles sont placées les statues des comtes et comtesses de Toulouse, qui ont été bienfaiteurs de cette église plusieurs de ces statues sont d'une expression touchante, et toutes sont d'un trèsgrand intérêt historique. Les peintures fort anciennes de la voûte du chœur représentent Notre-Seigneur entre les symboles des quatre évangélistes. Les cryptes de Saint-Sernin étaient célèbres par le nombre des reliques et la richesse des châsses qu'elles renfermaient avant la révolution. Elles ont été défigurées par une série de restaurations maladroites: dès la fin du quinzième siècle, on avait substitué aux anciens pleins cintres des ogives surbaissées et écrasées, d'un trèsmauvais effet. A la révolution, le souterrain fut dévasté, et depuis, sans doute en guise de compensation, il a été remis à neuf et proprement repeint en diverses couleurs : l'impression sombre et mystérieuse que devait produire ce sanctuaire ne peut donc exister que dans l'imagination. C'est absolument le même contre-sens qui révolte à l'église souterraine du mont Cassin, où reposent les cendres de saint Benoît.

La cathédrale de Saint-Étienne n'a jamais été achevée; il n'y a de complet que son chœur, vraiment grandiose au dehors comme au dedans, orné de quelques beaux vitraux, mais que le cardinal de Joyeuse a surchargé au dix-septième siècle d'une sorte de jubé en forme de façade, à bas-reliefs et à arabesques de très-mauvais goût. La nef, bâtie par Ray

mond VI, pendant qu'il était assiégé par Simon de Montfort, n'a aucune relation avec le chœur qui est d'une époque postérieure: elle a été destinée depuis à servir de collatéral ; mais ce projet a été abandonné, et on s'est contenté de lui donner une largeur tout à fait disproportionnée à sa hauteur, et qui ne lui permet toutefois d'arriver que jusqu'au tiers de la largeur du chœur, dont les deux autres tiers sont brusquement terminés par un mur de refend. On a été obligé de masquer par des rideaux cette bizarre anomalie. La façade et le clocher sont également irréguliers.

On a ridiculement regratté et badigeonné les deux belles façades à tourelles crénelées de Notre-Dame de la Dalbade et de l'église du Taur. Celle-ci, bâtie, selon la tradition, sur le lieu où s'arrêta le taureau qui traînait le saint martyr Saturnin, patron de Toulouse, est remarquable par deux belles statues de saint François et de saint Dominique, de grandeur naturelle, nichées des deux côtés du portail, et comprises dans le blanchissage général. A la Dalbade, on a laissé, au milieu de la façade reblanchie, la couleur naturelle du temps à un charmant portail de la renaissance, où se trouve une statue de la sainte Vierge, avec ce distique :

Chrestien, si mon amour est en ton cœur gravé,
Ne diffère en passant de me dire un ave.

La nef large et hardie de cette église est défigurée par trois monstrueux autels à baldaquin qui en obstruent tout le fond.

A Saint-Nicolas il y a un portail curieux et un clocher à baies triangulaires, qui a eu le même sort que celui de SaintSernin, dont il reproduit le type: il a été badigeonné en rose. A Notre-Dame de Nazareth, chapelle assez écrasée du quatorzième siècle, il y a des vitraux d'un éclat surprenant;

je les crois les plus beaux de Toulouse. Enfin, si jamais vous passez à Toulouse, je vous prie de ne pas oublier une sainte Vierge, à mon gré délicieuse, placée au coin de la rue des Changes, dans une niche et sous un dais chargé d'ornements de la fin du quinzième siècle.

Je n'ai pas le courage de parler des autres églises qui, comme Saint-Pierre, Saint-Exupère, ont été hideusement modernisées et rendues complétement méconnaissables. Cette contagion a gagné la Daurade, fameuse basilique qui a été fondée par les Visigoths, et qui tire son nom de la dorure des anciennes mosaïques de l'époque hiératique.

Quant aux monuments d'architecture civile, il y a plusieurs hôtels du seizième et du dix-septième siècle, notamment l'hôtel Saint-Jean, ancien grand prieuré de Malte, et l'hôtel Daguin, qui ne me paraissent pas mériter la réputation qu'ils possèdent. Le palais de justice, qui datait de la même époque, de 1492, vient d'être complétement remis à neuf et abîmé. Dans sa forme actuelle, cela peut être tout ce qu'on veut, caserne, hôpital, prison. Cela ressemble à tout et ne ressemble à rien. On vous montre une salle d'assises toute neuve que l'on vante beaucoup, et dont la voûte est si prodigieusement élevée que toutes les paroles s'y perdent. Il y a encore le fameux Capitole, avec sa vaste et lourde façade, terminée en 1769, et tout à fait digne de son époque. On y voit le couperet qui servit à décapiter le duc de Montmorency, qui fut supplicié dans la cour intérieure de cet édifice : cela rapporte quelque profit au concierge, et par conséquent on le conserve. Que n'en est-il de même des débris de l'ancien Capitole qui vont s'effaçant chaque jour? La salle gothique du grand consistoire, ou conseil général de la commune, a été détruite en 1808, pour faire place à une salle de bal destinée à recevoir Napoléon lors de son passage à

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