marquable adressée à M. de la Mennais, le 5 janvier 1831, par briser les chaînes spirituelles du gallicanisme et du jansénisme dont on avait voulu envelopper sa jeunesse; puis il se livra pendant de longues années à l'étude, alors si inconnue et si négligée, de l'ordre social catholique pendant le moyen âge. L'admiration profonde et réfléchie que lui inspiraient l'organisation ancienne de la chrétienté, le saint-empire romain, les luttes héroïques du souverain pontife contre les empiétements de la puissance temporelle, s'unissaient chez lui à une vive sympathie pour le développement de la liberté moderne. Quoiqu'il eût connu et apprécié tout ce que les habitudes et les personnes de l'ancien régime pouvaient avoir d'attrait et de distinction, il n'avait que de l'éloignement pour les idées de la noblesse de cour et de la monarchie absolue. Sa nature élevée et délicate répugnait également à la servilité et à la licence. Il en donna une preuve remarquable en élevant à ses frais, dans l'église de Notre-Dame de Sablon, un monument à Agneessens, à cet admirable bourgeois de Bruxelles qui donna, au milieu de l'abaissement moral et politique du dix-huitième siècle, un si bel exemple de courage civil et chrétien, en mourant sur l'échafaud martyr des libertés communales et traditionnelles de la Belgique. De pareilles dispositions et les relations qu'il avait eu le mérite de rechercher et d'entretenir avec M. de Bonald et le comte de Stolberg l'appelaient naturellement au sein de cette école catholique qui commençait à lever son drapeau dans les dernières années de la Restauration. De concert avec son cousin germain, le savant et spirituel marquis de Beauffort, il adressa au Mémorial catholique divers travaux historiques et polémiques sur la question de l'ultramontanisme et sur plusieurs autres qui comptent au nombre des meilleurs articles de ce recueil. Plus tard, dans un livre excellent intitulé: De l'esprit de vie et de l'esprit de mort, ces deux nobles collaborateurs publièrent le résumé de leur doctrine sur la philosophie de l'histoire et la politique catholique, et marquèrent ainsi leur place au premier rang des précurseurs de ce mouvement régénérateur dans l'histoire et dans la politique qui a décuplé de nos jours les forces du catholicisme. La révolution de septembre arriva, et l'indépendance de la Belgique fit briller d'un nouvel éclat l'antique illustration de la maison de Mérode, dont le comte Henri était devenu le chef par la mort récente de son père. Tandis que le comte Frédéric, son frère puîné, arrosait de son sang héroïque le nouvel édifice de la nationalité belge; tandis qu'un autre de ses frères, le comte Félix, était appelé à siéger successivement au gouvernement provisoire, au congrès national, au ministère des affaires étrangères et de la guerre, le comte Henri entrait au Sénat, et donnait un gage éclatant de son dévouement à la royauté nouvelle en autorisant sa femme à accepter la charge de dame d'honneur de la reine des Belges. Sa passion pour la vieille liberté des peuples catholiques l'avait prédisposé à tout ce qui pouvait consolider l'émancipation de sa patrie. La confiance du roi l'appela bientôt à représenter la Belgique dans deux occasions solennelles lors de l'avènement de l'empereur Ferdinand d'Autriche, et au sacre de ce monarque comme roi de Lombardie et de Venise. Le comte de Mérode accepta avec empressement la noble mission de représenter, à la cour des anciens souverains de la Belgique, son pays désormais élevé au rang des nationalités incontestées et officielles. Il fut reçu à Vienne comme il devait l'être, dans la capitale d'une monarchie que ses ancêtres avaient servie avec tant d'éclat pendant trois siècles, et où il comptait encore tant de parents et d'alliés. Mais, comme ses ancêtres, et selon l'antique habitude de la noblesse, il voulut faire la guerre ses dépens, et prit à sa charge tous les frais de ses deux ambassades, en digne descendant de son bisaïeul, le maréchal de Mérode-Westerloo, qui avait perdu quatre-vingts chevaux au service de la France dans la seule campagne de 1704. La vie publique n'interrompit pas ses studieuses préoccu pations; et celles-ci se combinaient heureusement dans sa vie avec un goût prononcé pour les relations de société. Avec toutes les idées et les connaissances d'un homme des temps nouveaux, il aimait le monde comme un homme d'autrefois, et y portait toutes les qualités qui rendent les relations sûres et aimables. Sa mémoire prodigieuse, son instruction si variée, l'aménité inaltérable de son âme, son grand usage du meilleur monde, répandaient sur sa conversation un charme que ne sauraient oublier ceux qui en ont joui. On respirait auprès de lui le parfum de cette courtoisie, que saint François d'Assise a si bien nommée la sœur de la charité. Il était l'ennemi juré de la morgue, du dédain, de cette hardiesse froide du maintien qu'on rencontre aujourd'hui trop souvent dans le grand monde. Un mot de lui peint bien la surprise et l'éloignement que lui inspiraient les allures de certaines personnes qu'il rencontrait: Ils prennent, disait-il, l'insolence pour la dignité. Chez lui, une politesse exquise, une gaieté sincère, quelquefois une ironie discrète, tempérée par le besoin constant de mettre les autres à leur aise, s'alliaient avec cette dignité calme, simple et complète, qui sort, comme dit Saint-Simon, de la nature des choses. Un esprit aussi cultivé ne pouvait manquer d'aimer les arts; il en avait le goût et l'intelligence. La musique l'occupa souvent et avec succès; mais il sut surtout témoigner le prix qu'il attachait à encourager les artistes ingénieux et modestes, en consacrant sa fortune à la restauration des vieux châteaux de sa famille. Il y déployait, comme dans toutes les habitudes de sa vie, cette générosité qui a été jusqu'à nos jours le trait distinctif des gens bien nés. Profondément attaché à sa famille, heureux de vivre au sein des affections domestiques et des occupations les plus dignes d'un homme de sens et de cœur, il touchait aux portes de la vieillesse, lorsque la main de Dieu, qui ne permet jamais aux chrétiens de traverser la vie sans épreuve, vint s'appesantir sur lui. Il lui fallait connaître la douleur afin de couronner dignement une vie qui n'avait pas cessé d'être agréable à Dieu et aux hommes. Ses dernières années se consumèrent au milieu de vives souffrances nerveuses, qui ne pouvaient être adoucies que par cette religion dont il avait toujours si franchement pratiqué les devoirs et revendiqué les droits. Entouré des soins tendres et infatigables de sa noble compagne, de son jeune fils et de sa fille, mariée depuis trois ans au marquis de Lévis-Mirepoix, il rendit son âme à Dieu le 22 septembre 1847. Outre les écrits que nous avons déjà signalés, et qui méritent l'attention de tous les amis de la vérité catholique, le comte de Mérode a publié, en 1839, les mémoires très-curieux et très-instructifs de son bisaïeul, feld-maréchal sous l'empereur Charles VI. Il a de plus laissé deux volumes de souvenirs, imprimés seulement pour ses parents et amis, mais qui seront recherchés avec soin et lus avec intérêt par tous ceux qui tiendront à juger notre époque d'un point de vue élevé et bienveillant, et à apprécier un homme fait pour marquer et honorer la transition du passé à l'avenir, M. LE COMTE DE TASCHER ANCIEN PAIR DE FRANCE (1859) C'était un noble et touchant usage de l'ancienne pairie, comme l'a dit ici même l'un de ses plus illustres membres', que l'obligation de consacrer un hommage public aux pairs de France décédés. Une assemblée politique se rend à ellemême honneur et service quand elle dérobe quelques instants à ses luttes ou à ses travaux ordinaires pour les consacrer à de pieux et pacifiques souvenirs, quand elle entremêle aux préoccupations de la vie courante les fortes et salutaires leçons de la mort. Encore aujourd'hui ses membres dispersés, à mesure qu'ils voient disparaître leurs anciens collègues et s'éteindre une à une des lumières longtemps éclatantes ou secourables, se doivent à eux-mêmes de rendre un dernier témoignage au souvenir d'une si glorieuse confraternité. Le Journal des Débats me permettra de remplir dans ses colonnes la tâche que j'aurais certainement essayé d'accomplir, si la Chambre des pairs était restée debout, pour honorer la mémoire de M. le comte de Tascher, décédé le 15 décembre dernier. Ferdinand de Tascher était né en 1779, d'une ancienne et noble famille de l'Orléanais, qui doit sa principale illustration à l'impératrice Joséphine, mariée à seize ans à M. de Beauharnais, en l'année même où naquit notre regretté collègue. Après son second mariage avec le général Bonaparte, elle fit M. de Barante. Nécrologie du président Boullet. |