Page images
PDF
EPUB

qui scella la résistance triomphante de l'Église, les plus magnifiques éloges : « Grand et saint Pape, vrai pasteur et vrai père commun, tel qu'il ne s'en voit plus que bien rarement sur la chaire de saint Pierre, et qui emporta les regrets universels, comblé de bénédictions et de mérites... dont la mémoire doit être précieuse à tout Français, et singulièrement chère à la maison régnante. »

Il se permet, il est vrai, de singulières licences à l'endroit du clergé, autorisé, d'une part, par les habitudes de son temps, et, de l'autre, par l'intégrité non suspecte de sa foi et de ses mœurs. Ici c'est l'abbé de Vaubrun, « vilain et dangereux escargot, qui cherche à se produire à la cour et à s'y accrocher; » là, c'est l'abbé de Pompadour avec son laquais « presque aussi vieux que lui, à qui il donnait, outre ses gages, tant par jour pour dire son bréviaire à sa place, et qui le barbotait dans un coin des antichambres où son maître allait. » Plus loin, ce sont je ne sais quels missionnaires, qu'il traite de «< cagots abrutis. » Il en veut surtout aux « barbes sales» de Saint-Sulpice, et, chose à remarquer, on voit que cette savante, modeste et illustre congrégation, dénoncée de nos jours comme gallicane, malgré le récent et glorieux souvenir de la résistance de M. Emery à Napoléon, était, au temps de Saint-Simon, tenue pour le réceptacle de l'ultramontanisme le plus violent, comme s'il était dans sa destinée d'être toujours méconnue par les esprits extrêmes des partis les plus opposés. Si gallican qu'il soit, il traite les évêques encore plus mal que les papes; ce sont tantôt des «< cuistres violets,» tantôt des « pieds plats, des gens de rien et du plus petit génie. « M. de Chartres, dit-il, avait farci l'épiscopat d'ignorants, de gens inconnus et de bas lieu, qui tenaient le Pape une divinité. »

Oui; mais, dès qu'il se trouve en présence d'une vraie

Euvres. vi. - Art et Littérature

32

vertu épiscopale, il se répand en éloges et en admirations. C'est d'abord Bossuet, « le dictateur de l'épiscopat et de la doctrine,» Bossuet, «< toujours doux et de bonne foi, »> dont il prend vigoureusement le parti contre Fénelon, avec une justesse d'esprit et une impartialité qui étonnent chez cet ami intime de tout le petit troupeau du quiétisme; Bossuet, qu'il venge par avance des calomies de l'abbé Rohrbacher et autres par ce suffrage irrécusable : « Le roi s'était plus d'une fois adressé à lui dans les scrupules de sa vie. Bossuet lui avait souvent parlé là-dessus avec une liberté digne des premiers siècles et des premiers évêques de l'Église. Il avait interrompu le cours de ses liaisons plus d'une fois; il avait osé poursuivre le roi, qui lui avait échappé. Il fit à la fin cesser tout commerce, et il acheva de couronner cette grande œuvre par les derniers efforts qui chassèrent pour jamais madame de Montespan de la cour. »

Puis, c'est Fénelon, dont nul n'a fait mieux valoir l'illustre soumission à Rome, « si prompte, si claire, si publique, et si généralement admirée, dans les termes les plus concis, les plus nets, les plus forts'. » C'est encore la Hoguette, archevêque de Sens, qui refuse le cordon bleu malgré les instances du roi, parce que sa naissance trop obscure ne lui permet pas de faire les preuves exigées par les statuts, et dont << rien ne peut ébranler l'humble attachement aux règles et à la vérité. » C'est Nesmond, archevêque d'Alby, qui, dans son admirable et hardie harangue au roi sur la « rigueur déployée à plein des impôts, outre l'écueil inévitable de

1 C'est donc de tout notre cœur que nous vous exhortons à une soumission sincère et à une docilité sans réserve, de peur qu'on n'altère insensiblement la simplicité de l'obéissance pour le Saint-Siége, dont nous voulons, moyennant la grâce de Dieu, vous donner l'exemple jusqu'au dernier soupir de notre vie. » (Mandement de Mgr l'archevêque duc de Cambrai touchant son livre des Maximes des Saints, du 9 avril 1699.)

l'necens répété et prodigué, surprit, étonna, enleva, en osant parcourir tous les tristes effets d'une si grande continuité d'exactions sur la partie sacrée du troupeau de Jésus-Christ qui sert de pasteur à l'autre. » C'est enfin le cardinal de Noailles, qui refuse à Dubois, ministre tout-puissant, le dimissoire nécessaire pour se faire sacrer archevêque de Cambrai; et cela, «< avec un air de douceur et de modestie, sans que rien le pût ébranler, gardant là-dessus un parfait silence, content d'avoir rempli son devoir, et y voulant mettre tout ce que ce même devoir y pouvait accorder à la charité, à la simplicité, à la modestie; d'autant plus loué et admiré, qu'il ne le voulut point être 1. »

Ses préventions contre les Jésuites ne l'empêchent pas de rendre pleine justice au père de la Chaise, le doux et indulgent commensal de Racine et de Boileau; de même qu'à Bourdaloue,<«< aussi droit en lui-même que pur dans ses sermons. » Il va jusqu'à reconnaître, au milieu de ses doléances et de ses contes risibles, que toute la Compagnie était recommandable par la » pureté d'une vie toute consacrée à l'étude, à la défense de l'Église contre les héré

Ajoutons, toujours d'après Saint-Simon, que Dubois obtint le dimissoire de l'archevêque de Rouen, puis un bref du Pape pour recevoir tous les ordres à la fois; qu'il se dispensa lui-même de toute retraite pour s'y préparer, et que, pour ne pas perdre de temps en actions de grâces après tout ce qu'il venait de recevoir, il vint le même jour au conseil de régence, où il dit au prince de Conti qu'il n'avait fait que suivre l'exemple de saint Ambroise, dont il se mit à raconter l'ordination qu'il étala. Saint-Simon y était. « Je n'entendis pas le récit, dit-il, car, dans le moment que j'ouïs saint Ambroise, je m'enfuis brusquément à l'autre bout du cabinet, de l'horreur de la comparaison. » On sait que ce même Dubois fut sacré successeur de Fénelon au siége de Cambrai par le cardinal de Rohan, qu'il présida l'assemblée du clergé, et fut enfin promu à la pourpre romaine sur la demande unanime de toutes les puissances catholiques, et grâce au crédit tout-puissant à Rome de l'Autriche, poussée par l'Angleterre, dont Dubois faisait les affaires en France. Il faut suivre dans Saint-Simon tout ce ricochet d'infamies pour juger de ce que l'Eglise a gagné à être protégée par la monarchie absolue.

tiques, et par la sainteté de leurs établissements et de leurs premiers Pères. » Il ajoute qu'il a lui-même connu parmi eux beaucoup de saints. Il avait d'ailleurs de la vie religieuse, du «< compte qu'un moine doit à Dieu de sa règle, » l'idée haute et pure qu'on s'en faisait au moyen âge, ce qui avait bien son mérite dans un temps où les abbayes, fondées naguère avec le patrimoine des riches, pour servir de patrimoine aux pauvres, devenaient le prix de l'ignoble faveur d'un chevalier de Lorraine ou d'un Dubois. Il faut d'ailleurs le dire à l'honneur de ce temps, si plein de misères et de scandales on voyait encore sans cesse surnager, chez les honnêtes gens de toute condition, et chez les plus illustres surtout, cet attrait de la retraite, de la vie régulière et cachée qui, pendant tout le moyen âge, peupla les cloîtres de l'élite de la noblesse. Saint-Simon, qui prétendait faire remonter l'origine de sa maison à ce Simon, comte de Vermandois, dont la conversion et la vie monastique forment une des belles pages du pontificat de saint Grégoire VII, que nous a raconté cent traits de même nature. C'est à lui nous devons de savoir que le neveu de Turenne, M. de Lorges, né protestant, converti par Bossuet en même temps que son oncle, et qui « abhorrait la contrainte sur la religion,» avait conçu le projet « d'achever sa vie à l'Oratoire, avec trois valets uniquement, dans une entière retraite et dans la piété. >> Le bâton de maréchal lui imposa d'autres devoirs. Mais tous ces vraiment illustres pensaient, comme leurs aïeux, qu'il fallait mettre un intervalle entre la vie et la mort et l'on voit le duc de Beauvillier, ayant à peine soixante ans, songer à quitter le ministère et la cour, et s'ouvrir à Saint-Simon sur l'envie qu'il a « d'achever sa vie chez lui, en solitude, à la campagne, et de s'y préparer avec plus de tranquillité à la mort. » De là, chez Saint-Simon

lui-même, au milieu de sa fougueuse préoccupation des hommes et des choses de la cour et du monde, cet amour pour la Trappe et le « délice » de ces séjours périodiques et prolongés dans ce « grand et merveilleux monastère'. >>

2

Qui sait s'il n'y rencontra pas Bossuet, qui, lui aussi, fréquentait assidûment la Trappe, et qui ne mourut que quand Saint-Simon touchait à la trentaine? L'abbé Ledieu nous raconte que l'évêque de Meaux fit, dans les vingt dernières années de sa vie, huit voyages exprès pour aller voir Rancé dans cette chère solitude dont il disait que c'était le lieu qui lui plaisait le plus après son diocèse. Il y vaquait à tous les exercices de la communauté, à tous les offices du jour et de la nuit. Avant vêpres on prenait un peu l'air à la promenade de l'étang ou dans les bois; les deux amis se séparaient de la compagnie pour s'entretenir ensemble, et c'était là tout leur plaisir. Pour moi, j'aime à me figurer Bossuet et Rancé sur la chaussée de cet étang, ou à l'ombre de ces grands bois du Perche, suivis à distance et quelquefois rejoints par Saint-Simon, et le jeune duc et pair prêtant une oreille respectueusement attentive à ce dialogue du génie et de la sainteté, dont il était si digne de comprendre et de refléter l'éclat.

J'insiste sur cette tendre et respectueuse affection pour Rancé, qui suffirait à elle seule pour l'honneur de sa vie. Dans ses vingt volumes il n'a consacré qu'une seule page à cette sainte mémoire, mais combien cette page la fait mieux comprendre et aimer que tout le livre de M. de Chateaubriand! Qu'on nous pardonne de la transcrire, elle est encore trop peu connue; et, d'ailleurs, je plains celui qui pourrait la relire sans émotion. « Mon père avait fort connu M. de la

'Lettre en tête de la nouvelle édition, p. 40.

2 Mémoires et Journal, t. I, p. 198.

« PreviousContinue »