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Le midi de la France, bien plus encore que le nord, est exposé à cette épidémie de la détrempe et du badigeon; car tous les ans le Dauphiné, la Provence, le Languedoc, sont envahis par une nuée de peintres itinérants venus d'Italie, et qui étendent leurs déprédations jusqu'aux bords de la Garonne et de ses affluents. Ils viennent offrir leur talent au rabais dans toutes les localités, et n'épargnent pas même les plus humbles paroisses de campagne. Il est bien rare qu'un curé résiste à la tentation de remettre à neuf pour une somme minime son église, et de signaler ainsi son administration. Il y cède en général et malgré l'opposition fréquente des paysans, chez qui j'ai trouvé souvent la répugnance la plus louable pour ces rajeunissements.

Il en résulte les choses à la fois les plus grotesques et les plus tristes. Parmi ces belles églises des provinces riveraines du Rhône, il n'y a guère que celle de Saint-Maximin, la plus célèbre de la Provence, qui ait échappé jusqu'à présent à la brosse dévastatrice, grâce au bon esprit de son curé, M. Laugier. Mais à Saint-Marcelin, la principale église, d'une vêtusté très-remarquable, a été décorée d'une malheureuse fresque qui représente le jugement dernier, et au centre de laquelle domine une figure du Père éternel à chevelure rousse, avec la signature de l'artiste tout au long, et cette inscription parfaitement convenable: Terribilis est locus iste. Mais à Valence, la cathédrale, édifice à plein cintre d'une haute antiquité et d'une beauté réelle, a été repeinte en entier au dehors comme au dedans, et, de plus, complétement défigurée par des marbrures feintes et d'autres niaiseries semblables. Mais à Saint-Antonin, la merveille du Dauphiné, l'église consacrée d'abord par Calixte II en 1118, reconstruite à l'époque du gothique le plus élégant, église à cinq nefs et à la voûte d'une élévation prodigieuse, appuyée sur une ter

rasse de maçonnerie de cent pieds de haut et de vingt pieds d'épaisseur, s'élevant solitaire et cachée presque à tous les yeux, loin de toute route, de toute rivière navigable, de tout moyen de transport, dans un désert où la foi seule pouvait faire surgir un pareil prodige, cette admirable église a vu ses cinq nefs enluminées, avec la plus impitoyable exactitude, de toutes les couleurs qui embellissent ordinairement un cabaret. Mais ce qui dépasse tout, à Avignon, ville qui semble dévouée à une persécution spéciale, la célèbre cathédrale de Notre-Dame des Dons, fondée sous Charlemagne, a subi dernièrement l'outrage d'un badigeonnage général. Rien n'a pu arrêter la fougue des restaurateurs. Il y a une chapelle où Charlemagne fonda une de ses écoles de plain-chant, et où se trouve scellée dans le mur la chaire en ogive d'une charmante simplicité, qui servait de trône pontifical aux Papes du quatorzième siècle; cette chapelle a été souillée des peintures les plus risibles: c'est à peine si l'on a épargné le magnifique mausolée de Jean XXII, type des tombeaux à dais et à pendentifs du quatorzième siècle. Sans doute pour échapper aux dangers de la concurrence, la même brosse a effacé jusqu'à la dernière trace d'une fresque inappréciable, attribuée à Simon Memmi de Sienne, l'ami de Pétrarque et de Laure, et où il avait représenté les deux amants sous les traits de saint Georges et de la vierge qu'il délivre du dragon. On en montre encore la place toute blanche!

Passez le Rhône, parcourez le Languedoc et la Guyenne, remontez jusqu'à la Loire, partout le même système. Je parlerai tout à l'heure en détail de Toulouse. A Foix, la principale église, très-beau vaisseau gothique à une seule nef, a été indignement abîmée, il y a peu d'années : les colonnes du choeur ont été transformées en pilastres ioniques avec accompagnements de chérubins en faïence. A Villeneuve d'Agen,

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la voûte extrêmement curieuse du chœur de Sainte-Catherine a été triplement badigeonnée en vert, jaune et blanc. A Agen, le curé de Notre-Dame, ancienne église des dominicains, à deux nefs, d'un gothique sévère et pur comme toutes les fondations de cet ordre, a dépensé quatre-vingt mille francs pour faire construire, à l'extrémité de chaque nef, un monstrueux autel dans le genre Pompadour, avec volutes, gonflures, et tout ce qui caractérise le bon goût du dix-huitième siècle; plus une chaire en marbre creusée dans un des murs latéraux en forme de coquetier. Je n'ai pas été à Montauban ; mais un jeune homme que j'ai vu ramassait, il y a quelques mois, dans la chapelle d'une confrérie, des têtes charmantes provenant de sculptures du moyen âge que le ciseau d'un maçon faisait voler en éclats. A Auch, dans un diocèse administré d'une manière si éclairée par M. le cardinal d'Isoard, on avait sérieusement arrêté la démolition du jubé de l'admirable cathédrale, monument presque unique dans le midi de la France, mais qui avait le tort d'empêcher les fidèles de jouir assez complétement de la vue de l'officiant. Et ce honteux projet n'a été arrêté que par l'intervention d'un jeune homme étranger au pays.

A Périgueux, la cathédrale de Saint-Front, l'une des plus anciennes de France, dont toutes les parties, moins le clocher, sont antérieures au douzième siècle, a été badigeonnée en jaune du haut en bas, et pour mieux trancher sur le jaune, les pilastres, le profil des pleins cintres, les bordures des arcades ont été peints en orange rougeâtre. Le portail de l'église encore plus ancienne de la Cité a été détruit et remplacé par une sorte de porte cochère bien blanche, bien nue et bien triangulaire. Au-dessus de cette nouvelle entrée de la maison de Dieu, et sans doute pour sa plus grande gloire, se lit en grandes lettres le nom du destructeur et du reconstruc

teur, VIGER 1829. Ce monsieur a sans doute voulu se recommander ainsi à la publicité: je m'empresse de concourir autant que je le puis à l'accomplissement de son vou.

A Bazas, jolie petite ville du Bordelais, il y a une merveilleuse cathédrale du gothique le plus pur, sans transepts, qui rappelle l'église de Caudebec, que Henri IV appelait la plus belle chapelle qu'il eût jamais vue de sa vie, parce qu'il lui répugnait de donner le nom d'église à un édifice qui ne fût pas en forme de croix. Cette cathédrale est excellente de simplicité, d'élégance, d'unité. Les sculptures des trois portails de sa façade offrent des beautés du premier ordre: elles représentent la vocation de saint Pierre, le couronnement de Notre-Dame et le jugement dernier, avec le cortége obligé de saints et d'anges nichés dans les arceaux mêmes. Les anges qui présentent les âmes à Notre-Seigneur, et les morts qui brisent leurs tombeaux, sont surtout étonnants de hardiesse et d'expression. Tout ceci, grâce au ciel, a échappé tant bien que mal, ainsi que la nef, qui, par une exception presque miraculeuse, laisse voir les joints de ses vieilles pierres. Mais on s'est dédommagé dans les bas-côtés: ils ont été peints en blanc jaune à l'intérieur, et en gris bleu au dehors: de plus, dans chacune des chapelles, on a peint deux cassolettes, comme on en voit sur les enseignes des parfumeurs qui vendent l'eau des odalisques, à cela près qu'elles sont de grandeur colossale, et qu'il s'en échappe le long du mur des torrents de flamme du plus bel écarlate et une fumée proportionnelle. Vous concevez l'effet que cela produit au fond d'une sombre chapelle à voûte ogivale et à fenêtres trilobées.

Je pourrais encore nommer comme victimes de semblables dévastations les églises de Langon, Angoulême, Bergerac; et sur les bords de la Loire, Saint-Pierre de Saumur, le

charmant oratoire de Louis XI; enfin, à Candes, la belle église bâtie sur le site où mourut saint Martin, et où se passa, au sujet de ses reliques, la célèbre dispute des Poitevins et des Tourangeaux, dont saint Grégoire de Tours nous a conservé le touchant et poétique récit. Louis XIV en commença la maladroite restauration, qui a été complétée dernièrement par un replâtrage général.

Mais je n'ai été nulle part plus indigné que dans un bourg du Périgord, nommé Beaumont, où j'avais été attiré par la célébrité dont jouit, dans les histoires du pays, son église, bâtie du temps des Anglais en 1272. J'y ai été témoin d'un vandalisme sans pareil. L'extérieur, crénelé comme une forteresse, ce qui se retrouve dans beaucoup d'églises de ces contrées, et la façade, avec une galerie à balustrade en ogive tréflée et une corniche qui représente les signes du zodiaque, ont été épargnés; mais à l'intérieur, quelle ruine! La voûte en pierre avait eu besoin de quelque réparation, un travail facile y aurait remédié, de l'avis même du plâtrier chargé de sa démolition; mais, par sentence de M. l'ingénieur des ponts et chaussées de l'arrondissement, la voûte entière avait été abattue, et ses élégantes ogives remplacées par une sorte de toit bombé en bois blanchi. Les clefs de l'ancienne voûte étaient des morceaux d'excellente sculpture, composés d'un sujet en ronde-bosse sur un plan circulaire et rattaché à la voûte par quatre têtes de saints et d'évêques. Le susdit plâtrier avait eu le bon esprit de copier ces sculptures sur les clefs de sa voûte en bois; mais savez-vous où j'ai trouvé les originaux? jetés hors de l'église qu'ils avaient ornée pendant tant de siècles, ramassés en tas, confondus avec les débris de pierre provenant de la destruction, et destinés comme eux à être vendus pour faire des cartelages, car c'est ainsi qu'on nomme, dans le pays, des matériaux propres à des constructions nouvelles.

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