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développe d'une manière irréfutable, savoir: que la guerre faite au protestantisme par Louis XIV n'eut absolument rien de commun avec l'influence de madame de Maintenon; que le premier édit contre les protestants date de l'époque de la plus grande faveur de mademoiselle de La Vallière, du 1er février 1669, un mois avant la représentation solennelle du Tartuffe en présence du roi, et que les mesures les plus odieuses contre les protestants sont contemporaines du double amour de Louis XIV pour mademoiselle de Fontanges et madame de Montespan. En outre, M. de Falloux montrait que ce fut au temps où ce qu'on appelle le joug de madame de Maintenon était le plus assuré que le roi commença à se relâcher successivement de sa rigueur. Il établissait à la fois la complicité universelle des laïques dans la persécution et l'absence presque complète de l'intervention du clergé. Il établissait surtout qu'on ne saurait citer un acte d'intolérance catholique qui n'eût été précédé et dépassé par l'intolérance des protestants, et qu'en Angleterre, notoirement, la conduite du parlement à l'encontre de Charles II et de Jacques II, qui voulaient l'émancipation des catholiques anglais, pouvait autoriser, d'après les idées du temps et comme de fatales représailles, l'abolition de l'émancipation des protestants français par Louis XIV. M. de Falloux, comme on doit s'en souvenir, a conduit et terminé cette polémique avec l'énergie calme et concluante dont il a le secret. Dans ces pages fugitives de l'historien de Pie V, que nous rappelons avec une satisfaction mêlée de quelque orgueil, on aime à trouver déjà ce qui depuis a frappé tous les regards, le mélange de qualités heureuses et rares qui lui permettent de résumer en sa personne ce qu'il y a de plus enviable et de plus estimé dans les luttes d'ici-bas, la grâce dans la force.

Il nous a semblé que les deux noms de M. le duc de Noailles

et de M. de Falloux se rapprochaient autrement encore que par le grave sujet auquel se rattachent leurs travaux historiques.

Tous deux représentent les idées élevées, la raison éclairée et fortifiée par de douloureuses expériences, la liberté vraie, le patriotisme de bon aloi, le dévouement généreux au bien général, en un mot, tout ce que la France, rendue à ellemème, proclame, admire et désire. La société sent bien qu'elle ne peut plus vivre sans les vérités que ces deux hommes de cœur et de bien ont si noblement servies, l'un par sa plume désormais consacrée par le succès, l'autre par sa parole, si jeune encore, et déjà si mâle, si écoutée et si puissante. Grâce à Dieu, tous deux serviront longtemps encore la bonne cause dans la carrière où les appellent l'estime publique et la justice de leurs contemporains; et nous ne devons pas désespérer d'un pays, d'une époque qui ouvre les portes de l'Académie à M. le duc de Noailles, et celles du pouvoir à M. de Falloux.

(Correspondant du 7 janvier 1849.)

IV

MADEMOISELLE DE MELUN

VIE DE MADEMOISELLE DE MELUN

PAR M. LE VICOMTE DE MELUN'.

(1855)

Voici un court volume qui charmera tous ses lecteurs. Il nous révèle à la fois, dans l'ancienne France, une sainte et noble femme de plus, et, parmi nous, un véritable écrivain.

Dans le grand siècle, on aime et on recherche avec raison tout ce qui échappe plus ou moins à l'orbite de ce grand roi dont l'égoïste splendeur fatigue tous ceux qu'elle n'a pas aveuglés. Née en 1618, Anne de Melun appartient à cette première moitié du dix-septième siècle que M. Cousin et M. Foisset ont en quelque sorte découverte chacun de leur côté, et qui a donné à l'Église, aux lettres, à la société française, leurs plus nobles représentants dans l'histoire moderne. Elle tenait, du reste, par son illustre origine, à la Belgique plus encore qu'à la France. Son aïeul, le second prince d'Épinoy, avait été l'un des principaux compagnons d'armes du grand prince d'Orange. Son père, élevé près de notre Henri IV, prit une part considérable à la tentative que firent, en 1632, les chefs de la noblesse belge pour secouer le joug de l'Espagne et créer une sorte de fédération catholique alliée aux Pays-Bas protestants. Issue de cette robuste souche, Paris, Jacques Lecoffre et Ce; 1855.

mademoiselle de Melun nous apparaît toute parfumée de la solide vertu et de la piété expansive qu'on respirait à la cour d'Albert et d'Isabelle, de ces archiducs dont la souveraineté avait semblé, pendant trente ans, consacrer l'indépendance du peuple belge, et dont le règne est demeuré l'âge d'or de son histoire. Toutefois, cette contemporaine de saint Vincent de Paul se rattache aussi à ce que nous avons de plus grand et de plus pur par le caractère de son dévouement à Dieu et aux pauvres, et parce qu'elle a choisi la France pour y ensevelir, dans un hôpital, le sacrifice de sa grandeur et la féconde énergie de sa volonté.

On verra, dans le récit de son arrière-neveu, par quelles voies elle fut conduite de la cour de l'infante au chapitre de Mons, et du sein de cette grande corporation nobiliaire, jusqu'au fond d'une bourgade de l'Anjou, à Baugé, où l'HôtelDieu qu'elle a fondé est encore debout. Son nom, resté populaire dans cette province, y proteste contre l'oubli et l'ingratitude habituels aux générations modernes, et même un peu contre ces paroles de son historien, si tristement vraies quand il s'agit de l'histoire en général : « Dans la répartition de la gloire humaine, ceux qui pansent et ceux qui guérissent ne font jamais autant de bruit que ceux qui frappent et qui blessent; on dirait que l'humanité, dans la conscience des corrections qu'elle mérite, n'a de reconnaissance que pour le mal qu'on lui fait et pour les coups qu'elle reçoit. >>

Ce qu'il faut surtout remarquer quand on lit la vie des saints et des grands chrétiens d'un temps si peu éloigné, mais si complétement différent du nôtre, c'est la nature et l'étendue du sacrifice que faisaient alors les âmes qui quittaient le monde pour Dieu. Quand on abandonnait son nom, sa famille, sa patrie comme mademoiselle de Melun, quand on recherchait l'oubli et le néant pour y sauver son âme et y

servir son prochain, on descendait d'une hauteur dont rien ne peut donner l'idée dans la confusion de notre société nivelée et labourée par les révolutions. On échangeait contre cette obscurité volontaire une lumière, un éclat visible à tous et recherché par tous. On renonçait à une supériorité d'autant plus précieuse qu'elle était incontestée, et qui semblait bien moins donner satisfaction à l'orgueil de quelques races privilégiées que sortir de la nature des choses et des conditions fondamentales de toute société. Mais pour certaines âmes cette élévation même où elles naissaient ne servait qu'à leur donner, avec un regard jeté de plus haut sur la vanité de toute grandeur d'ici-bas, la force et la générosité qui rendent seules capables de conquérir le ciel.

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Anne de Melun était de celles, plus nombreuses qu'on ne pense, dont le cœur faisait écho à Bossuet s'écriant au milieu des seigneurs et des grandes dames de son temps : « Mourez, « orgueil humain! mourez, curiosité, empressement, désir <«< de paraître... Néant superbe, que faut-il donc pour te « rabaisser, si un Dieu anéanti n'y suffit pas? » Et ailleurs : << Il faut descendre, quelque grand qu'on soit, descendre << pour s'humilier... descendre pour compatir, pour écouter <«< de plus près la voix de la misère qui perce le cœur. » Mademoiselle de Melun devance les enseignements de cette voix incomparable. A trente et un ans, elle se dérobe aux hommages, aux agréments et à tous les avantages de la vie séculière, et s'en va de par le monde, un peu à l'aventure, avec la seule résolution de s'enfoncer dans l'obscurité, et de s'arrêter au lieu que lui indiqueraient la Providence et le bien à faire. Un jour, elle dit : « C'est ici que Dieu me veut. » Aussitôt elle se met à l'œuvre, et cette fille sortie du milieu de ces riches superbes et impitoyables, et de la cruauté de leur luxe, pour parler encore comme Bossuet, consacre ses

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