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Louis XIV. On a pardonné à celui-ci sa grandeur et sa foi en considération de ses faiblesses; on n'a jamais pardonné à celle-là d'être restée pure au milieu des séductions de sa jeunesse et des dangers de la cour. On a identifié son nom et son image avec la tristesse, la sombre et fanatique dévotion. M. Thiers lui-même a sacrifié à ce préjugé dans les admirables pages qui terminent son livre De la Propriété, lorsqu'il peint Louis XIV « devenu vieux, et passé de la tendresse de madame de La Vallière à la triste domination de madame de Maintenon. » Armé des détails si précis et si authentiques que l'arrière-neveu de madame de Maintenon a réunis pour en faire hommage à la justice et à la vérité, nous soutiendrons désormais que cette domination, si elle fut réelle, ne fut jamais triste, et que la relation qui fit du grand roi d'abord l'ami, puis l'époux de la veuve de Scarron, fut une gloire pour lui devant Dieu, et fit son bonheur le plus pur et le plus durable sur la terre.

D'ailleurs rien de moins triste, dans tous les sens du mot, que la personne et la nature de madame de Maintenon. M. le duc de Noailles a combattu cette erreur populaire par les preuves les plus péremptoires. Le témoignage des contemporains est unanime pour constater que peu de femmes, dans cette société française où le rôle de la femme a toujours été si grand, ont exercé une influence plus irrésistible, un attrait plus universel sur tout ce qui l'approchait. Elle fut, comme dit l'auteur, une des femmes les plus charmantes de cette époque où il y en avait tant. Son éclatante beauté, son esprit, son instruction, son rare talent d'écrire, la suave distinction de ses manières et de son langage, ce que mademoiselle de Scudéri appelait sa mélancolie douce et ses appas inévitables, en faisaient un type accompli, qui serait à coup sûr resté populaire parmi nous, comme Agnès Sorel et mademoiselle de

La Vallière, si, comme elles, madame de Maintenon avait fait céder le devoir à la passion.

Mais ce qu'on ne lui pardonne pas, depuis que le dix-huitième siècle a souillé toutes nos gloires, c'est d'avoir été à la fois charmante et irréprochable. Et c'est là précisément ce qui doit lui valoir le respectueux hommage de tous les cœurs droits, délicats et chrétiens. Lancée à dix-sept ans dans une société plus que légère, exposée à toutes les tentations que comportaient les mœurs du temps et dont son âge, sa beauté, et sa pauvreté même augmentaient le nombre et les dangers, elle sut rester pure, et sa renommée, si calomniée depuis, demeura toujours intacte pour les contemporains de sa jeunesse. Le cynique Tallemant des Réaux lui rend un témoignage à peu près unique dans sa bouche, et Ninon de Lenclos, de son propre aveu, désespéra de la corrompre parce qu'elle craignait trop Dieu. C'est que dès lors, au milieu des seigneurs libertins et des femmes galantes de la société de Scarron, comme plus tard à côté du trône de Louis XIV, elle met sa gloire à être pieuse et pure. Elle veut, comme elle dit, être aimée de tout le monde et de personne en particulier. Elle sent qu'elle est née pour un sort moins obscur, et elle place son ambition là où personne ne la place d'ordinaire, à se tirer de la médiocrité par une conduite sans reproche et une réputation sans tache. « Je voulais de l'honneur, » dit-elle en s'en accusant plus tard par humilité chrétienne, «< je vou<«<lais être approuvée des gens de bien. C'était mon idole. « J'en suis peut-être punie présentement par l'excès de ma «< faveur.... » Que les chrétiens lui sachent gré au moins d'avoir ainsi préservé sa jeunesse et honoré sa pauvreté, en laissant aux jeunes femmes du monde un exemple digne d'éternelle mémoire. C'est ainsi qu'elle se préparait dignement, quoique dans l'ombre, à devenir la compagne du plus

superbe des rois. Elle sut résister au changement graduel et prodigieux de sa situation, comme à tous les autres dangers de sa vie, et cela par une raison bien simple: « Je remarque, « écrivait-elle à son confesseur, que les pas que j'ai faits vers <«< la piété ont toujours été à mesure que ma fortune est deve«nue meilleure. >>

Il n'y a rien de plus habile, disait-elle encore, qu'une conduite irréprochable. Et c'est à l'aide de cette maxime, dont elle avait su si bien faire une pratique, qu'elle put s'engager, et non s'égarer, dans la vie de la cour et dans cette relation si compromettante et si difficile avec madame de Montespan, dont elle voulait bien être l'amie, mais non la complaisante. Elle possédait au plus haut point la science des convenances et l'art des positions délicates. Mais nous aimons à croire qu'elle fut plus aidée encore par la solidité de sa vertu et la délicatesse de sa conscience. Nous renonçons à suivre M. le duc de Noailles dans le récit de cette lutte mémorable et dans cette appréciation de la situation des trois personnages que la finesse de son esprit et la grâce de son style pouvaient seules réussir à peindre. Nous allons droit au grand spectacle qu'il nous décrit si bien, lorsque madame de Maintenon, elle-même déjà sur le retour, et dépouillée par le temps de l'attrait de sa jeunesse et de sa beauté, sut l'emporter dans le cœur du roi et sur l'éclatante jeunesse de mademoiselle de Fontanges et sur l'empire invétéré des charmes de madame de Montespan; lorsque cet orgueilleux, ce passionné, cet homme encore à la fleur de l'âge, ce roi ivre de lui-même et enivré par l'adoration de tout ce qui l'entourait, fut ramené par elle au devoir, à la raison, à la vertu et à la reine. «< Voilà, comme l'a si justement reconnu M. Roederer dans son Histoire de la société polie en France, voilà le véritable titre de madame de Maintenon au respect général. Là

sa vertu éclate avant tous ses autres mérites. Là nul soupçon d'intérêt personnel ne peut l'atteindre, puisqu'elle reconduisait vers la reine des désirs qui s'étaient éveillés pour elle. >>

Madame de Maintenon fit donc ce que n'avait pu faire Bossuet; et cette victoire nous paraît plus merveilleuse et plus méritoire que celle qui, plus tard, lui valut, à cinquante ans, la main de Louis XIV, plus jeune qu'elle de trois ans. Mais, au sein de cette élévation extraordinaire et dont nos mœurs modernes et l'état du monde actuel ne nous permettent pas de nous former une idée exacte, le caractère de cette femme illustre ne se dément pas. M. le duc de Noailles a parfaitement senti et parfaitement exprimé le tact, la réserve, la mesure, le mélange de dignité et de modestie, de délicatesse et d'aisance, qui rendirent pendant trente ans, non-seulement supportable, mais encore imposante et digne cette étrange position de madame de Maintenon, épouse légitime et non reconnue du plus grand roi de l'Europe. Il la montre gardant un secret impénétrable vis-à-vis de ses proches même; laissant tout deviner pour éviter le scandale, et ne voulant rien avouer pour rester fidèle à la modestie de son rang apparent; dominant le cœur et l'esprit du monarque qui était devant Dieu son époux, et cédant le pas, comme une simple marquise, aux femmes titrées. Il fait valoir à juste titre la discrétion et le désintéressement dont elle fit preuve à l'égard de sa famille, en un temps où les familles favorisées étaient l'objet de profusions si scandaleuses en fait de titres et d'argent. Il démontre, au moins pour l'époque dont ces deux premiers volumes s'occupent, qu'elle ne voulait pas gouverner l'État, comme on le lui a tant reproché. Surtout il relève ce qui fait la gloire chrétienne de madame de Maintenon, sa constante préoccupation de la loi de Dieu. Il résume ses recherches par un mot qui étonnera bien des lecteurs : La dé

Œuvres. VI.

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votion est ce qui domine dans sa vie. Et il a le droit de le dire en parlant de la femme qui, au sein de sa plus grande splendeur, réprimandait son confesseur de la contrainte qu'il manifestait envers elle, et terminait son admirable lettre à ce prêtre par ces mots : Je veux faire mon salut.

Gardons aussi une part de notre admiration pour ce superbe monarque qui sut sortir du désordre à l'âge que tant d'autres choisissent pour s'y plonger plus avant, et qui, se convertissant dans la force des ans, passa le reste de sa vie dans une fidélité scrupuleuse à ses devoirs. Mais, en reconnaissant les titres de Louis XIV à la réhabilitation morale que M. le duc de Noailles réclame pour lui, il faut se mettre en garde contre la prévention évidemment trop favorable de l'auteur pour le système politique du grand roi. Je m'étonne même de son indifférence en parlant de cette diplomatie si habile mais si déloyale, de cette politique tantôt si violente et tantôt si perfide, à l'égard de l'Espagne, de la Hollande, de l'Allemagne, de la Lorraine surtout, victime innocente et sans cesse renaissante de tous nos historiens1. Je ne puis accepter ce rapprochement qu'établit le noble auteur entre Louis XIV et Napoléon, entre les premières années du grand règne et cette époque du Consulat dont M. Thiers nous a tracé un tableau qui reste dans toutes les mémoires. Pour que ce rapprochement fût juste, il faudrait que la Fronde eût ressemblé à la Terreur. Heureusement pour la vieille France, il n'en était rien. Elle n'avait pas été arrachée de ses racines

'Il faut renvoyer les lecteurs qui ont encore quelque souci de la vérité historique à l'étude des faits et des sources en ce qui touche aux attentats de la monarchie française contre la Lorraine, telle que M. Guerrier de Dumast l'a si énergiquement commencée dans son beau et curieux livre sur Nancy (1848).

-Depuis lors, M. le comte d'Haussonville, dans son Пistoire de la réunion de la Lorraine à la France, a répandu, avec une souveraine impartialité, des flots de lumière sur ce triste côté de notre histoire (1860).

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