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si fécond en misères? Quoi de plus triste que ce rire qui s'arrache et qui ne répond à rien? Mieux vaut mille fois une larme même inutile, même sans motif, car du moins elle peut passer silencieuse et inaperçue...

(Avenir des 11 et 28 avril 1831.)

III

HISTOIRE DE MADAME DE MAINTENON

ET DES

PRINCIPAUX ÉVÉNEMENTS DU RÈGNE DE LOUIS XIV

PAR M. LE DUC DE NOAILLES

(Janvier 1849.)

Nous venons bien tard pour appeler l'attention et la sympathie de nos lecteurs sur ce bel ouvrage, et ce retard nous ôte l'avantage de la priorité, le seul que nous pussions disputer à l'écrivain érudit et spirituel qui en a rendu compte dans un autre recueil. M. Ampère a trouvé, pour définir la nature et le succès du livre de M. le duc de Noailles, une expression si juste et si vraie, que tout lecteur se figure volontiers l'avoir trouvée d'avance dans sa pensée. Il ne nous reste plus qu'à répéter, après lui, que « l'ouvrage de M. de Noailles, à force de contraste avec les circonstances, est presque un ouvrage de circonstance. »

Il faut donc remercier M. le duc de Noailles, non-seulement d'un bon livre, mais d'une bonne action; car c'en est une que de nous avoir donné, à nous autres pauvres citoyens de la république, au milieu de cette triste et fatale année 1848, deux magnifiques volumes dont la lecture repose en même temps qu'elle instruit. Grâces soient rendues à l'élé

gant et solide historien qui nous a retirés, pendant cette lecture, de l'atmosphère sordide et orageuse où nous avons eu tant de peine à respirer depuis dix mois, pour nous transporter dans une région sereine et élevée, où les meilleurs souvenirs de notre histoire sont éclairés par une lumière douce et durable, où l'âme se purifie, où l'esprit se redresse, et où le lecteur français apprend à se rappeler que la France a été longtemps regardée dans le monde comme le sanctuaire du goût, de l'ordre, du génie et de la grandeur.

Il a fallu un grand courage à l'auteur pour braver l'inopportunité apparente de sa publication, pour lancer une œuvre si laborieuse et si délicate au milieu de cette poussière, de ce bruit, de ce sang, de cette honte, où tant de bons esprits ont cru que toute littérature allait demeurer ensevelie. Mais, hâtons-nous de le dire, ce courage l'a bien servi. Il a obtenu un succès considérable et unanime, qui a dépassé peut-être son attente, mais non pas certes son mérite. Chacun a compris que ce livre était un service rendu, non-seulement aux lettres, mais au pays, à la société. Chacun, en l'admirant, en le louant, a cru acquitter une dette de reconnaissance et d'honneur à celui qui, sous la pression des hommes et des choses que nous avons subis, ne désespérait ni du bon goût, ni de la justice, ni de la vérité.

Il faut le dire, du reste, M. le duc de Noailles, resté jusqu'à ce jour en dehors de l'arène littéraire, et ne s'étant révélé au public attentif que par des discours politiques à la tribune de la Chambre des pairs, possède à un degré remarquable toutes les qualités nécessaires pour tenter une entreprise aussi hasardeuse et pour y réussir. On ne saurait dire avec quel plaisir on retrouve, à travers ces deux volumes, l'écrivain toujours délicat et distingué qui a su se maintenir à l'écart de tous les excès et de tous les défauts de son temps.

Tout en suivant la règle la micux adaptée aux historiens qui traitent d'une période déjà éloignée et dont l'histoire a été plus d'une fois écrite, tout en s'effaçant lui-même autant que possible pour laisser parler les contemporains et surtout l'héroïne de son livre, l'auteur a su marquer son œuvre d'un coin spécial et digne de lui.

Son style, à la fois noble et naturel, dépourvu de toute affectation et de toute enflure, est empreint d'une sobriété, d'une réserve et d'une simplicité qui n'exclut du reste ni la grâce, ni le trait, ni l'éclat. En un mot, c'est un style parfaitement adapté au sujet et à l'époque qu'il décrit.

On dirait, en le lisant, qu'il s'est formé dans cette société de la seconde moitié du dix-septième siècle dont il a su fixer le véritable caractère par un tableau si exact et si attrayant, que nous cédons à l'envie d'en citer un fragment comme la meilleure justification de nos éloges et le résumé fidèle du livre que nous avons sous les yeux. « Là, dit l'auteur en parlant de l'hôtel de Rambouillet, là commença, sous la protection des femmes, ce premier mélange des hommes de lettres avec les gens de la cour, sur un pied pour ainsi dire d'égalité toujours déférente d'une part et polie de l'autre, où les rangs se rapprochèrent sans se confondre et où la liberté ne fit pas oublier le respect; heureuse réunion qui forma plus tard les mœurs inimitables de notre patrie, longtemps admirée par l'étranger, où l'on voyait se concilier et se respecter tous les droits, ceux du rang et de la naissance, comme ceux de la supériorité et de l'empire de l'esprit. Ce fut là enfin que naquit réellement la conversation, cet art charmant, dont les règles ne peuvent se dire, qui s'apprend à la fois par la tradition et par un sentiment inné de l'exquis et de l'agréable, où la bienveillance, la simplicité, la politesse nuancée, l'étiquette même et la science des usages, la

variété de tons et de sujets, le choc des idées différentes, les récits fréquents et animés, une certaine façon de dire et de conter, les bons mots qui se répètent, la finesse, la grâce, la malice, l'abandon, l'imprévu, se trouvent sans cesse mêlés et forment un des plaisirs es plus vifs que des esprits délicats puissent goûter. »>

Ajoutons à cette énumération fidèle des qualités qui se reflètent dans le livre de M. le duc de Noailles un trait qui le relèvera surtout aux yeux de nos lecteurs. C'est la présence à peu près constante de la pensée religieuse. Si quelquefois elle semble disparaître du récit au milieu des joies et des agitations de ce monde si brillant, il en est d'elle dans le livre comme dans le siècle lui-même que le livre veut peindre. Elle reparaît bientôt, calme et forte, sans bruit et sans apparat, mais comme sûre de son empire. Dans les dernières pages elle s'élève à la hauteur de la véritable éloquence et répond au sentiment intime de toutes les âmes en indiquant, avec l'autorité du vrai, la seule conclusion désirable, la seule solution possible des difficultés de notre temps.

Tel est le guide qui nous prend comme par la main pour nous introduire dans la grande société du grand siècle. Et certes on ne se lasse point à le suivre. On erre au milieu de ces grands noms, de ces nobles femmes, de ces beaux esprits, de tous ces hommes de génie, de cœur et d'honneur, avec un indicible plaisir, avec une jouissance douce et réglée. Tout y respire le calme, l'ordre et la dignité. Tout y porte au respect et au devoir, et c'est ici qu'il faut encore laisser parler le noble écrivain qui a su si fidèlement reproduire l'esprit et le langage du dix-septième siècle :

« Ce qui se remarque surtout, dit-il, à cette époque, c'est le sentiment et l'habitude du respect répandus dans toutes les classes, sentiment qui honore et unit les hommes plus

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