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Chantre inspiré des traditions et des croyances chrétiennes, il gémit de honte et de colère sur les dévastations de la vieille Église, il prévoit l'aveuglement et la ruine des rois1, il ose proclamer au monde qu'il n'y a qu'une liberté vraie, la sainte liberté du Christ 2, il ose parler d'un Dieu libre et vengeur, dans un temps où ce Dieu n'était pour les uns qu'un instrument, pour les autres qu'un fantôme oppresseur! Chantre dévoué de la monarchie, il verse sur la tombe de Louis XVII une angélique élégie; il conduit à Saint-Denis Louis XVIII, et lui donne pour escorte l'image de ce géant qui ne put usurper un tombeau! il a des accents d'éloquente sympathie pour toutes les douleurs, tous les prestiges de l'antique royauté, et il ne s'en sépare qu'avec tristesse, et quand ellemême a répudié ses plus nobles soutiens. Également épris de notre vieille histoire et de notre jeune liberté, il maudit en vers admirables la gloire impie, en désastres féconde du grand despote enfanté par la révolution, et qui a si longtemps ébloui la France 3; puis se laissant séduire par le prestige d'une fortune si diverse, il s'attache au vainqueur impérial du monde, et ne le quitte qu'après avoir sondé le mystère profondément poétique de son existence1. Voué au

Odes, le Repas libre.

2 Odes, la Liberté, qui a pour épigraphe Christus liberavit nos.

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Peuples, qui poursuivez d'hommages

Les victimes et les bourreaux,

Laissez-le fuir seul dans les âges:

Ce ne sont pas là les héros !

Ces faux dieux que leur siècle encense

Dont l'avenir hait la puissance,

Vous trompent dans votre sommeil ;

Tels que ces nocturnes aurores

Où passent de grands météores,
Mais que ne suit pas le soleil.

Voyez les Deux lles, Lui, etc.

Bonaparte, 1822.

culte de toutes les gloires, il salue tour à tour de son jeune enthousiasme la Grèce et ses martyrs, le fils des Vasa languissant dans l'exil et la misère 1, la gloire chrétienne de Navarin et les débris des pompes impériales menacés par la diplomatie, mais vengés par la colonne d'Austerlitz 2.

Si de plus notre mémoire le suit dans sa vie littéraire, nous le voyons ouvrant à l'art une carrière nouvelle où il se précipite le premier avec l'ardente espérance du génie; traçant le code de cet art rajeuni dans une préface monumentale; lançant le drame par un essai hardi et victorieux dans un monde inconnu. Puis, si nous pénétrons encore plus loin, et jusque dans sa vie intime, il est là, mêlant dès son enfance le cœur le plus passionné à une imagination d'une pudeur virginale; trouvant les accents les plus enchanteurs, les inspirations les plus séduisantes, pour célébrer un amour chaste et légitime, un amour domestique, et consacrant toutes les riches découvertes de son talent à un hymne perpétuel de reconnaissance envers Dieu et envers cette ange à l'œil doux et noir, venue du ciel pour présider à sa félicité 3. Ce n'est pas tout, c'est lui qui appelle à la lumière ce

Ode au colonel Gustawson.

2 Ode à la colonne.

3

Vous avez dans le port poussé ma voile errante :

Ma tige a reverdi de séve et de verdeur;
Seigneur, je vous bénis! à ma lampe mourante
Votre souffle vivant a rendu sa splendeur....
C'est que pour m'amener au terme où tout aspire,
Il m'est venu du ciel un guide au front joyeux;
Pour moi, l'air le plus pur est l'air qu'elle respire;
Je vois tous mes bonheurs, muse, dans son sourire,
Et tous mes rêves dans ses yeux.

(Paysage, liv, V, ode x1.)

Un ange sur mon cœur ploie aujourd'hui ses ailes.....

Voyez aussi ces vers délicieux et que tout le monde sait par cœur: A toi, toujours à toi.

pur et noble talent qui deux fois est venu apporter à lant d'âmes que le besoin d'aimer fatigue, à tant d'âmes que le bonheur oublie, un trésor de religieuse mélancolie et d'ineffable sympathie. C'est sous son invocation que le jeune auteur de Joseph Delorme nous a dotés de ce recueil délicieux que le monde a admiré sans le comprendre, mais qui restera dans le souvenir de Dieu et des malheureux. Enfin, hier encore, quand la France venait d'inscrire dans ses fastes une révolution que rien n'avait encore ternie, c'est la voix de Victor Hugo qui s'élève pour chanter cette gloire nouvelle, mais aussi pour respecter de royales infortunes, pour défendre des souvenirs augustes et sacrés, pour montrer la croix du Christ debout au milieu de l'éruption, et la main de Dieu imprimée au sein de la lave dévastatrice.

Voilà sa vie, voilà sa gloire, voilà pourquoi il est à nous, notre poëte, notre maître, notre ami.

Voilà pourquoi aussi l'annonce de son roman éveillait en nous un intérêt si affectueux, et pourquoi notre attente a été si impatiente. Dans ce titre seul de Notre-Dame de Paris il y avait tant de choses mystérieuses qui parlaient à notre mémoire et à notre foi! Il nous faut dire aujourd'hui comment notre intérêt a été justifié, comment notre attente a été remplie; il nous faut voir ce que ce livre ajoute à la réputation de l'auteur, ce qu'il ajoute à nos jouissances.

D'abord il est évident qu'il y a dans cette œuvre deux parties essentiellement distinctes: l'architecture et le roman; l'œuvre d'art et l'œuvre d'imagination et de sentiment, l'œuvre de l'architecte et l'œuvre de l'écrivain,

Remercions solennellement M. Victor Hugo de la vive et éclatante lumière qu'il a jetée sur des beautés depuis longtemps négligées et méconnues, et que son ouvrage contribuera plus que toute autre chose à réhabiliter et à populariser.

Tous les Français intéressés à ce titre à ce que la France ne soit pas dépouillée de ses plus beaux ornements, à ce qu'elle ne descende pas infiniment au-dessous des nations étrangères et de ses plus proches voisins, doivent à l'auteur de cette énergique défense des chefs-d'œuvre de nos pères le témoignage de leur reconnaissance; mais nous la lui devons surtout, nous qui, comme catholiques, gémissons chaque jour sur la dégradation et la ruine des vénérables édifices de notre culte; nous qui les aimons avec une religieuse ferveur; nous qui tenons à ce que ces voûtes qui ont tant de fois retenti des prières et des chants de nos pères soient encore les dépositaires de nos vœux et des confidences que nous faisons à notre Dieu.

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Celui qui a si courageusement flétri les ténébreuses dévastations de la bande noire a retrouvé toute sa poétique énergie pour flétrir le goût atroce qui s'en va aujourd'hui effaçant, mutilant, détruisant, et replâtrant sur toute la surface de la France. Et remarquons en passant que ce n'est pas la première fois que cette union intime de la poésie et de l'architecture s'est révélée au genre humain. L'histoire de l'art chrétien abonde en exemples de cette divine union; et nous croirons avoir assez dit pour flatter M. Victor Hugo et l'encourager dans sa tendance actuelle, si nous nous bornons à citer Michel-Ange, dont les Rime font pressentir et deviner la coupole de Saint-Pierre. Et il faut qu'il en soit ainsi ; car il n'y a pas de poëme plus complet qu'une cathédrale chrétienne, et l'âme du poëte à qui la nature ne suffit pas ne peut se trouver à l'aise que dans la maison de Dieu.

Mais il faut que cette maison soit digne à la fois de Dieu et du poëte; et hélas! combien peu en reste-t-il dans notre France qui répondent à la fois à la majesté de l'un et à l'ima

Ode, liv. II.

gination de l'autre ! Pour remplacer les innombrables basiliques dont le vandalisme révolutionnaire et de vils intérêts personnels nous ont dépouillés, on nous élève çà et là des granges blanchâtres, où l'on abdique soigneusement toutes traditions de l'art chrétien, au profit d'un paganisme bâtard, et l'on nous envoie prier Dieu dans des enceintes qui serviraient tout aussi bien à un bal ou à un spectacle. Tandis que partout ailleurs on résiste au goût dépravé des deux derniers siècles, tandis qu'en Angleterre, par exemple, on s'attache à copier avec une religieuse exactitude les monuments magnifiques que le moyen âge nous a laissés, tandis que dans la pauvre et grossière Irlande les nouvelles chapelles catholiques s'élèvent toutes sur le modèle du gothique le plus pur et le plus délicat : ici, dans le pays où le genre gothique a laissé les traces les plus profondes de son règne, on s'obstine à calquer tous les édifices religieux sur les avortons d'architecture qui peuplent la capitale. Voulez-vous un portail dont la seule vue réveille en vous l'image confuse mais enchanteresse de tous les mystères et de toutes les traditions pittoresques et poétiques du christianisme? on vous donnera celui de Saint-Eustache ou du Panthéon. Demandez-vous ces vastes nefs où l'âme s'élève et s'agrandit à son insu, ces bas côtés à demi éclairés où l'on aime à errer dans une religieuse rêverie? allez à Saint-Thomas d'Aquin et à Saint-Philippe du Roule, et là vous serez à l'aise. Si, plus modeste, vous n'aspirez qu'à la coupole, au dôme de la renaissance, voilà l'Assomption! soyez contents.

Encore si le goût moderne bornait ses hideuses prétentions aux constructions nouvelles, on pourrait s'en consoler en n'y mettant jamais le pied. Mais non, il pénètre partout, et se dévouant avec une persévérance acharnée à son œuvre de destruction, s'incarnant en la personne des fabriciens, et, il

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