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découverte entre la végétation et l'éducation, culture si négligée et si imparfaite de toutes ces jeunes fleurs qui nous entourent, si tendres, si parfumées et sitôt flétries.

L'épilogue qui devait terminer cet ouvrage, dont la mort n'a permis à Novalis que d'écrire la moitié, est une allégorie poétique, qu'il avait nommée le mariage des temps, et où il a décrit avec un charme bien rare l'union que Dieu ramènera à la fin des temps entre tout ce qui s'oppose et se repousse dans le monde, entre le jour et la nuit, le printemps et l'automne, la jeunesse et la vieillesse, le passé et l'avenir : toutes poétiques transformations de son idée dominante, l'amour et le désir de l'unité.

Enfin, partout se retrouve ce mysticisme attrayant et profond qui empreint la vie d'une couleur nouvelle; et l'âme se perdrait au sein de ces fantastiques avenues où se joue une pure et innocente imagination, si au bout ne surgissait toujours un des symboles, une des sévères vérités du christianisme; si un mystère de Dieu ne venait toujours expliquer et sanctifier ces mystères de la pensée humaine.

Ah! respectons ces rêveries du jeune âge, ces capricieuses alliances de l'imagination avec la foi; souvent elles ne sont pas sans fruit, et n'eussent-elles consolé qu'une seule infortune, rafraîchi qu'un seul cœur, sauvé qu'une seule âme, elles seraient encore dignes de toute l'indulgence de Dieu et de toute l'estime des mortels.

Chez Novalis, d'ailleurs, l'imagination avait une raison de plus pour être envahissante, si, comme il est permis de le croire, elle avait la conscience de la courte durée de la vie qu'elle dominait. On dirait à voir la merveilleuse activité de son esprit que le jeune poëte, pressentant sa fin prochaine, s'était hâté de vivre et d'aimer, de peur que la mort ne le surprit avec un cœur vide et une pensée stérile.

Aussi sa santé allait-elle s'affaiblissant chaque jour; sa maigreur et sa pâleur inspiraient chaque jour plus de défiance, et de fréquents crachements de sang vinrent bientôt révéler la fatale nature de la maladie. Ses amis l'entouraient de soins affectueux; Schlegel, Tieck, Schelling, les plus grands noms de l'Allemagne se pressaient autour de lui. Bien qu'ils n'eussent nullement les yeux ouverts sur son danger, et que lui-même leur dissimulât son état, quelque chose de craintif se mêlait à leur affection et à leur empressement, et la vivacité même de leurs espérances cachait une inquiétude profonde et trop justifiée. Il était de ces hommes qu'il faut bien aimer dès qu'on les a vus, mais que l'on n'aime qu'en tremblant, tant la pureté de leur vie et de leur âme est surnaturelle, tant chacune de leurs paroles, de leurs pensées, exhale le parfum d'un autre monde.

C'est qu'en effet il y a des âmes trop pures pour notre monde, et il leur faut le quitter si rapidement qu'à peine pouvons-nous les chérir en passant. Comme l'or pur a besoin de quelque alliage pour être lancé dans le monde, ainsi fautil qu'une âme céleste soit mêlée de quelque boue d'ici-bas, pour vivre et lutter parmi nous. Quand sa nature est trop délicate, trop divine pour tolérer ce grossier mélange, elle n'a plus qu'à regagner le ciel : aussi s'envole-t-elle, ne nous laissant qu'une tombe et qu'un frêle souvenir.

Pendant l'hiver de 1800 à 1801, Novalis témoigna un vif désir d'aller respirer l'air de l'Italie; mais ses médecins le trouvèrent trop affaibli pour entreprendre ce voyage, et ce refus ne laissa plus de doute sur la position désespérée du malade. Lui continuait ses travaux au milieu de son danger, et son imagination semblait y puiser une nouvelle énergie, une nouvelle activité. Il écrivait et dictait beaucoup. Sa lecture ordinaire était la sainte Bible, et les écrits de Lavater,

Euvres. VI.

Art et Littérature.

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dont on connaît les tendances catholiques. Quelques-unes des pensées qu'on trouve dans son recueil peuvent nous mettre sur la trace de ses réflexions habituelles pendant ses derniers jours. « Darwin, écrivait-il, a remarqué que la lumière nous <«< éblouit moins au moment du réveil, lorsqu'on a rêvé d'ob« jets visibles. Heureux donc ceux qui rêvent dans cette vie « de ce qu'ils verront dans l'autre ! Ils seront les premiers à << pouvoir endurer l'éclat de la gloire céleste. » Plus loin : « La vie est le commencement de la mort, on ne vit que pour << mourir. Bien des hommes s'attachent tendrement à la « nature, comme des enfants timides, qui craignent leur père, et qui invoquent leur mère pour rentrer en grâce <«< auprès de lui. — Il y a sur cette terre des fleurs qui ont « leurs racines ailleurs, et qui n'apparaissent que pour nous <«< annoncer un autre monde et nous attirer à une meilleure « vie : telles sont la religion et l'amour. — Le christianisme « est le germe de toute vraie démocratie, c'est le sublime de <«< la popularité. » — Le malheur est une vocation à Dieu. <«< On n'est saint que par la souffrance. Tout homme a ses an«<nées de martyre. Le Christ a été le grand martyr du genre <«< humain; c'est lui qui a donné au martyre un sens infini«ment profond et une consécration céleste. >>

Les souffrances de Novalis allaient bientôt finir; le 19 mars 1801, anniversaire de la mort de sa chère Sophie, les symptômes d'une dissolution prochaine se manifestèrent en lui, et le 25 il expira entre les bras de son meilleur ami, Frédéric de Schlegel. Il mourut à vingt-neuf ans, n'ayant rien achevé, n'ayant fait rien imprimer, mais laissant au monde un vrai trésor dans ses essais et ses fragments. Tieck et Schlegel ont rassemblé ces restes d'un beau génie, trop pressé de regagner sa céleste demeure, pour élever un édifice dont les pierres détachées ont suffi pour exciter l'admiration

et l'enthousiasme de l'Allemagne. Chaque jour, nous osons le dire, ajoutera au prix que la postérité attachera à ces précieux débris; chaque jour elle y puisera de nouvelles lumières, de nouveaux motifs d'aimer ce qu'aimait Novalis: Dieu, la nature qu'il a créée, et la poésie qui est la voix de cette nature.

Pourquoi, nous demandera-t-on peut-être, avoir révélé cette douce et innocente vie? N'y a-t-il pas dans l'obscurité où elle reposait un certain charme, comme dans celle de ces saints dont l'Église n'a pas consacré le nom, mais dont la gloire est d'autant plus pure dans le ciel, qu'elle est plus inconnue sur la terre? Ne doit-on pas, quand on a découvert ici-bas, même dans le passé, une âme tendre à chérir, une imagination pure à caresser, une réputation sans tache à vénérer, ne doit-on pas la garder pour soi, et ne pas l'exposer à être ternie par le souffle glacial et impur de la moquerie et de la critique? Pourquoi vouloir que pour ceux qu'on aime cette triste vie dépasse les bornes du tombeau?

Pourquoi? parce qu'il est bon que même dans cette triste vie ces pures et touchantes existences soient mises au grand jour, afin que les bonnes et belles âmes apprennent à se compter, à se connaître, à croire en elles-mêmes, à ne pas perdre en défiances craintives ces précieux jours d'épreuve ; parce qu'il faut ménager quelque consolation, humble et terrestre si l'on veut, mais toujours douce et encourageante, à toutes ces pauvres âmes éparses dans ce vaste désert d'hommes, inconnues les unes aux autres, flétries par le dédain et la solitude, et qui dans leur passage à travers cette vie se sont usées à se rencontrer sans oser s'aborder, à s'entrevoir sans oser s'aimer, à se regarder sans se comprendre. Il faut leur montrer que si elles ont été seules sur la terre, elles ne seront pas sans compagnes dans le ciel.

(Avenir du 9 septembre 1831.)

II

NOTRE-DAME DE PARIS

PAR VICTOR HUGO

(1831)

Une œuvre de Victor Hugo! qui ne tressaille à ces mots? Que ce soit de plaisir ou de dépit, d'admiration ou de colère, n'importe. Il est toujours certain que de lui rien n'est indifférent, et qu'il a le privilége, si rare aujourd'hui, de maîtriser l'attention, non pas par les choses qu'il écrit, mais parce que c'est lui qui les écrit. Pour nous, jeunes gens de ce siècle, dont il est presque le contemporain et le camarade, un lien tout spécial nous attache à cet homme dont les œuvres expriment et résument si complétement tout ce qu'il y a d'élevé et de généreux dans notre époque; son nom seul suffit pour nous rappeler tous les nobles souvenirs de sa vie, qui sont en même temps les souvenirs les plus chéris de la nôtre. Avant vingt ans, il a trouvé des larmes pour les jeunes martyres de Verdun, pour la céleste Sombreuil, pour Quiberon de sanglante et sublime mémoire. Avant vingt ans, le voilà qui jette dans le monde la sainte et pure voix du poëte dans les révolutions', et la noble protestation de cette Vendée, punie de son immortelle fidélité par le délaissement et l'oubli2.

Odes, liv. 1.

2 Ibid., ibid.

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