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platoniciens, aux mystiques du moyen âge, et avant de mourir il put écrire ces belles paroles: «Il y a des hommes qui <<< disent qu'il se trouve quelque part aujourd'hui un germe « d'union qui grandira chaque jour, jusqu'à ce qu'il ait em<<< brassé le monde dans ses racines; et bientôt, quand ce principe d'éternelle paix aura tout enveloppé, il n'y aura dans « ce monde qu'une science et qu'un esprit, comme il n'y a « qu'un prophète et qu'un Dieu. »

Ces études n'étaient pas solitaires. Sa liaison avec Schlegel durait toujours, et il comptait encore parmi ses amis d'habitude le physicien Ritter, Tieck, qui nous a donné de lui une touchante biographie, et Schelling, dont l'influence se fait souvent sentir dans ses écrits. Ces amis passaient ensemble de bonnes et douces journées aux environs de Jéna et de Halle, et surtout au Giebichenstein, près de cette dernière ville, au sein de ces magnifiques ruines d'antiques châteaux, si nombreuses et si belles en Allemagne, et où elles produisent sur l'âme une tout autre impression que les ruines dans d'autres pays car on sait que la douce Germanie, si amoureuse du passé, n'en est pas coupable; qu'elles sont l'œuvre de la conquête étrangère, des Suédois et des Français, et que ces restes précieux sont encore chéris, vénérés, défendus comme de vieux et saints autels.

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A cette époque on voit avec surprise qu'il s'était laissé fiancer de nouveau avec mademoiselle Julie de Ch., soit que son cœur dévoré du besoin d'aimer et fatigué d'un amour qui se perdait dans le ciel eût cherché dans cette vie quelque passagère occupation, soit qu'il eût obéi au vœu de ses parents, sans cesser d'être fidèle à celle qui absorbait ses souvenirs comme ses espérances, et comptant bien que la mort viendrait assez à temps pour le rendre à ses anciens serments. Cette dernière supposition est de beaucoup la plus probable,

s'il faut en juger d'après ses écrits, où il n'est jamais fait la moindre allusion à sa nouvelle fiancée, et où se fait remarquer une ardente anticipation de la mort.

Ce fut vers ce temps qu'il commença un recueil de poésies sacrées où se trouve un Cantique à la mort qui respire la mélancolie et la foi, comme une harmonie de Lamartine; et des Hymnes où l'amour de Dieu pour l'homme, les ineffables consolations du christianisme sont décrites avec l'ardente dévotion d'un lévite, et où ce jeune homme, qui n'avait certes de protestant que le nom, célèbre les merveilles de la bonté divine dans l'eucharistie et dépose aux pieds de la sainte Mère de Dieu ses souffrances et son cœur, fervent et pur comme celui d'une vierge catholique. Nous en traduirons quelques stances :

« ..... Laisse-toi fléchir, ô ma douce Mère ! donne-moi un signe de ta clémence. Tout mon être repose en toi; et je ne te demande qu'un moment.

<<< Souvent dans mes rêves je t'ai vue si belle, si compatissante, portant sur ton sein un Dieu enfant, qui semblait avoir pitié de moi, enfant comme lui. Mais toi, tu détournais de moi ton auguste regard, pour t'élever dans les cieux.

<« Qu'ai-je fait pour t'offenser? Mes ardentes prières ne sont-elles pas à toi? Ton sanctuaire n'est-il pas le reposoir de ma vie? Reine sainte, reine trois fois bénie, prends donc mon cœur, prends ma vie.

« Marie, je t'ai vue dans mille tableaux, mais nul ne t'a peinte telle que je t'ai vue dans mon âme. Je sais seulement que depuis cette apparition divine, le bruit du monde passe autour de moi comme un rêve, et que le ciel est descendu dans mon cœur. >>

Le fragment intitulé la Chrétienté ou l'Europe, porte la date de 1799, et les vingt pages dont il se compose sont,

à notre avis, ce que Novalis a écrit de plus éloquent, de plus profond. C'est là que nous avons surtout trouvé une similitude remarquable entre ses doctrines et les nôtres sur le passé et l'avenir du monde. Et certes, c'est un événement plus grand et plus singulier qu'on ne pense que l'existence d'un pareil écrit à une pareille époque, et la postérité admirera avec raison comment, tandis que le faux libéralisme marchait invincible et impuni à la conquête du monde, il s'est élevé dans un coin obscur de la Saxe une voix solitaire de vaincu pour prophétiser la chute et l'impuissance de ce géant, pour célébrer le grand édifice qui surgirait de ses ruines; une voix de protestant pour chanter les gloires méconnues et l'avenir éternel du catholicisme. Novalis eut un mérite que le comte de Maistre seul peut lui disputer, celui de sentir tout le vide et le néant des idées du dix-huitième siècle au moment de leur plus éclatant triomphe, et celui plus grand encore de ne pas désespérer du salut du monde, et de découvrir ce salut dans le retour à l'unité catholique. Ce court écrit commence par un tableau admirable de l'organisation catholique de la société au moyen âge : puis l'écrivain dévoile les dangers et les suites funestes de la demi-civilisation qui précéda immédiatement la réforme, proclame l'union indissoluble du protestantisme avec le despotisme, montre la philologie substituée à la parole de Dieu, à la piété et à la foi, et réduit à sa juste valeur cette religion qui prétendait s'établir sans employer de moyens surnaturels, sans parler au cœur ou à l'imagination de l'homme. Ses espérances pour l'avenir sont aussi ardentes que sa foi. « En France, dit-il, on a beaucoup << fait pour la religion par les persécutions qu'on lui a fait << subir. Elle viendra, comme une orpheline, humble et étran<< gère, s'insinuer dans tous les cœurs et se faire aimer de << tous, avant d'être solennellement adorée, avant d'être ap

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« pelée à donner ses conseils et son suffrage dans les choses « du monde.... » « Il n'y a, dit-il en finissant, d'autre <«< christianisme vivant et applicable à l'humanité que la « vieille foi catholique, c'est-à-dire la foi au Christ, à sa Mère « et à ses saints. Son empire sur la vie tout entière, sa pas«sion pour l'art, sa profonde philanthropie, l'inviolabilité <«< de ses mariages, sa charité inépuisable, son amour de la pauvreté, l'obéissance et la fidélité de ses enfants, telles << sont ses bases, et tels sont aussi les caractères incontestables « de la seule vraie religion. Il faut que la chrétienté revive, <«< que l'Église universelle se reforme. Quand et cominent? « peu nous imporie. Mais patience : le jour viendra, le jour « béni de l'éternelle paix, où la nouvelle Jérusalem rede<«< viendra la capitale du monde. Jusqu'alors, ayez confiance « et courage, compagnons de ma foi; annoncez avec moi, en «< actions et en paroles, l'Évangile de Dicu, et restez fidèles jusqu'à la mort à la seule foi qui ne mourra jamais. >>

En 1800, Novalis lut à ses amis la première partie de son grand ouvrage; car lui aussi avait en tète un grand ouvrage, une grande pensée et comme un grand foyer où se réunissaient et d'où rayonnaient toutes ses idées, tous ses travaux subsidiaires. Il voulait exposer sous une forme allégorique et romanesque les hautes et bizarres pensées qui l'agitaient sur la nature et ses relations avec l'homme et la religion. Il réalisa ce projet en partie dans son roman intitulé: Henri d'Ofterdingen, qu'il dédia en vers charmants à sa première bienaimée. Les événements de ce roman se passent au douzième siecle; l'empereur Frédéric II en est le héros, car Novalis avait subi plus que personne l'influence de ces grandes existences du moyen âge qui planent sur nos frêles et monotones existences, avec autant de hauteur que les vieilles tours de la chevalerie sur les chétives villes de notre civilisation.

Ces événements, couverts d'un voile trop allégorique, trop fantastique, offrent beaucoup moins d'intérêt que les idées originales et fécondes qu'il a développées dans tout ce roman. Celle qui le domine principalement est l'idée d'une sympathie universelle entre la nature et l'homme, et d'une sorte d'obligation contractée par lui envers elle, par suite du péché originel, dont les résultats ont réagi sur l'une comme sur l'autre. « L'homme, dit-il, a une mission de clémence et d'expiation à remplir envers la nature; il doit être comme le Messie de la nature. >>

En parcourant à la hâte les pages attrayantes de ce poëme en prose, on remarque encore d'admirables considérations sur la vie des mineurs, toujours si morale, si pleine de poésie, de mélancolie et de religion, si favorable aux méditations et aux recherches de la science, si puissante pour enfanter le dévouement et le courage chez ceux qui la mènent. Il est remarquable que cette vie souterraine a inspiré le même attrait, je dirais presque la même passion, à des génies bien différents, mais tous célèbres dans leur différence, à Novalis, à Werner, au poëte Koerner, à M. de Baader, et enfin à M. de Humboldt; et c'est ce que conçoivent facilement tous ceux qui ont souvent visité les profondes mines du Nord ou de l'Allemagne, tant la nature inspire de recueillement et de religion à l'homme dès qu'il veut l'écouter en silence, tant la voix de Dieu parle haut au milieu de ces magnificences ténébreuses !

Henri d'Ofterdingen contient en outre de charmantes pensées sur la musique, que Novalis aimait avec cette sorte de religion qu'elle inspire à certaines âmes; sur l'influence de la foi et de la poésie dans toutes les sciences qui dépendent de la nature; sur la vie du cloître et les vertus de ces moines, prêtres du feu sacré qui devait plus tard embrasser le monde des intelligences; enfin sur la touchante analogie qu'il avait

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