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I

NOVALIS

(1831.)

Souvent nous avons promis à nos lecteurs de leur révéler en détail ce qu'il y a de catholique dans cette vaste littérature d'outre-Rhin, mine immense où peuvent creuser à leur gré toutes les croyances, toutes les imaginations, toutes les fantaisies de l'homme, sûres d'y trouver à chaque pas d'inépuisables richesses et des merveilles sans cesse renaissantes. Nous qui poursuivons partout une seule et même idée, nous qui n'avons au monde qu'un désir à satisfaire, qu'une lumière à suivre, nous qui ne vivons que d'une seule pensée, d'un seul amour, il nous sera sans doute permis de ne chercher dans ce gigantesque développement de l'esprit humain rien de plus que les traces de notre foi, rien de plus que les étincelles de cette lueur qui n'a jamais été pour nous ni fugitive ni vacillante. Et qui pourrait nous en vouloir, dans un temps où au milieu des torrents de lumière dont le monde se croit inondé, nul, hormis le catholique, n'a pu découvrir un rayon pour guider sa marche, ni un foyer pour réchauffer

son cœur?

L'homme que nous entreprenons aujourd'hui de faire connaître aux catholiques fut protestant, comme la plupart des auteurs illustres de l'Allemagne; mais on verra bientôt de quelle nature était son protestantisme; on verra combien

son âme, son esprit, son génie, étaient catholiques, et quel puissant instinct l'entraînait, non-seulement vers le catholicisme en général, mais même vers les résultats particuliers auxquels nous croyons que le catholicisme aboutit de nos jours, et que nous nous efforçons de proclamer. C'est, nous l'avouons sans peine, cette merveilleuse sympathie entre lui et nous qui nous a déterminés à commencer par lui, quelque peu connu que soit en France son nom; nous aimons, en entrant dans cette carrière nouvelle, à nous reposer dans cette sympathie et à contempler avec une douce émotion l'accord intime qui a régné entre les doctrines que nous avons professées, lui et nous, à quarante ans de distance; lui dans la paix et l'innocence de sa jeunesse, et nous dans la naïveté de notre foi; mais lui, au sein d'une tranquille et tolérante patrie, et nous, le cœur gonflé de tristesse, au milieu des tombeaux du passé et sur le bord d'un abîme.

Avant d'exposer sous une forme précise les opinions philosophiques de Novalis, nous ne pouvons résister au désir d'initier nos lecteurs à quelques détails de la pure et poétique existence de ce jeune homme.

Frédéric de Hardenberg, qui prit dans la suite, par un caprice littéraire assez commun à cette époque, le nom de Novalis, naquit le 2 mai 1772, dans le comté de Mansfeld, d'une noble famille de Saxe. Son père, directeur des salines du royaume, avait été longtemps militaire, et était depuis entré dans la communauté des frères Moraves ainsi que sa femme. Une piété fervente et scrupuleuse présidait donc à toute leur vie domestique. Ils eurent onze enfants, qui s'aimèrent toute leur vie d'une tendre et inaltérable affection : c'était une de ces nombreuses familles qui font tout un monde, et que le monde ne remplace jamais.

Novalis, le second de ces onze enfants, vécut silencieux et

maladif jusqu'à neuf ans, n'aimant rien que sa mère qui l'aimait. A neuf ans il fut atteint d'une maladie longue et douloureuse; il en triompha, et cette lutte décida sa croissance, en même temps qu'un développement prodigieux de forces intellectuelles et morales. Cette sensibilité, si vive et si profonde chez les Allemands, fut précoce chez lui au delà de toute expression, et marchait de front avec la singulière activité de son imagination. A de fortes et ardentes études d'histoire et de langues il mêlait une passion prononcée pour la poésie; il consacrait à la lecture des poëtes tout le temps que lui lui laissaient libre ses autres occupations. Dès l'âge de douze ans il s'efforça d'imiter ces modèles chéris, et l'on a de lui quelques fragments poétiques qui datent de cette époque. Dès cet âge aussi il s'exerçait dans un genre de littérature qui est depuis devenu presque vulgaire, mais qui alors était essentiellement original, celui des contes fantastiques (Mæhrchen). Dominé dès lors par un vif attachement pour la nature, son imagination le transportait dans le règne des génies et des esprits qui président à tous les phénomènes de la nature; il y distribuait des rôles à ses frères et à ceux qui écoutaient ces jeux bizarres, se faisant ainsi un univers à lui, vaste comme sa pensée, innocent comme son cœur.

Ainsi Novalis passa ses premières années dans le bonheur le plus pur, dans ce bonheur que l'enfant estime si peu, mais que l'homme n'oublie jamais, et dont l'absence rend si incomplète, si amère, une vie qui n'a plus le contre-poids nécessaire pour résister aux froissements et aux douleurs d'ensuite. Il entra à dix-sept ans dans un gymnase (ou lycée), et l'année suivante il passa à l'université de Jéna, puis à Leipzig, puis à Wittemberg. Lorsqu'en 1792 la guerre éclata entre la France et l'empire germanique, le jeune poëte sentit une soif inconnue de combats et de gloire s'emparer de son

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