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l'église au dixième siècle '. Les moines de Reichenau leur envoyèrent des peintres pour les aider dans cette œuvre 2. Deux siècles plus tôt, saint Benoît Biscop, abbé de Wearmouth, fit revêtir tout le pourtour des deux églises de son monastère de peintures qui représentaient l'histoire de NotreSeigneur, et la concordance de l'Ancien et du Nouveau Testament 3. Anségise, abbé de Fontenelle en 823, fit peindre, par Madalulphe de Cambray, le réfectoire de l'abbaye de Luxeuil, qui avait deux cents pieds de long. Les églises de l'ordre de Cluny, toujours au premier rang pour la grandeur et la beauté, étaient en général ornées de peintures, probablement à fresque. D'autres moines employèrent leur talent graphique à la propagation de la vraie foi chez les infidèles : on voit qu'en 866 le roi des Bulgares, Michel III, se fit baptiser avec les siens, par suite de la frayeur que lui inspira la vue d'un jugement dernier qu'un moine missionnaire, saint Méthodius, avait peint sur les murs de son palais ".

Il est dit, entre autres, de Cunibert, abbé d'Altaïch : « Doctor sermone planus, pictor ita decorus, ut in laquearis exterioris S. Galli ecclesiæ circulo videre est. » Ekkeh., De casibus, c. 3. Cfer. Burkhard, De casib., c. 1 et 2. << Insula pictores transmiserat Augia clara. » Cod. ms. S. Gall., 297.

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<<< Dominicæ historiæ picturas quibus totam B. Dei genitricis quam in monasterio majore fecerat ecclesiam gyro coronaret, imagines quoque ad ornandum monasterium ecclesiamque B. Pauli de concordia Veteris et Novi Testamenti summa ratione compositas exhibuit, etc., etc. » Ven. Beda, Vit. S. Bened. Biscop., c. 5 et 9, in Act. SS. O. B., sæc. II.

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Variis picturis decorari in maceria et in laqueari fecit a Madalulfo, egregio pictore cameracensis ecclesiæ. » Act. SS. O. B., in vit. S. Ansegis., c. 9. << Omitto oratoriorum immensas altitudines, immoderatas longitudines, supervacuas latitudines, sumptuosas depotiones, curiosas depictiones... » S. Bernardi Apolog. ad Guillelm., c. 12. On sait que notre saint était dominé par des préjugés violents contre l'art religieux, préjugés que son ordre sut heureusement rejeter après sa mort.

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Pingendi non rudem. » Cedrenus, edit. reg., p. 540, cité par d'Agincourt, Hist. de l'art., éd. ital., t. I, p. 264. - Méthodius fut l'apôtre des Bulgares, des Moraves et d'autres nations slaves: il fut aussi l'un des auteurs de la liturgie slavonne.

Enfin ils contribuèrent à donner à la peinture son application la plus grandiose et la plus solennelle en la fixant sur le verre, et en créant ainsi ces vitraux qui font la plus resplendissante parure du temple chrétien. Ce même saint Benoît Biscop, dont nous parlions tout à l'heure, fit venir de France des verriers, qui initièrent les Anglo-Saxons à la connaissance de ce nouveau progrès de l'art religieux'. En Allemagne, les premiers vitraux connus furent ceux des monastères de Hirschau et de Tegernsee. Ceux de Tegernsee furent fabriqués aux frais d'un seigneur voisin, le comte Arnold, que l'abbé Gosbert2 remerciait en ces termes : « Jusqu'à présent, les fenêtres de notre église n'étaient fermées qu'avec de vieilles toiles. Grâce à vous, pour la première fois, le soleil promène ses rayons dorés sur le pavé de notre basilique, en pénétrant à travers des peintures qui s'étalent sur des verres de diverses couleurs. Tous ceux qui jouissent de cette lumière nouvelle admirent la variété étonnante de ces ouvrages extraordinaires, et leur cœur se remplit d'une joie inconnue 3. >>

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Les religieux de cette même abbaye de Tegernsee se signalèrent pendant plusieurs siècles dans un autre art, celui de la ciselure et de l'orfévrerie, auquel les moines en général

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<< Misit legatarios Galliam qui vitri factores, artifices videlicet Britannis eatenus ignotos, ad cancellandas ecclesiæ, porticuumque et cænaculorum ejus fenestras adducerent... Anglorum ex eo gentem hujusmodi artificium nosse ac discere fecerunt... Cuncta quæ ad altaris et ecclesiæ ministeria competebant, vasa scilicet et vestimenta, quæ domi invenire non potuit, de transmarinis regionibus advectare curabat. » Ven. Beda, ubi supra. Je pense que c'est un des premiers exemples connus de l'emploi des vitraux : encore n'est-il pas certain que ces vitraux fussent coloriés.

2 Élu en 982: il était de race noble et renommé pour sa science.

3 << Ecclesiæ nostræ fenestræ veteribus pannis usque nunc fuerunt clausæ. Vestris felicibus temporibus auricomus sol primum infulsit basilicæ nostræ pavimenta per discoloria picturarum vitra, cunctorumque inspicientium corda pertentant multiplicia gaudia, qui inter se mirantur insoliti operis varietates. » Pez, Thesaur. anecdot. Eccles., t. VI, part. 1, p. 122.

ont consacré autant de patience et de zèle qu'à la peinture des manuscrits '.

Les principaux orfévres ou argentiers du moyen âge furent moines: les chroniques monastiques indiquent à chaque instant des religieux, des abbés même dont le talent de ciseleur ou d'orfévre 2 était renommé de leur temps. Les annales de Saint-Gall rapportent un trait qui témoigne du prix qu'attachaient les hommes du neuvième siècle aux ciselures du célèbre moine Tutilon; pendant qu'il ciselait une image de Notre-Dame, dans son atelier, à Metz, deux pèlerins qui venaient lui demander l'aumône virent une dame d'une grande beauté qui le guidait dans son travail : ils la prirent pour sa sœur; mais ayant raconté ce fait aux autres religieux, ceux-ci en conclurent que c'était la sainte Vierge elle-même qui daignait lui enseigner son art 3. Nommons encore l'An

Trois moines, nommés tous les trois Werner, furent les principaux artistes et écrivains de cette savante abbaye, de 1080 à 1180. Il est dit du premier qui vivait en 1090 : « Artificiosus anaglypha in scripturis et in picturis et in ornamentis librorum de auro et argento subtilis. Tabulam in superiore parte triangulatam, de auro et argento et electro et gemmis et lapidibus ornatam, et quinque vitreas et fenestras et quoddam fusile opus de ære factum et lavacro aptum, huic ecclesiæ contulit. » Pez. Thesaur., t. III, p. I, p. 515. Voir, sur les services rendus à l'art et à la poésie allemande par le monastère de Tegernsee, la thèse du docteur Kugler, intitulée De Werinhero, sæc. XII, monacho tegernsensi, etc. Berolini, 1831.

2 On les désigne ainsi : aurifex, aurifabrilis artis perilus, argentarius, etc.; le plus souvent par sculptor.

3 On lira avec intérêt quelques passages du texte de ce récit : « Tutilo vero, cum apud Metensium urbem cælaturas satageret, peregrini duo S. Mariæ imaginem cælanti astiterant... Sed est-ne soror ejus, inquiunt, domina illa præclara quæ ei tam commode radios ad manum dat et ducit quid faciat?... Benedictus tu pater Domino, qui tali magistra uteris ad opera... In bractea autem ipsa aurea cum reliquisset circuli planiciem vacuam, nescio cujus arte postea cælati sunt apices:

Hoc panthema pia cœlaverat ipsa Maria.

<< Sed et imago ipsa sedens, quasi viva, cunctis inspectantibus adhuc hodie est veneranda. » Ekkehard., De casibus S. Galli, c. 3, in Godast., Script. rer. Mamann., t. I, p. 28.

glais Anketill, qui, après avoir été maître de la monnaie du roi de Danemark, revint en Angleterre se faire moine à l'abbaye de Saint-Alban, et se rendit célèbre par la châsse magnifique qu'il fabriqua pour y recevoir les ossements du saint patron de l'abbaye 1.

Malgré la disparition de tant de monuments de la ciselure et de la joaillerie de ces siècles, causée par les dévastations de la réforme et de la révolution, il nous reste encore assez de châsses sculptées et émaillées, assez de précieuses couvertures de livres en or, en argent, en ivoire sculpté, assez de crosses abbatiales, de diptyques, de merveilleux bas-reliefs en ivoire, assez de beaux ouvrages en cuivre ou en bronze, tels que fonts de baptême2, crucifix, encensoirs, chandeliers, pour nous permettre d'apprécier le degré d'élégance et de perfection auquel les moines avaient su porter leurs travaux dans ce genre. On trouve sur leurs procédés les détails les plus curieux dans le traité du moine Théophile qui vivait du dixième au douzième siècle 3. Qu'il nous suffise ici de placer cette branche de l'art monastique à l'abri des noms de deux saints moines, tous deux orfévres et émailleurs, saint Éloi,

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<< Unam thecam gloriosam inchoavit, opere mirifico... Regiis præerat operibus aurifabrilibus, monetæ custos et summus trapezita... Dominus Anketillus... monachus et aurifaber incomparabilis, qui fabricam feretri manu propria (auxiliante quodam juvene sæculari discipulo suo Salomone de Ely) et incepit et consummavit, diligenter in suo opere aurifabrili et animo studuit et manu laboravit. » Matth. Paris. Vita S. Albani abbatum, p. 36-38, ed. Watts. Ceci se passait vers 1140. Rien de plus curieux, du reste, que tout le récit relatif à cette châsse et aux péripéties de ce grand travail dans Matthieu Paris.

2 Voir la note savante, éloquente et consciencieuse de M. Didron sur les fonts de baptême en cuivre, ornés de sculptures en relief, qui existent encore à Saint-Barthélemy de Liége, et que fit faire le noble Helin, abbé de SainteMarie, en 1113. Ann. archéolog., t. V, p. 28.

3 Théophile, prêtre et moine; Essai sur divers arts, publié par le comte Charles de Lescalopier, et précédé d'une introduction par J.-Marie Guichard, 1843, in-4°.

le ministre de Dagobert, et saint Théau, esclave saxon qu'Éloi avait racheté pour en faire son élève et son compagnon de travail; et rappelons que des moines et des abbés figurerent longtemps à la tête de la grande école d'orfévrerie et d'émaillerie fondée en Limousin par les deux saints abbés de Solignac, et que la science modeste et solide d'un prêtre de nos jours a remise en honneur et en lumière 1.

Il est enfin un art, le plus charmant et le plus puissant de tous, celui qui répond le mieux aux besoins intimes de l'âme, qui exprime le mieux nos émotions, qui exerce sur nos cœurs l'empire le plus incontestable, mais aussi le plus éphémère. L'Église seule a pu lui imprimer un caractère durable, populaire et sacré; et les moines ont été dans cette œuvre, aussi difficile que méritoire, les auxiliaires zélés et infatigables de l'Église. La musique a été de tous les arts celui qu'ils ont le plus cultivé et le plus aimé. Saint Grégoire le Grand, père de la vraie musique religieuse, s'était formé, comme on sait, dans le monastère de Saint-André, à Rome, avant d'être Pape; le chant grégorien, fruit de son génie et de son autorité, souvent repoussé, bien plus souvent altéré par les générations postérieures, a été maintenu et pratiqué par l'ordre dont il était sorti plus fidèlement que par aucune autre fraction de la société chrétienne 2. La raison en est simple: la musique, c'est-à-dire le chant, qui en est la plus haute expression, s'identifiait pour les moines avec l'accomplissement de leur premier devoir. Dans chaque monastère, la célébra–

Essai sur les argentiers et émailleurs de Limoges, par M. l'abbé Texier. Poitiers, 1843. M. Texier signale surtout le moine Guillaume au dixième siècle, le moine Guinamond de la Chaise-Dieu en 1077, l'abbé Isembard de Saint-Martial, moine dès son enfance, abbé de 1174 à 1178, Pierre, abbé de Mauzac en 1168.

2 Voir, sur l'introduction du chant romain ou grégorien en France et en Angleterre par les moines, Mabillon, Præfat. in sæc. 11 Bened., no 104, édit. in-4°.

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