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chéri et fidèle du bienheureux Fra Angelico da Fiesole, qui se trouve ainsi la tige commune des plus fécondes branches de la poésie mystique dans l'art. M. Laderchi démontre encore que Costa a été le maître de Francia, et non pas son élève, comme tous les auteurs l'ont dit jusqu'à présent. « Ce maître insigne, dit l'auteur, fondateur de trois écoles, à Ferrare, à Bologne et à Mantoue, doit être placé avant son tendre ami et compagnon Francesco Francia, avec Perugino, avec Leonardo, Lorenzo di Credi et quelques autres, dans un cercle d'artistes élus, au milieu desquels siége le bienheureux de Fiesole, et où doit se concentrer l'admiration de quiconque comprend la peinture chrétienne. »

Tout voyageur catholique, par respect pour le grand nom de Ferrare, pour les souvenirs chevaleresques et poétiques du Tasse, de l'Arioste, de la première et si illustre maison d'Este, doit s'arrêter dans cette ville; il y admirera la magnifique façade de la vieille cathédrale (si indignement vandalisée au dedans), la statue du glorieux pèlerin dont date l'éclat de la maison d'Este, le vaste château qui rappelle leur grande et féodale existence; enfin la petite mais charmante galerie de tableaux. Guidé par l'excellent opuscule de M. Laderchi, il ajoutera à ces visites obligées celle de la galerie de Costabili. Nous ne pouvons que lui souhaiter de trouver souvent, pour d'autres villes, un guide aussi fidèle, aussi sûr et aussi religieusement intelligent.

XV

L'ART ET LES MOINES'

(1847.)

Si l'on franchit l'étroite limite qui, dans l'intelligence humaine, sépare le domaine de la science et de la littérature du domaine de l'art, on retrouve encore ici, comme partout, les moines au poste d'honneur, à l'avant-garde du mouvement chrétien. On reconnaît en eux les principaux instruments de cette lente et salutaire régénération qui a dégagé l'art de toute influence païenne, et qui l'a revêtu de cette forme complétement et exclusivement catholique d'où sont sortis tant et de si inimitables chefs-d'œuvre. Trop longtemps méprisés par le même esprit qui a méconnu l'histoire, la science et toute la grandeur des siècles catholiques, les monuments produits pendant ces siècles par l'union merveilleuse de l'enthousiasme et de l'humilité recommencent enfin de nos jours à être étudiés et admirés, et la justice que l'on est disposé à leur rendre ne pourra que profiter par surcroît aux ordres religieux. S'il nous était permis ici de comprendre dans nos appréciations l'époque où l'art catholique a atteint son apogée, combien nous aimerions à montrer cet art maintenu par l'esprit monastique dans sa vigueur, sa pureté et sa fécondité primitives, sous des formes nouvelles,

1 Fragment historique inséré en mars 1847 dans les Annales archéologiques, dirigées par M. Didron.

surtout au sein de l'ordre des Frères prêcheurs '; combien nous aimerions à suivre ses progrès, jusqu'à ce qu'il ait atteint cet idéal de la beauté transfigurée par la foi, cette perfection enchanteresse de la grâce, de la noblesse et de la pureté, dont le type se trouve dans la Madone, telle que Dante l'a chantée, et telle que l'a peinte le bienheureux dominicain Jean de Fiesole, si justement surnommé le Frère Angélique! Mais, en nous renfermant dans la période qui nous occupe spécialement, nous pourrons constater que les moines préparaient et annonçaient, dans leurs innombrables travaux d'art, l'avénement de cette perfection de l'art catholique qui a régné du douzième au quinzième siècle 2, et nous aurons au moins la consolation de ne trouver sur notre chemin aucune trace de cette dépravation du sens chrétien qui accompagne la renaissance, et qui a creusé le tombeau de la vraie beauté et de la vraie poésie.

Dès l'origine de l'ordre monastique, saint Benoît avait prévu dans sa règle qu'il y aurait des artistes dans les monastères, et il n'avait imposé à l'exercice de leur art, à l'usage de leur liberté, qu'une seule condition, l'humilité 3. Sa prévision fut accomplie, et sa loi fidèlement exécutée. Les

Nous ne pouvons qu'indiquer ici l'excellent ouvrage du P. Marchese, dominicain à Florence, sur la gloire de son ordre, intitulé: Memorie dei pillori, scultori e architetti domenicani. Firenze, 1845 et 1846, 2 vol. in-8°.

2 Voir Rio, De la poésie chrétienne; forme de l'art.

3 Artifices si sunt in monasterio, cum omni humilitate et reverentia faciant ipsas artes, si permiserit abbas. Quod si aliquis ex eis extollitur pro scientia artis suæ, eo quod videatur aliquid conferre monasterio, hic talis evellatur ab ipsa arte, et denuo per eam non transeat, nisi forte humiliato ei iterum abbas jubeat. C. 57.-A ceux qui voudraient traduire littéralement le mot artifices par ouvriers nous répondrons qu'au moyen âge les artistes n'étaient guère que des ouvriers, et qu'en revanche les ouvriers étaient presque tous des artistes; que d'ailleurs la nature des recommandations faites par le saint législateur prouve assez qu'il s'agissait d'ouvriers appliqués à des travaux d'un ordre élevé et intellectuel, qui pouvait inspirer l'orgueil, c'est-àdire de ce qu'on appelle artistes dans le langage moderne.

monastères bénédictins eurent bientôt, non-seulement des écoles et des bibliothèques, mais encore des ateliers d'art où l'architecture, la peinture, la mosaïque, la sculpture, la ciselure, la calligraphie, le travail de l'ivoire, la monture des pierres précieuses, la reliure et toutes les branches de l'ornementation furent étudiées et pratiquées avec autant de soin que de succès, mais sans jamais porter atteinte à la juste et austère discipline de l'institut. Six cents ans après saint Benoît, lorsqu'un des plus austères réformateurs du douzième siècle, le père Bernard de Tiron, voulut former dans le Maine une nouvelle congrégation, sous la règle bénédictine, il eut soin de la recruter parmi les ouvriers et les artistes du pays, en permettant à chacun de continuer l'exercice de son ancien état sous le froc monastique. Il put ainsi réunir sous ses lois, dit l'histoire contemporaine, une foule d'artistes très-habiles, peintres et architectes, ciseleurs et orfévres, qui travaillaient de leur état dans le monastère en même temps que les forgerons, les charpentiers et les labou

reurs 1.

L'enseignement de ces arts divers formait même une partie essentielle de l'éducation monastique 2.

1 << Singulas artes quas noverant legitimas in monasterio exercere præcepit; unde libenter convenerunt ad eum tam fabri lignarii quam ferrarii, sculptores et aurifabri, pictores et cæmentarii, vinitores et agricolæ, multorumque officiorum artifices peritissimi. » Orderic Vital, lib. vii, p. 715, ed. Duchesne.

2 Voici, par exemple, ce qu'il est dit de l'éducation de saint Bernward, évêque de Hildesheim, élevé dans le monastère de cette ville au milieu du dixième siècle : « In scribendo (la calligraphie) apprime enituit; picturam etiam limate exercuit. Fabrili quoque scientia et arte clusoria (la ciselure, ou l'art d'enchasser les pierres précieuses), omnique structura (l'architecture) mirifice excelluit...» Vit. S. Bernardi, auct. Tangmaro coæquali, in Act. SS. O. B., t. VIII, p. 181. On voudra bien remarquer que cette éducation monastique se donnait en plein dixième siècle, c'est-à-dire dans un temps que les pédants modernes ont représenté comme le plus obscur et le plus malheureux qui ait jamais existé.

Les plus grandes et les plus saintes abbayes étaient précisément les plus renommées par le zèle qu'on y déployait pour la culture de l'art. Saint-Gall, en Allemagne, le Mont-Cassin, en Italie, Cluny, en France, furent pendant plusieurs siècles les métropoles de l'art chrétien. Plus tard, Saint-Denis, sous l'abbé Suger, leur disputa cet honneur. A l'ombre de son immense église, la plus grande de toute la chrétienté, Cluny, avec les innombrables abbayes qui relevaient d'elle, formait un vaste foyer où tous les arts recevaient ce développement prodigieux qui devait attirer les reproches exagérés de saint Bernard'. Le Mont - Cassin suivait la même impulsion, et l'on voit que l'abbé Didier, lieutenant et successeur de saint Grégoire VII, conduisait de front la reconstruction de son monastère sur une échelle colossale, et de vastes travaux de mosaïque, de peinture, de broderie et de ciselure en ivoire, en bois, en marbre, en bronze, en or, en argent, exécutés par des artistes byzantins ou amalfitains, et qui lui valurent l'admiration expansive des contemporains 2. Un autre des lieutenants de Grégoire VII, saint Guillaume, abbé de Hirschau, en Souabe, se livrait avec ardeur à la culture des arts; il établit deux écoles d'architecture, l'une à Hirschau même, l'autre au monastère de Saint-Emmeran de Ratisbonne 3.

Au onzième siècle surtout, on peut l'affirmer, à l'exemple de Didier et de Guillaume, la plupart des moines célèbres par leurs vertus, leur science ou leur dévouement à la liberté de l'Église, l'étaient également par leur zèle pour l'art, et

Voir le curieux tableau que fait saint Bernard des magnificences artistiques de Cluny. Apologia ad Guillelmum, c. 12.

2 Leo Ostiensis, Chron. Casinens., liv. 11, c. 11, 20, 28, 29, 30, 33, pleins de détails inappréciables.

3 Ses services ont été convenablement appréciés par Heideloff, Die Bauhüllen des Mittelalters in Deutschland, p. 5.

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