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l'avant-goût de la béatitude céleste, tout cet ordre d'émotions profondes et exaltées que nul artiste ne peut rendre sans les avoir préalablement éprouvées, furent comme le cycle mystérieux que le génie de frère Angélique se plaisait à parcourir, et qu'il recommençait avec le même amour quand il l'avait achevé. Dans ce genre, il semble avoir épuisé toutes les combinaisons et toutes les nuances, au moins relativement à la qualité et à la quantité de l'expression; et pour peu qu'on examine de près certains tableaux où semble régner une fatigante monotonie, on y découvrira une variété prodigieuse qui embrasse tous les degrés de poésie que peut exprimer la physionomie humaine. C'est surtout dans le Couronnement de la Vierge au milieu des anges et de la hiérarchie céleste, dans la représentation du Jugement dernier, au moins en ce qui concerne les élus, et dans celle du Paradis, limite suprême de tous les arts d'imitation; c'est dans ces sujets mystiques, si parfaitement en harmonie avec les pressentiments vagues, mais infaillibles de son âme, qu'il a déployé avec profusion les inépuisables richesses de son imagination. On peut dire de lui que la peinture n'était autre chose que sa formule favorite pour les actes de foi, d'espérance et d'amour 1. »

Ce n'est pas seulement Florence qu'il enrichit de cette parure chrétienne. Sa gloire, en se répandant au loin, le fit appeler dans diverses villes de la Toscane et de l'Ombrie. On voit encore quelques débris de ses travaux à Cortone, à Pérouse et surtout à Orvieto. Enfin le Pape Nicolas V, si ami des arts, le fit venir à Rome, où il peignit à fresque la chapelle du Saint-Sacrement, que Paul III fit détruire pour élargir un escalier, et la chapelle dite de Saint-Laurent, si complétement oubliée par la barbarie des dix-septième et dixhuitième siècles, que le savant Bottari ne put y entrer qu'en De la poésie chrétienne, par M. Rio, Forme de l'art, p. 193.

escaladant la fenêtre, les clefs de la porte ayant été perdues. <«< Cette œuvre si simple, dit M. Rio, si pure, si dégagée de tout alliage profane, n'était pas cependant ce qui avait fait la plus forte impression sur l'esprit du Pape. Il s'était aperçu que l'âme de l'artiste valait encore mieux que son pinceau. >> L'archevêché de Florence ayant vaqué sur ces entrefaites, il le jugea digne d'en être revêtu. Mais Fra Angelico, en apprenant l'intention du Pontife, le supplia instamment de lui faire grâce de ce fardeau, parce qu'il ne se sentait nullement propre à gouverner les peuples'. Mais il ajouta qu'il y avait dans son ordre un moine, nommé Antonin, très-amoureux des pauvres, très-habile dans la conduite des âmes, craignant Dieu 2, et beaucoup mieux fait que lui pour être revêtu de cette dignité. Le Pape, plein de confiance dans sa recommandation, lui accorda la nomination qu'il sollicitait 3 et l'humble peintre eut ainsi la gloire d'appeler au siége de Florence celui qui devait y briller d'un éclat si pur, et que l'Église vénère aujourd'hui sous le nom de saint Antonin*.

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Fra Angelico mourut à Rome en 1455, à l'âge de soixantehuit ans. Il fut enterré dans l'église de son ordre, la seule gothique qui soit restée à Rome, et dont le nom est comme le symbole de la victoire éternelle du christianisme sur le paganisme au sein de la capitale du monde, Santa-Maria-sopra-Minerva. On y voit encore sa tombe, avec sa figure en pied et les mains jointes, gravée au trait, et on y lit cette épitaphe:

Non mihi sit laudi quod eram velut alter Apelles,

Sed quod lucra tuis omnia, Christe, dabam :

1 Perocche non si sentiva atto a governar popoli. (VASARI.)

Havendo la sua religione un frate amorevole de' poveri, dottissimo di governo e timorato di Dio. (VASARI.)

3 Gli fece la grazia liberamente. (VASARI.)

4 Il a été canonisé par Adrien VI.

Altera nam terris opera exstant, altera cœlo;

Urbs me Joannem flos tulit Etruriæ.

« Qu'on ne me loue pas de ce que j'ai peint comme un autre Apelle, mais de ce que j'ai donné tout ce que je gagnais à tes pauvres, ô Christ! J'ai travaillé pour le ciel en même temps que pour la terre; je m'appelais Jean; la ville qui est la fleur de l'Étrurie a été ma patrie. »

Après sa mort, au surnom d'Angélique vint se joindre celui de Bienheureux, il Beato. C'est ainsi qu'il est principalement désigné encore aujourd'hui à Florence et dans toute l'Italie. Toutefois cette expression de la pieuse admiration des Chrétiens n'implique nullement un culte public et autorisé par l'Église.

Au premier rang de ses élèves on voit figurer Benozzo Gozzoli, qui continua fidèlement la ligne tracée par son maître, et dont la gloire est inscrite sur les murs du plus bel édifice de l'Italie, le Campo-Santo de Pise; puis encore Gentile da Fabriano, le père de cette dynastie sublime des peintres de l'école d'Ombrie qui devait finir avec la défection de Raphaël, en laissant à l'art chrétien, comme pour le consoler, Francia de Bologne. On peut ainsi regarder Fra Angelico comme la souche des trois grandes branches de l'école mystique, celle de Florence, d'Ombrie et de Bologne'.

Depuis la publication de cette notice, la vie de Fra Angelico a été l'objet de plusieurs travaux importants et approfondis, parmi lesquels nous signalerons en première ligne l'ouvrage intitulé: San Marco illustrato nei dipinti del B. Angelico, con la vita dello stesso pittore, par le R. P. Marchese, dominicain, Florence, 1854, in-folio; puis la Vie de Fra Angelico de Fiesole, par M. E. Cartier, Paris, 1857, in-8°.

Euvres. VI. Art et Littérature.

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XV

DE L'ANCIENNE ÉCOLE DE FERRARE

PAR M. LADERCHI

(1838.)

C'est avec le plus vif plaisir que nous voyons se développer graduellement en Italie l'amour et l'appréciation de l'art chrétien du moyen âge, opposé à l'art païen des siècles modernes, qui a régné jusqu'à présent despotiquement sur cette belle contrée. Notre satisfaction redouble quand nous voyons ce mouvement de justice et de science à la fois partir du centre même de l'unité, des États romains. Déjà l'année dernière, M. le chevalier Minardi, président de l'Académie des beaux arts de Rome, avait établi, dans un discours qui fit beaucoup d'effet, la supériorité de l'inspiration chrétienne des écoles primitives sur la prétendue peinture religieuse des siècles récents. Voici maintenant que, se conformant à un usage italien, un citoyen de Ferrare, M. Camillo Laderchi, à l'occasion des noces du jeune comte Costabili avec la comtesse Malvina Mosti, publie une description de la galerie Costabili, à laquelle il rattache un essai historique tout à fait original sur l'ancienne école de Ferrare. L'ouvrage porte le titre suivant: Descrizione della quadreria Costabili, parte prima; l'Antica scuola ferrarese, par M. Camillo Laderchi; Ferrara, 1837. La sympathie que l'auteur exprime dans son

ouvrage pour les idées de M. Rio et nos faibles efforts en faveur de la réforme de l'art religieux, est un motif de plus pour que nous contribuions, en rendant compte de ses travaux, à resserrer ce lien religieux et littéraire entre la France et l'Italie. L'opuscule de M. Laderchi est même spécialement destiné à combler une lacune que présente l'ouvrage publié par M. Rio sur l'Art chrétien en Italie, ouvrage que l'auteur ferrarais signale avec tant de raison comme le plus complet et le plus important qui ait encore paru sur cette matière. Adoptant tous les principes posés par M. Rio, quant à l'influence prépondérante de la piété catholique sur la peinture du moyen âge, et à sa répugnance légitime pour le naturalisme et le paganisme, M. Laderchi nous donne une série de renseignements détaillés et très-curieux sur seize peintres ferrarais, depuis Gelasio di Nicolo, qui florissait en 1240, jusqu'à Michelli Cortellini, dont on a des tableaux datés de 1517. On ne trouve ailleurs que des notions très-rares et très-inexactes sur ces artistes, tous exclusivement consacrés à la peinture mystique, et dont M. Laderchi nous fait connaître avec le plus grand soin la vie et les œuvres. Il s'étend avec raison sur les astres vraiment rayonnants de cette école Panetti, né en 1460; Ercole Grandi, né en 1491; Mazzolino, né en 1481, et surtout Lorenzo Costa. M. Rio avait déjà reconnu l'identité du but, de l'esprit et des inspirations qui dominaient à la fois l'école de Bologne (à laquelle il rattache celle de Ferrare) et l'école d'Ombrie, celle de Gentile de Fabriano, du Pérugin et de Raphaël. Il en avait conclu a priori qu'il avait dû y avoir des communications matérielles entre elles deux. Or, M. Laderchi est venu répandre la lumière la plus satisfaisante sur ces diverses ramifications de l'école mystique, en démontrant que Lorenzo Costa, en même temps que Gentile de Fabriano, fut l'élève de Benozzo Gozzoli, lui-même élève

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