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sublime cathédrale de Laon, si cruellement menacée. Dieu veuille seulement que le secours arrive avant que la cathédrale ne s'écroule.

Ainsi donc, Messieurs, ayons confiance et réjouissons-nous. Certes nous aurons encore à lutter contre les dédains des uns, contre la mauvaise volonté des autres, et surtout contre la parcimonie d'un trop grand nombre de corps constitués. Nous verrons encore démolir ou dénaturer plus d'un monument digne d'admiration ou d'intérêt; mais sachons bien que notre cause est gagnée. Il nous restera le devoir et le mérite de la persévérance dans l'œuvre commencée il y a vingt ans sous peine de la voir dégénérer et s'éteindre. Mais tout annonce qu'elle durera et que nous verrons de plus en plus ce que nous voyons déjà, c'est-à-dire notre art ancien et historique compris, étudié, restauré et appliqué jusque dans les moindres détails, depuis les voûtes aériennes qui couronnent nos églises, jusqu'aux carrelages historiés et émaillés destinés à remplacer ces tristes dalles noires et blanches qui leur servent de pavé moderne. Bientôt la flèche de la Sainte-Chapelle, en se dressant de nouveau au centre de Paris, dans la plus belle position qu'offre peut-être aucune ville du monde, viendra témoigner à tous que l'heure de la renaissance de l'art catholique et national a définitivement sonné.

Sans doute, dans cette renaissance, tout n'est pas irréprochable; on peut beaucoup critiquer et se moquer dédaigneusement de telle tentative avortée, de telle exagération puérile. Mais, comme je l'ai dit ailleurs, on peut avoir raison dans le détail et se tromper sur l'ensemble. Les échecs partiels ne changent rien au résultat général. Quoi qu'on fasse, la marée monte, le flot marche. On ne voit pas bien ce qu'il gagne à chaque moment donné. Dans ses mouvements régu

liers, mais intermittents, il semble reculer autant qu'avancer, et cependant il fait chaque jour sa conquête imperceptible; et chaque jour le rapproche du but marqué par la Providence. Messieurs, la justice exige que nous sachions rendre un hommage légitime à ceux qui ont été les auteurs et les principaux instruments de cette régénératiou. Parmi eux, il est trois noms qui se recommandent sans réserve à votre reconnaissance et à celle de la postérité. Je ne crois pas me laisser égarer par l'amitié en réclamant une place hors ligne pour M. Rio, dont le livre jusqu'à présent unique sur la peinture chrétienne en Italie a initié tant de lecteurs et de voyageurs aux plus pures merveilles de l'art religieux. Vous connaissez tous M. Didron, son infatigable activité, son dévouement un peu belliqueux à notre cause, ses publications, qui ont tout fait pour répandre dans le public, et surtout dans le clergé, le goût et l'intelligence des trésors qui nous restent. Mais avant tout, vous rendrez hommage avec moi à M. de Caumont, au fondateur de nos Congrès. Le premier, lorsque nous étions tous, les uns dans l'enfance, les autres dans l'ignorance, il a rappelé en quelque sorte à la vie l'art du moyen âge; il a tout vu, tout étudié, tout deviné, tout décrit. Il a plus d'une fois parcouru la France entière pour sauver ce qui pouvait être sauvé, et pour découvrir non-seulement les monuments, mais ce qui était plus rare encore, les hommes qui pouvaient les aimer et les comprendre. Il nous a tous éclairés, encouragés, instruits et rapprochés les uns des autres. Qui pourrait dire les obstacles, les mécomptes, les dégoûts de tout genre contre lesquels il a dû lutter pendant cette laborieuse croisade de vingt-cinq années? Les honneurs auxquels il avait droit ne sont pas venus le trouver. Sachons lui en tenir lieu par notre affection, notre reconnaissance, notre respect. Je lisais l'autre jour dans l'admi

rable livre de madame de Staël, intitulé: Dix années d'exil, qu'en arrivant à Salzbourg elle avait vu une grande route percée dans le roc par un archevêque, et à l'entrée de ce vaste souterrain le buste de ce prince avec cette inscription : Te saxa loquuntur. Messieurs, quand nous élèverons un buste ou une statue à M. de Caumont, nous y graverons ces mots: Te saxa loquuntur! Et ces pierres, ce seront les monuments de notre vieille France, c'est-à-dire les plus nobles pierres qu'on puisse voir sous le soleil.

(Extrait de l'Annuaire de l'Institut des provinces.)

XIV

NOTICE

SUR

LE BIENHEUREUX FRÈRE ANGélique de fieSOLE '

Le nom du moine Jean de Fiesole (Fra Giovanni Angelico da Fiesole), peintre de l'école catholique de Florence, surnommé l'Angélique, et communément appelé en Italie il Beato, ne se trouve presque dans aucun des ouvrages qui ont traité de l'art pendant les trois derniers siècles. On ne saurait ni s'en étonner, ni s'en plaindre. La gloire de celui qui a atteint l'idéal de l'art chrétien méritait de n'être pas confondue avec celle qu'on a décernée à des artistes comme Jules Romain, le Dominiquin, les Carraches et autres de ce genre: mieux valait pour lui être totalement oublié que d'être placé sur la même ligne qu'eux. Peu de temps après sa mort, le paganisme fit irruption dans toutes les branches de la société chrétienne : en politique, par l'établissement des monarchies absolues; en littérature, par l'étude exclusive des auteurs classiques; dans l'art, par le culte effréné de la mythologie et du naturalisme qui signala l'époque de la renaissance. Devenu rapidement vainqueur et maître, il

'Cette notice est extraite de la seconde livraison des Monuments de l'Histoire de sainte Elisabeth de Hongrie, publiés par A. Boblet, Paris, 1838-1839.

eut soin de discréditer et les hommes et les choses qui portaient l'empreinte ineffable du génie chrétien: Fra Angelico eut l'honneur d'être confondu dans la proscription qui enveloppa à la fois et les garanties politiques du moyen âge, et cette poésie pieuse et chevaleresque dont l'Europe avait été si longtemps charmée, et enfin cet art si glorieusement et si heureusement inspiré par les mystères et les traditions de la foi catholique. Tout cela fut déclaré barbare, digne d'oubli et de mépris, et, pendant trois siècles, on l'a oublié et méprisé, conformément au décret des maîtres. Aujourd'hui que l'esprit humain, arrivé peut-être au terme de ses longs égarements, s'arrête incertain, et semble jeter un regard d'envie et d'admiration vers les âges catholiques, on recommence à étudier l'art qui était la parure de cette époque si complète; et le peintre béatifié a repris peu à peu la place que lui avait assignée le jugement de ses contemporains. Encore étrangement méconnu en Italie, il est admiré avec enthousiasme en Allemagne, et la France, qui possède un de ses chefs-d'œuvre, s'habitue, à son tour, à le voir compter parmi les grands maîtres. Comme il occupe, par sa vie, aussi bien que par ses œuvres, le premier rang entre les peintres vraiment dignes du nom de catholiques, des lecteurs catholiques nous pardonneront à coup sûr quelques courts détails sur cette vie.

Né en 1387 dans les environs de Florence, à vingt et un ans il prit à Fiesole l'habit de l'ordre des Frères prêcheurs, fondé par saint Dominique; il porta désormais le nom de l'endroit où il s'était consacré à Dieu. On dit qu'auparavant dans le monde il s'appelait Guido ou Santi Tosini. Il vint peu après à Florence, où il entra au couvent de Saint-Marc, dans cette illustre maison qui allait produire le grand Savonarole et Fra Bartolommeo, mais dont notre bienheureux peintre devait

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