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Eh bien, qu'il me soit permis de le dire, je le déteste, genre-là, je déteste le superflu quand il prend la place du nécessaire. Ce qui est nécessaire à Paris, ce sont des églises en grand nombre, simples, majestueuses, dans ce style de Saint-Germain des Prés ou de Notre-Dame, qui se prête si bien à la simplicité et à l'économie, en même temps qu'à la majesté et à la grandeur.

Ce qui n'est nullement nécessaire, et ce qui m'est odieux, pour ma part, ce sont ces marbrures, ces dorures, cette profusion d'ornements suspects et coûteux qui abondent à la Madeleine et à Notre-Dame de Lorette.

Et ce n'est pas seulement sous le rapport de l'art que je réprouve ces églises : c'est encore parce que dans ces églises si somptueuses les pauvres ne trouvent pas leur place. (Adhésion.) Il semble, en vérité, qu'elles soient trop riches pour y laisser entrer les pauvres. Oui, je déteste les églises où le pauvre ne peut pas pénétrer librement, jusqu'au pied même de l'autel, où il y a tant de marbrures et de dorures, tant de balustrades et d'enceintes réservées, que les pauvres restent à la porte ou à l'entrée de l'église, comme autrefois les pénitents publics. (Vive approbation.) Donnez-nous donc des églises moins riches, mais plus vastes et plus nombreuses, et où règne cette noble simplicité qui est le premier apanage de notre art religieux et national, et le premier besoin de notre situation actuelle.

Un mot maintenant sur les monuments civils.

Je ne sais pas pourquoi, puisqu'il est convenu que dans le dix-neuvième siècle on en est réduit à copier et qu'on ne peut rien inventer; je ne sais pas pourquoi, dans ce qu'on copie, on va toujours prendre ce qu'il y a de plus laid et de moins national: ainsi on va prendre pour modèles de mauvais monuments grecs et romains, alors qu'on pourrait trou

ver parmi les édifices de nos ancêtres d'admirables modèles, non-seulement d'architecture religieuse, mais encore d'architecture civile, domestique, politique.

M. LE PRINCE DE LA MOSCOWA. Les architectes ne les con

naissent pas.

M. LE COMTE DE MONTALEMBERT. Vous avez mille fois raison. Voici pourquoi ils ne les connaissent pas, parce que l'Académie des beaux-arts (je remercie M. le prince de la Moscowa de m'avoir rappelé ce fait important), parce que l'École des beaux-arts que cette académie dirige ignore profondément notre art national et religieux, parce que les architectes que forme cette école en sortent animés de cette même ignorance, et de l'hostilité que donne l'igno

rance.

Voilà pourquoi nous voyons partout, en France, dans toutes les constructions officielles, toujours les mêmes colonnes, les mêmes frontons triangulaires, les mêmes attiques, les mêmes pilastres, en un mot les mêmes mauvaises copies d'un ridicule modèle, adapté à tous les usages, qu'il s'agisse d'un théâtre, d'une église, d'une caserne, d'une bourse ou même de ce palais de justice de Lyon pour lequel on vous demande je ne sais combien dans la loi que nous discutons. (Nouvel assentiment.)

Eh bien, cela tient uniquement, croyez-le, au pitoyable enseignement qu'on donne à l'École des beaux-arts, enseignement en contradiction directe et perpétuelle avec nos mœurs, nos goûts, nos fortunes et notre climat.

A ce sujet, un mot encore sur une construction qui nous intéresse tous, c'est le tombeau de Napoléon. Je trouve là précisément une partie des défauts que je signale et que je dénonce en ce moment dans le choix des sujets des bas-reliefs qui doivent former la principale décoration du tombeau de

l'empereur. Ce choix me paraît être aussi malheureux que possible.

D'abord, il y en a une raison morale et historique. On a choisi pour ces bas-reliefs des sujets empruntés non à la gloire militaire de l'empereur, mais à sa vie civile et politique. C'est, à mon gré, un choix déplacé. Je me souviens qu'il y a quelques années, alors que je critiquais, aussi amèrement que je pouvais le faire, et comme je me réserve de le faire encore, le système d'ornementation adopté pour la chambre où nous siégeons, je fis la remarque que Turgot et Portalis avaient ici des statues en pied, tandis que Napoléon, qui a bien aussi quelque droit de figurer parmi les législateurs et les hommes d'État, était relégué parmi les médaillons en clair-obscur. Là-dessus on s'anima d'un beau zèle et on me répondit, ce fut, je crois, M. le duc Decazes : Quoi! un despote comme Napoléon!

M. LE DUC DECAZES. Moi? (Hilarité.) Les souvenirs de l'orateur le trompent complétement; je ne me suis jamais servi de l'expression de despote.

M. LE COMTE DE MONTALEMBERT. Je me souviens parfaitement que cette objection m'a été faite; mais je vous demande pardon de vous l'avoir imputée. On me dit donc Mais Napoléon détestait la liberté, la tribune, les garanties constitutionnelles; que voulez-vous faire de lui dans une Chambre législative? J'avoue que la raison ne me sembla pas mauvaise et je me le tins pour dit. Mais aujourd'hui je viens la rétorquer à mon tour, et je m'étonne, en vertu de ce même argument, qu'on vienne exposer exclusivement à l'admiration de la postérité la vie civile de l'empereur; je trouve que ce ne sont pas là les souvenirs qu'il importe de consacrer; j'aime et j'admire la vie civile du consul qui rétablit l'ordre, mais non celle de l'empereur qui substitua le despotisme à l'ordre.

A l'époque où nous sommes, on n'a nul besoin de nous prêcher le despotisme, même dans les monuments. C'est, du reste, une opinion que j'émets en passant.

Mais c'est surtout au point de vue de l'art que le choix des sujets est ridicule. Comment! lorsqu'on avait, dans la vie militaire de l'empereur, dans sa vie réelle, empreinte encore dans les souvenirs de toute la France, les plus magnifiques sujets qu'on puisse offrir à la sculpture, on s'en va choisir, quoi? des allégories! Or, Messieurs, de toutes les bêtises que l'homme ait jamais inventées, la plus bête, selon moi, c'est l'allégorie (vive hilarité), et je n'en veux d'autre preuve que ces affreuses peintures allégoriques que vous voyez ici dans notre plafond. (Nouvelle et plus vive hilarité.)

Voici donc, si toutes les voix de la presse ne nous trompent point, les allégories qu'on a choisies pour orner le tornbeau de l'empereur. Je crois qu'il suffit de les nommer pour en faire sentir l'inconcevable ridicule. Ce sont : 1° le Code civil; 2o le Code pénal; 3° le Concordat; 4° l'Université; 5° l'Industrie; 6° le Commerce. On a choisi le Commerce, probablement par égard pour le blocus continental. (Hilarité.)

UN PAIR. C'est le blocus continental qui a ranimé le com

merce.

M. LE COMTE DE MONTALEMBERT. 7° l'Agriculture; et 8° la Centralisation administrative. Comprenez-vous bien, Messieurs, toute la beauté de cette allégorie qui aura pour objet de rendre la centralisation administrative? Quant à moi, je suggérerais à l'artiste de prendre pour emblème une pile de cartons verts. (Éclats de rire.) Je n'en conçois pas d'autres.

Il suffit, je crois, Messieurs, de vous avoir dénoncé ce dernier exemple pour montrer dans quelle voie fausse, absurde, peu naturelle, antinationale, on s'engage, grâce à l'éduca

tion déraisonnable de nos artistes. C'est une ligne qui nuit à notre réputation et à nos finances; car, dans la vie publique comme dans la vie privée, le mauvais goût coûte toujours plus cher que le bon goût. Elle nuit à l'honneur de notre gouvernement et à celui de notre pays; c'est pourquoi j'ai pris la liberté de vous en entretenir un peu longuement. (Marques nombreuses d'approbation.)

(Extrait du Moniteur du 27 juillet 1847.)

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