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M. Guizor, ministre des affaires étrangères. Pas assez, mais il le fait souvent.

M. LE COMTE DE MONTALEMBERT. Souvent, vous avez raison, mais j'espère qu'il le fera toujours; car je rends hommage aux lumières que M. le comte Duchâtel montre dans beaucoup de cas; mais je lui souhaite autant de courage et de persévérance que de lumières.

A tout seigneur tout honneur. Commençons par la ville de Paris, car il n'y a pas de ville plus vandale, excepté une que je vous signalerai tout à l'heure.

Ici je voudrais que M. le vicomte Victor Hugo me remplaçât pour justifier et compléter mes accusations; je lui céderais bien volontiers la parole: il connaît mieux que personne les actes de la ville de Paris dans ce genre, et il en ferait meilleure justice que moi. Mais, puisque sa modestie s'y refuse, je signalerai quelques démolitions commises par cette municipalité de Paris, notamment la destruction de deux des édifices les plus curieux de Paris, le collége des Bernardins et l'ancien couvent des Célestins.

Je suis charmé de voir M. le préfet de la Seine présent à son banc (hilarité); je suis prêt à recevoir toute espèce de contradiction de sa part. Voulant, avant tout, rendre hommage à la vérité, je serais charmé de voir rectifiées sur-lechamp toutes les inexactitudes, toutes les exagérations qu'on pourra m'objecter; mais, jusqu'à plus ample informé, je dis

que la ville de Paris, d'une façon inexcusable, a démoli ou déshonoré deux monuments admirables, le collége des Bernardins, qui était unique en son genre, et l'ancien couvent des Célestins, où était le tombeau de Charles V. Cc dernier édifice disparaît en ce moment de notre sol. (Marques d'adhésion.) En outre, la municipalité de Paris a laissé détruire un hôtel délicieux, et aussi unique dans son genre,

l'hôtel de la Trémouille, dont il était si facile de faire une mairie; et maintenant l'hôtel Carnavalet, illustré par madame de Sévigné, l'hôtel Carnavalet doit disparaître, parce qu'il se trouve menacé par l'alignement. Or, l'alignement a toujours raison contre l'art et l'histoire. ('Mouvement.)

J'aurai encore beaucoup d'autres choses à dire sur le vandalisme parisien, mais je vous en fais grâce pour arriver à une ville qui, comme je le disais tout à l'heure, est plus vandale que celle de Paris : c'est la ville d'Orléans. Ici M. le ministre a été réellement coupable. La ville d'Orléans avait à côté de sa cathédrale, dont elle est si fière et qui est fort peu de chose, un monument bien plus remarquable, l'HôtelDieu. Vous savez par quelle touchante pensée nos ancêtres avaient toujours rapproché la maison des pauvres de la maison de Dieu, et, les confondant pour ainsi dire sous une même dénomination, avaient donné à la maison des pauvres un nom qui ne se trouve dans aucune langue que la nôtre, l'Hôtel-Dieu. (Très-bien! très-bien!)

Eh bien, à Orléans comme à Paris, l'Hôtel-Dieu était à côté et à l'ombre de la cathédrale, avec cette différence toutefois, qu'à Paris, l'Hôtel-Dieu n'offre plus aucun intérêt artistique, tandis qu'à Orléans cet édifice était un admirable monument d'architecture ogivale. Le croiriez-vous, Messieurs? la ville d'Orléans n'a eu ni paix ni repos jusqu'à ce qu'elle eût renversé cet admirable édifice, sous prétexte de déblayer les abords de sa piteuse cathédrale. Ici je marche appuyé sur l'autorité de la commission du ministère de l'intérieur dont je parlais tout à l'heure. Cette commission a fait un rapport rédigé par l'inspecteur général des monuments historiques, M. Mérimée, adopté par la commission et transmis au ministre de l'intérieur, qui l'a fait insérer dans le Moniteur du 12 juin 1846.

Il y est dit, en propres termes, que l'Hôtel-Dieu d'Orléans a été détruit par l'inqualifiable obstination du conseil général du Loiret et du conseil municipal d'Orléans. La commission ajoute que l'édifice était vaste, solide, susceptible de recevoir mainte destination utile. Elle aurait pu dire que c'était le monument le plus beau et le plus curieux de cette ville de vandales.

La démolition a été entreprise, comme je l'ai dit, sous prétexte d'isoler le monument, mais, comme je crois l'avoir démontré dans mon rapport sur Notre-Dame, les monuments gothiques ne sont pas faits pour être isolés, comme les Pyramides dans le désert. Ils doivent être dégagés de certains côtés, de manière à être facilement aperçus; mais, en leur ôtant tout point de comparaison rapproché, on les rapetisse et on leur ôte la moitié de leur valeur. (Adhésion.)

Or l'État, dans la personne du ministre de l'intérieur, n'a pas eu le courage de dire à cet acte de vandalisme : Non, je ne le veux pas; mais il eut le courage et la bonne pensée de vouloir acheter l'édifice menacé. Cette malheureuse ville n'a pas même voulu consentir à ce moyen terme; elle y a mis un prix exorbitant: c'est la commission qui le dit en propres termes, et elle ajoute encore : « Toutes les représentations ont été inutiles devant un corps municipal, qui croit agrandir sa ville, en la dotant d'une grande plaine pavée, sur laquelle, par un rare oubli des convenances, on met en regard la mairie et le théâtre. »

On a prétendu que le maire d'Orléans avait menacé de donner sa démission si le ministère refusait de consentir à la démolition. (Hilarité.) Oh! combien je regrette amèrement qu'on ne l'ait pas acceptée! (Nouvelle hilarité.) Je ne veux pas m'informer des motifs qui ont empêché de le prendre au

mot.

Après ce grand et honteux exemple, les autres paraîtront bien mesquins, quoiqu'ils aient aussi leur importance.

Il y a deux objets qui sont en horreur à tous les corps municipaux, ce sont les murs et les tours, c'est-à-dire précisément ce qui fait en général le plus bel ornement des villes. Par exemple, la ville de Carpentras avait des murs très-anciens qui attiraient les voyageurs; ils ont été détruits. C'est encore à la commission du ministère de l'intérieur que j'emprunte cette opinion; elle dit que Carpentras était une des villes les plus jolies quand elle avait ses murs, et qu'aujourd'hui il n'y a pas de bourg plus insignifiant et plus vulgaire.

La définition est très juste; je souhaite qu'elle retentisse au cœur de ceux qui ont ainsi déshonoré leur ville. (Rires et adhésions.)

Croiriez-vous que les conseillers municipaux d'Avignon ambitionnent le même sort pour leur ville, en cherchant à rivaliser de vandalisme avec ceux de Carpentras? (Nouvelle hilarité.)

Tous ceux qui ont passé dans cette ville d'Avignon savent quelle empreinte de grandeur et de beauté lui donnent les restes des palais des Papes et des autres monuments; ils savent aussi qu'elle n'a pas de trait plus caractéristique que ses anciens remparts. Eh bien, dans un des tracés du chemin de fer de Lyon à Avignon, on fait passer la voie par les remparts, que l'on remplace par une chaussée. Je ne sais si ce tracé a été préféré par le ministère, mais je sais qu'il a été appuyé avec instance par la ville d'Avignon. Et on veut détruire ses remparts, pourquoi? Pour satisfaire la cupidité des propriétaires riverains de ces remparts, qui trouveront une augmentation de la valeur de leurs propriétés quand il y aura là un chemin de fer.

J'espère que M. le ministre de l'intérieur ou M. le ministre des travaux publics, car cela rentre plutôt dans ses attributions, voudra bien ne pas sacrifier un monument si important à des considérations si pitoyables. (Adhésion.)

A Reims, à Sens, à Guise, à Beauvais surtout, même acharnement des conseillers municipaux contre leurs remparts historiques.

Après les murs, les tours.

Dernièrement le beffroi de Valenciennes s'est écroulé; mais sa ruine a eu lieu comme celle de la tour de l'église Saint-Denis, par suite des travaux qu'on y a faits.

A Péronne, le conseil municipal a exigé la démolition de son beffroi, à la réparation duquel le ministère de l'intérieur avait alloué 20,000 francs. A Château-Thierry, on pave les routes avec les belles pierres de l'ancien château.

Elles sont rares les communes qui réclament, comme on l'a fait à Poissy et à Saint-Ricquier, pour la conservation des portes à tourelles, qui sont le symbole des anciennes franchises de la vie municipale de nos ancêtres, et que l'on devrait conserver, comme on le fait en Allemagne, en Belgique et en Angleterre, avec autant de raison et de sollicitude que Rome conserve ses arcs de triomphe.

J'arrive au ministère de la guerre. Quand tout à l'heure je parlais d'Avignon, je voyais M. le ministre1 faire un geste de satisfaction, m'encourager et approuver ce que je disais de la beauté des monuments d'Avignon; mais il n'ignore pas, sans doute, que le département de la guerre a commis d'épouvantables dévastations dans le palais des Papes. Ce n'est pas lui, sans doute, mais c'est son ministère, ou plutôt le génie militaire, le corps le plus vandale de tous ceux qui s'attaquent à nos monuments. (Adhésion.)

M. le général Trézel.

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