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commis ces méfaits? On l'a nommé membre du conseil des bâtiments civils (mouvement), c'est-à-dire qu'on l'a appelé à juger en dernier ressort de toutes les constructions nouvelles de France et de Navarre, lui qui avait perdu et déshonoré l'un des plus magnifiques édifices de notre moyen âge. (Nouveau mouvement.)

Eh bien, j'avoue que je trouve là un étrange abus; je ne sais pas si je dois appeler cela un abus des influences, comme on dit aujourd'hui, mais véritablement c'est un acte blâmable de faiblesse ministérielle.

Je n'en dirai pas davantage sur ces tristes travaux.

J'ai plusieurs ministères à passer en revue, c'est pourquoi j'abrége. Je passerai au ministère des cultes, et d'abord je commencerai par lui rendre hommage, si, comme on me l'assure, c'est grâce à l'intervention de ce ministère qu'on vient de sauver, ou du moins de contribuer au salut d'un des monuments les plus précieux de la Picardie, l'église de Saint-Germer, qui, après celles d'Amiens, de Beauvais et de Noyon, est la plus belle de cette province. Elle avait été condamnée à mort par un arrêt téméraire de cette même commission du ministère de l'intérieur, dont je disais tout à l'heure tant de bien. Mais, grâce au ciel, le ministre des cultes a envoyé sur les lieux un architecte plus perspicace, plus modéré, plus sage, plus courageux peut-être que les auteurs des premiers rapports, et il a déclaré que cette belle église pouvait parfaitement être sauvée, et j'espère qu'elle le sera.

M. le ministre des cultes mérite, à ce sujet, un grand et juste hommage. J'espère qu'il recommencera souvent une pareille campagne; mais toutes ses campagnes n'ont pas été aussi heureuses. Je ne lui reprocherai pas les méfaits trop anciens de son administration, par exemple la flèche de

Rouen, cette effroyable flèche en fonte qui écrase cette cathédrale si belle, et lézarde déjà la partie centrale du transept (c'est vrai); mais je lui reprocherai des opérations à peu près de la même famille que celle de Saint-Denis; par exemple, des flèches comme celle de Coutances, qui, ayant été légèrement endommagée par la foudre ou par d'autres événements qui sont arrivés dans tous les siècles, a été démolie et reconstruite par le caprice malheureux des architectes.

Ainsi je signalerai encore plusieurs travaux très-coûteux et d'une valeur contestée, qui ont été commencés et consommés au Puy, à Nevers, dans d'autres cathédrales. Mais le mal que je signale ici tient à une cause générale que je chercherai à faire comprendre à la Chambre.

Le ministère des cultes a sous sa dépendance les plus beaux édifices, je ne dis pas de la France, mais du monde entier; car je prétends qu'il n'existe rien de plus beau dans l'univers que les cathédrales de Reims, d'Amiens, de Bourges, de Chartres, de Paris, qui toutes dépendent du ministère des cultes, ainsi que soixante autres églises de la même nature.

Le ministère des cultes a des allocations dans le budget, destinées à l'entretien, à la réparation des édifices; allocations très-insuffisantes, selon moi, et cependant assez considérables. Eh bien! le ministère des cultes dispose de ces allocations avec une entière conscience, j'en suis sûr, avec beaucoup de zèle, avec beaucoup de sollicitude; mais peutêtre pas avec toutes les lumières désirables. En effet, dans les bureaux des cultes, je ne sache pas qu'il y ait des hommes très-versés, très-compétents dans cette science si délicate et si importante de l'archéologie nationale et religieuse.

Qu'a fait, au contraire, M. le ministre de l'intérieur? Il dispose d'une somme infiniment moins considérable et ne

s'appliquant qu'à des églises paroissiales, des châteaux, des monuments historiques qui n'ont pas l'importance des cathédrales, quoiqu'ils en aient beaucoup aussi; or, M. le ministre de l'intérieur, pour disposer de ces 5 ou 600,000 francs qu'il dépense tous les ans pour cet objet, a nommé une commission composée d'hommes du monde, d'hommes pris dans les deux Chambres, ou d'artistes qui sont parfaitement au courant de toutes ces questions, qui décident, sous l'approbation, comme de raison, et sous la haute surveillance du ministre lui-même, qui décident de l'emploi de ces fonds et du différent degré de mérite des travaux qui lui sont soumis. Il en résulte que les travaux entrepris sous la surveillance de cette commission donnent lieu, en général, à trèspeu d'objections.

Je souhaite, pour ma part, que le ministère des cultes adopte le même système, et vous ne verrez plus alors ce que j'ai vu il y a deux ans, à ma grande consternation, vu de mes yeux, c'est-à-dire des statues de toute beauté, arrachées au portail de la cathédrale de Bourges et jetées comme des débris inutiles dans les cryptes de la même cathédrale. Et pourquoi? Parce que l'architecte qui était chargé des travaux a pu agir et trancher à sa guise, n'étant soumis à aucune autre surveillance qu'à la surveillance purement matérielle, qui consiste à vérifier les comptes et à constater qu'on a dépensé exactement l'argent qui a été alloué.

Nous ne doutons nullement de l'intégrité de l'administration et des agents qu'elle emploie; mais nous doutons du respect qu'ils ont pour ces monuments anciens, et c'est ce respect, c'est ce degré spécial de capacité que nous désirons voir garantir à l'administration des cultes par les précautions qui ont été prises dans un autre ministère.

Ce n'est pas à dire toutefois que le ministre de l'intérieur

soit à l'abri de tout reproche; je demande pardon à la Chambre de la longueur de ces détails, je serais désolé de l'impatienter.

Voix nombreuses. Parlez! parlez!

M. LE COMTE DE MONTALEMBERT. Au ministère de l'intérieur, cette commission, à laquelle je me plais à rendre toute justice, a aussi commis quelques fautes; il faut qu'elle me permette de le lui dire, puisqu'un de ses membres siége dans cette enceinte. On lui a fait le reproche de distribuer ses allocations au gré de certaines considérations plus ou moins électorales. Je ne crois pas à cela, je ne veux pas y croire; mais je lui reproche d'avoir quelquefois livré les travaux importants et utiles qu'elle avait à diriger à des architectes inexpérimentés et téméraires, trop empressés de démolir pour réédifier. Ainsi, non-seulement, comme je vous le disais tout à l'heure, elle avait condamné à mort cette belle église de Saint-Germer, mais elle a laissé démolir dernièrement, par un de ses architectes, une tour de l'église collégiale de Mantes, qui est une des plus belles qu'il y ait sur les rives de la Seine, entre Paris et Rouen : à la suite d'imprudences commises dans la restauration, il a fallu démolir cette tour; quand la rebâtira-t-on? Un de ces jours on vous demandera sans doute de l'argent pour la rebâtir. Tout porte à croire qu'elle était suffisamment solide avant qu'on eût touché. Il est vraiment fâcheux qu'on soit exposé deux ou trois fois de suite à venir vous demander tantôt pour Saint-Denis, tantôt pour Mantes, tantôt pour ailleurs, des sommes destinées à réparer les bévues des architectes. On signale des dangers analogues à Laon, à Noyon, à Tournus. Dernièrement, enfin, une église du Périgord, l'église abbatiale de Brantôme, qui avait tenu depuis le douzième ou le treizième siècle, s'est en partie écroulée au milieu des tra

y

vaux de restauration; malheureusement, non, heureusement, elle ne s'est pas écroulée sur la tête de l'architecte qui avait été cause de cet accident (rires); mais enfin elle n'a menacé ruine qu'à partir du moment où cet architecte a voulu lui appliquer sa prétendue science. (Hilarité.)

A Saint-Maximin, en Provence, où se trouve la plus belle église, sans contredit, de cette province, on avait alloué une somme de 3,000 francs (c'est peu de chose, je ne le cite que comme exemple). Quelque temps après, un savant architecte, qui avait été chargé par la commission de surveiller ces travaux, est venu dire, dans son rapport du 9 juillet 1844, qu'il fallait encore 3,000 francs, non pour achever ces travaux, mais pour les démolir, parce que c'était cette partie nouvelle qui menaçait la sûreté des passants. (Nouvelle hilarité.)

Il y a donc un certain nombre de faits qui doivent être reprochés à cette dépendance, du reste si utile et si bienfaisante, du ministère de l'intérieur.

Mais il est une autre branche de la même administration qui, malheureusement, échappe à la surveillance de cette commission, mais non pas à celle du ministre lui-même. C'est pourquoi, en son absence, je veux la signaler à ses collègues et à la Chambre. J'entends parler des actes de vandalisme commis par les autorités municipales, et quelquefois par les autorités départementales (mouvement) : le ministre de l'intérieur en est responsable, grâce à la centralisation que je déteste en général, mais que j'admets et que j'accepte dans cette spécialité. Le ministre de l'intérieur est tenu d'approuver ou de rejeter presque toutes les délibérations de ces autorités : il en résulte qu'il se trouve investi du droit salutaire d'arrêter leur vandalisme, et c'est un droit dont il

n'use pas.

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