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à une abside, comme on veut le faire à Besançon, ou de planter des flèches sur des tours qui s'en passent très-bien depuis six siècles, comme on le projette à Reims.

Elle exhorte les jeunes architectes qui nourrissent ces ambitions déplacées à renfermer leur activité dans une sphère plus humble, mais plus utile et plus féconde, à étudier sérieusement l'art de consolider les monuments qu'ils prétendent embellir, et à chercher les moyens de faire prévaloir, dans les nombreuses églises nouvelles qui s'élèvent sur tous les points de la France, les principes et les formes de ce style sévère et simple du treizième siècle, dont l'économie est incontestable, et dont l'origine française, et par conséquent la parfaite convenance à notre climat et à notre pays, sont aujourd'hui démontrées.

En second lieu, nous devons déclarer que, s'il peut être quelquefois bon de compléter les édifices anciens, comme Saint-Ouen; s'il est excellent de sauver ceux qui menacent ruine, comme Notre-Dame, il est encore mieux de ne pas laisser détruire ceux qui restent debout sans exiger autre chose qu'une surveillance éclairée. Cela est à la fois plus court, plus facile et moins cher. Or, sans sortir de Paris, on a tous les jours à déplorer la destruction ou l'altération de quelques-uns des trop rares débris du moyen âge que renferme cette capitale. L'admirable hôtel de la Trémoille, la dernière tourelle de la célèbre abbaye de Saint-Victor, sont devenus récemment encore la proie du vandalisme destructeur. L'hôtel de Sens, l'hôtel Carnavalet sont destinés, diton, à subir dans peu le même sort. Si l'on nous objecte que la ville de Paris, qui a si magnifiquement pourvu aux dépenses de son hôtel de ville, n'est point assez riche pour sauver, en les rachetant, ces monuments si dignes de sa sollicitude, nous répondrons qu'elle aurait dû profiter de sa

pauvreté pour respecter le collége des Bernardins, qui lui appartient et qui vient de subir une déplorable mutilation. Ce précieux édifice du treizième siècle, divisé, comme une cathédrale, en trois nefs, chacune de dix-sept travées et de 270 pieds de long, lesquels se reproduisent à chacun de ces trois étages voûtés, est unique de son espèce, non-seulement à Paris, mais en France. Après avoir servi tour à tour d'école et de magasin, il vient d'être transformé en caserne de pompiers. Nous ne voulons pas juger la convenance de cette destination; nous ne doutons pas des précautions prises par notre collègue le préfet de la Seine pour empêcher toute dégradation inutile. Nous savons aussi très-bien que pour qu'un édifice soit conservé, il doit recevoir une destination quelconque. Mais nous gémissons de voir que cette appropriation récente ait fourni l'occasion de détruire l'ancienne toiture. La charpente de cette toiture formait une seule salle immense, sans cloison, disposée avec cet art merveilleux qui avait fait donner à ce genre de comble le nom de forêt. Cette charpente était du treizième siècle, comme l'édifice, et NotreDame seule offre un autre exemple d'une charpente de ce genre et de cette date.

Eh bien! sous le vain prétexte qu'un certain nombre de chevrons étaient attaqués par l'humidité, et avec cette funeste manie de substituer partout du nouveau à l'ancien, on a jeté bas cette charpente tout entière, et on lui a substitué un toit à l'italienne, un toit aplati, et n'ayant d'autre caractère que celui d'un grossier anachronisme : on a divisé l'étalage du milieu, avec son double rang de colonnes, en une infinité de petites pièces qui en détruisent tout l'effet; on a défiguré l'extérieur du monument par la construction d'un pavillon d'avant-corps et d'un attique, et on a recouvert le tout d'un badigeon jaune. Cependant l'importance de cet

édifice pour l'art et l'histoire ne pouvait être inconnue; car il a été relevé et gravé avec le plus grand soin, par les ordres du ministre de l'instruction publique, dans la Statistique de Paris, que publie M. Albert Lenoir aux frais de l'État. On a peine à concevoir qu'une pareille dévastation ait pu être effectuée, en 1845, sous les yeux des inspecteurs généraux et de la commission des monuments historiques, et au moment où l'on vous demande des millions pour achever SaintOuen et sauver Notre-Dame.

Votre commission vous propose, à l'unanimité, l'adoption du projet de loi.

(Extrait du Moniteur du 12 juillet 1845.)

Le projet fut adopté par la Chambre des pairs à l'unanimité.

XII

CHAMBRE DES PAIRS DE FRANCE

DISCOURS

SUR LE VANDALISME DANS LES TRAVAUX D'ART

DANS LA

DISCUSSION GÉNÉRALE DU PROJET DE LOI RELATIF AUX CRÉDITS
SUPPLÉMENTAIRES DES EXERCICES DE 1846 ET 1847.

(Séance du 26 juillet 1847.)

MESSIEURS,

Il y a longtemps que je cherchais une occasion légitime et naturelle d'entretenir la Chambre et le gouvernement de la conduite des travaux publics, en ce qui touche aux monuments déjà historiques ou destinés à le devenir un jour; je crois que cette occasion se trouve dans la loi qui vous est soumise. En effet, nous y voyons presque à chaque page des allocations qui sont destinées, soit à l'achèvement, soit à la conservation de monuments historiques ou autres, par conséquent des crédits demandés dans un intérêt d'art et d'histoire.

Il y a deux ans, dans un rapport que je fis à cette tribune sur la restauration de la métropole de Paris, je profitai de cette occasion pour rendre hommage aux services qu'avait rendus le gouvernement actuel à l'art et à l'histoire, par sa

DISCOURS SUR LE VANDALISME DANS LES TRAVAUX D'ART. 289

sollicitude, tardive mais efficace, pour un grand nombre de nos anciens monuments. Je ne puis aujourd'hui que répéter cet hommage; cependant je dois l'atténuer sous certains rapports, et mettre les ministres en garde contre divers abus qui s'attachent à ces grands et importants travaux. Je les félicite d'avoir demandé à la Chambre des députés des sommes importantes pour l'entretien des monuments historiques et des travaux d'art; je les félicite surtout de les avoir obtenues; peut-être n'est-ce pas toujours par des considérations purement d'art, mais enfin on les a obtenues, et nous devons nous en réjouir. Mais en même temps il faut signaler au pays et au pouvoir les abus qui accompagnent l'emploi de ces fonds, abus qui, j'aime à le dire, ne sont pas l'œuvre directe des ministres, mais celle des architectes et autres agents inférieurs, qui ne sont ni assez sévèrement surveillés, ni assez sagement dirigés.

Je ne crois donc pas abuser de la patience de la Chambre en lui dénonçant divers méfaits qui ont accompagné l'emploi de ces fonds; je le fais avec l'espoir d'en réprimer quelquesuns et d'en prévenir beaucoup d'autres. Je lui montrerai aussi que le vandalisme, que tout le monde déplore, conserve encore et même étend son empire dans certaines directions, où il est plus que temps de l'arrêter, et d'empêcher la ruine quotidienne et irréparable de plusieurs de nos plus précieux monuments.

Croyez, Messieurs, qu'il y a là un intérêt digne de toute l'attention, même des hommes politiques. Il y a quelques jours, dans une autre enceinte, l'éloquent M. Villemain disait avec raison que les études historiques étaient un ordre de littérature tout à fait conforme au génie de nos institutions et de notre siècle. Eh bien! les monuments de notre passé sont les auxiliaires essentiels de ces études : ce son des té

Œuvres. VI.

Art et Littérature.

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