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essentiel de la moindre paroisse manque à la métropole de Paris. Lors des grandes solennités de l'Église, l'archevêque, son chapitre et son clergé sont réduits à s'habiller au pied d'un escalier, dans une sorte de vestibule, sans feu au milieu des plus grands froids. Le chapitre n'a ni vestiaire ni salle capitulaire. Le service de la sacristie paroissiale a lieu dans deux chapelles latérales enlevées pour cela au culte et à la décoration générale de l'édifice. Un pareil état de choses ne saurait durer. Il sera donc pourvu à cette nécessité urgente par une construction placée sur le plan méridional du chœur et dont la distribution, arrêtée d'accord avec Mgr l'archevêque de Paris, doit être conforme aux besoins du service, quoiqu'elle nous ait paru très-restreinte, et tenir très-peu de compte de la coexistence du chapitre et de la paroisse.

Mais, ce dont nous féliciterons sans réserve l'administration et les auteurs du projet, c'est d'avoir substitué l'emplacement que nous venons de désigner au projet ridicule qui prétendait élever la sacristie sur le prolongement du chevet de l'église, et continuer l'abside circulaire à toit aigu par un bâtiment carré, avec un toit en terrasse. Un pareil projet ne pouvait être conçu qu'au mépris de toutes traditions de l'art et de l'église. Aucun édifice ogival n'offre l'exemple d'une excroissance analogue. Au contraire, le moyen âge a vu presque partout s'élever à côté de ses grandes églises des dépendances dans le genre de la sacristie qui vous est proposée. C'est une grande erreur que de croire, comme on l'a trop souvent soutenu dans ces premiers temps, que les cathédrales gothiques ont besoin d'être complétement isolées pour produire tout l'effet que comporte leur architecture : les constructeurs de ces cathédrales ne partageaient pas cette idée, et nulle part on ne les a vus la mettre en pratique. Il n'existe pas en Europe une cathédrale qui n'ait été flanquée

au nord ou au midi, non-seulement de ses sacristies, mais encore du palais de l'évêque, du cloître des chanoines, de leur salle capitulaire, des vastes bâtiments qu'il fallait pour loger les chapitres, presque toujours très-nombreux et trèsriches. En Angleterre, beaucoup de cathédrales ont conservé ces dépendances bâties dans le même style que le corps de l'église, et bien que les cathédrales anglaises soient pour la plupart très-inférieures aux nôtres, elles frappent souvent davantage au premier aspect, précisément à cause de cet entourage dont les proportions inférieures font d'autant plus valoir celles du monument central.

En thèse générale, la grandeur des admirables édifices du moyen âge, comme toute grandeur d'ici-bas, a besoin de points de comparaison qui la fassent apprécier et ressortir. L'isolement absolu leur est fatal. Il ne faut pas à coup sûr entasser les constructions voisines de manière à dérober des portions notables de l'ensemble à l'œil qui les contemple; il ne faut pas permettre, comme à Rouen et ailleurs, que les maisons viennent s'incruster entre les contre-forts. Mais il ne faut pas non plus faire le vide autour de nos cathédrales, de manière à noyer dans ce vide les magnifiques dimensions qu'elles ont reçues de leurs auteurs. Elles n'ont point été faites pour le désert comme les pyramides d'Égypte, mais au contraire pour planer sur les habitations serrées et les rues étroites de nos anciennes villes, pour dominer et enlever les imaginations par leur vaste étendue et leur immense hauteur, symboles immobiles, mais éloquents de la vérité et de l'autorité de cette Église dont chaque cathédrale était l'image en pierre.

L'emplacement choisi pour la nouvelle sacristie est donc tout à fait conforme aux lois de l'architecture gothique et de la tradition ecclésiastique. Loin de nuire à la perspective du

monument, les nouvelles constructions qui doivent laisser entièrement libre la façade du transept méridional y ajouteront une beauté de plus.

Le style adopté par les architectes est celui du quatorzième siècle, le même qui a été suivi dans les chapelles laté– rales du chœur auprès desquelles la sacristie s'élèvera. Si l'on y observe les lois de sobriété et de simplicité que comporte l'ensemble de Notre-Dame, l'effet en sera irréprochable.

La construction de la sacristie que nous vous proposons de voter subviendra donc aux besoins les plus urgents du culte dans la métropole. Elle aura, en outre, l'avantage de rendre à sa destination naturelle une portion de ce terrain qui fut souillé par le pillage et l'émeute dans les jours funestes dont la prudence du gouvernement et le patriotisme des bons citoyens sauront empêcher le retour.

Nous vous avons déjà dit que la dépense totale du projet nous semblait non-seulement modérée, mais renfermée dans les bornes de la plus stricte économie. Elle est inférieure de beaucoup aux sommes que vous votez journellement pour des travaux moins pressants et moins essentiels à la gloire du pays.

La ville de Paris a promis de concourir à l'embellissement de sa métropole en faisant abaisser le sol actuel de la place du Parvis-Notre-Dame, de manière à laisser rétablir quelques-unes des treize marches qui précédaient autrefois l'entrée principale de l'église. Il n'est personne qui ne puisse apprécier tout ce que la façade principale doit gagner à

cette élévation.

Plus tard, il faut l'espérer, la ville de Paris et l'État, quand les finances de l'une et de l'autre seront moins obérées, sauront s'entendre, afin de pourvoir à la décoration

intérieure de la métropole, qui est aujourd'hui la moins ornée des églises de Paris. Alors on s'occupera de l'ornementation des chapelles, en leur conservant le vocable sous lequel elles sont connues dans l'histoire; alors on pourra amortir la lumière beaucoup trop abondante qui arrive par les grandes fenêtres, en remplaçant les vitraux que ruina le goût impur et novateur des chanoines du dix-huitième siècle. Alors on examinera s'il convient de conserver à l'extrémité du chœur cette décoration théâtrale en marbre qui encaisse les colonnes encore existantes et les ogives du rondpoint, et qui forme un si fâcheux contraste avec le reste de l'église; alors, enfin, on songera sans doute à reconstruire cette flèche en bois qui s'élevait au point d'intersection de la nef et du transept, et dont l'effet était si heureux. Cette dernière dépense, d'après le devis soumis au conseil des bâtiments civils par les architectes chargés de la restauration, ne s'élèverait qu'à 61,880 francs. Nous devons regretter qu'une restitution, dont les frais seraient si modiques, n'ait pas été comprise dans le projet actuel.

MM. Lassus et Viollet-Leduc, auxquels le gouvernement a confié l'œuvre importante que vous allez sanctionner, ont mérité ce choix par des antécédents très-favorables. Après de longues et sérieuses études sur l'art du moyen âge, ils ont l'un et l'autre appliqué leurs connaissances avec succès à plusieurs monuments de cette époque. M. Lassus a pris, aux réparations de la Sainte-Chapelle, une part qui lui a valu le suffrage des juges les plus compétents, et M. ViolletLeduc a déployé autant de zèle que d'intelligence pour la conservation de l'immense église abbatiale de Vézelay, qui n'est inférieure que de 21 pieds en longueur à Notre-Dame elle-même. Nous avons examiné avec soin le rapport qu'ils ont présenté au ministre sur les travaux qui vont leur être

confiés, et nous avons été complétement rassurés par la prudente réserve de leurs intentions, la solidité de leurs arguments et l'exacte conformité de leurs projets avec le style général des monuments; nous sommes convaincus qu'ils se montreront dignes de l'insigne honneur de présider à une œuvre réparatrice, destinée à servir de modèle à toutes celles de même nature qui seront entreprises désormais.

En terminant, votre commission doit vous soumettre deux observations essentielles. Voici la première :

On ne doit pas conclure de cette loi ni de celle relative à l'achèvement de la façade de Saint-Ouen, qu'il entre dans les projets du gouvernement de terminer tout ce qui est inachevé dans nos monuments du moyen âge, et de compléter au point de vue moderne ces vestiges de notre passé. Après avoir consacré des sommes importantes à la plus belle église de la Normandie, après avoir préservé la métropole de Paris d'une ruine imminente, le gouvernement saura s'arrêter; et, désormais muni de tous les renseignements convenables, entouré de commissions où siégent les hommes les plus expérimentés dans cette matière, il n'accordera des subsides extraordinaires qu'aux édifices dont les dégradations menaçantes réclament impérieusement le secours de l'État. Il ne manquera pas d'occasion pour être généreux dans ses dons; car le nombre de nos anciennes églises qui menacent ruine est considérable. Mais en agir autrement, se prêter aux fantaisies de certains artistes, subir l'exigence de certaines influences, ce serait entrer dans une voie aussi contraire aux intérêts de l'art qu'à ceux du trésor. Votre commission proteste formellement contre l'idée d'habiller à neuf toutes les vieilles cathédrales, de remettre des têtes à toutes les statues mutilées, et des statues dans toutes les niches vides, de refaire toutes les façades, et surtout de substituer une façade

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