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historique, et nous sommes encore loin de pouvoir nous vanter d'œuvres savamment et complétement réparatrices, comme celles qui honorent divers pays étrangers et surtout la Bavière. Mais cette part faite à une trop juste critique, il faut reconnaître et proclamer qu'en général le bien l'a emporté sur le mal. L'impulsion salutaire une fois donnée a été maintenue, le gouvernement marche chaque jour d'un pas plus asuré dans la bonne voie, et la sollicitude active et éclairée qu'il déploie au profit de nos monuments religieux et historiques mérite tous nos éloges et lui vaudra certainement la reconnaissance de l'avenir.

Ce n'est pas là, du reste, comme on l'a prétendu, un bienfait conféré à l'Église, ce n'est qu'une justice; car l'État, en s'emparant de toutes les propriétés ecclésiastiques, a contracté expressément l'obligation de pourvoir à l'entretien des édifices destinés au culte. C'est, en outre, l'accomplissement d'un devoir envers la civilisation, envers l'histoire, envers les arts, devoir inséparable de la conservation des inonuments les plus importants de la civilisation chrétienne, les plus essentiels à l'intelligence de notre histoire, les plus féconds en enseignements pour nos architectes et nos sculpteurs. C'est enfin un acte de patriotisme le plus élevé et le plus pur, puisqu'il s'agit de dérober aux atteintes du temps et d'une ignorance barbare des édifices qui attestent la suprématie du génie de la France au moyen âge, et qui forment encore aujourd'hui le plus bel ornement de la patrie.

Votre commission donne donc son entière adhésion à la marche du gouvernement dans cet ordre d'idées, et elle s'applaudit unanimement de lui voir reporter sa sollicitude, par le projet de loi qui vous est soumis, sur Notre-Dame de Paris. On s'affligerait à bon droit du retard qui a été mis à la présentation de ce projet si indispensable, si l'on ne

devait trouver une compensation à ces lenteurs dans les études plus approfondies qu'elles ont permis de faire, et dans le progrès croissant des principes qui conviennent à la restauration des anciennes églises. Mais aujourd'hui tout délai ultérieur serait aussi dangereux qu'inadmissible. Il est urgent de procéder à des réparations immédiates commandées par la plus vulgaire prudence. De plus, il est plus que convenable de faire ainsi disparaître le fâcheux contraste que présente à tous les regards, d'un côté, la cathédrale de Paris, victime d'une sordide négligence, et menacée par des dégradations toujours croissantes; et de l'autre, sur le bord opposé de la Seine, cet hôtel de ville renouvelé et agrandi avec une magnificence si grande et si digne d'une opulente capitale.

Personne d'entre vous n'exige à coup sûr qu'on viene lui démontrer les titres de Notre-Dame de Paris aux secours du trésor national. Ils n'ont besoin ni d'être énumérés, ni surtout d'être exagérés. Notre-Dame n'est pas la métropole de la France, car l'archevêché de Paris, érigé le dernier de tous en 1622, n'a aucune sorte de supériorité sur les diocèses autres que ceux qui forment sa province ecclésiastique. Comme monument, Notre-Dame de Paris n'est pas non plus la première des églises de France. Notre-Dame de Reims, Notre-Dame de Chartres et Notre-Dame d'Amiens, rivalisent avec elle par la beauté et la grandeur de l'ensemble, comme les cathédrales de Strasbourg, de Coutances, de Rouen, de Bourges, par la perfection de certaines parties. Mais, en revanche, la métropole de Paris a droit de compter au premier rang des chefs-d'œuvre de notre architecture par sa noble simplicité, par la sévère et majestueuse beauté de sa façade occidentale, surtout par l'harmonie si rare qui règne dans ce vaste édifice, dont aucune addition

postérieure au quatorzième siècle n'est venue altérer la sublime unité.

En outre, placée au centre de la capitale de la France et de la plus grande ville du continent européen, elle est la plus célèbre et la plus populaire de nos cathédrales, et devait par conséquent occuper la première place dans la sollicitude de l'État.

L'assentiment unanime que le projet de loi rencontre dans la commission, et que nous aimons à prévoir dans la Chambre même, nous dispense d'entrer dans les détails des travaux proposés.

Nous nous bornerons à vous rappeler que le crédit demandé s'applique à deux objets distincts, quoique réunis par leur nature et par leur but:

1o La réparation et la consolidation des parties mutilées ou compromises de l'église métropolitaine.

2o La construction d'une sacristie, dont cette église est privée depuis 1830.

En ce qui touche au premier de ces deux objets, l'exposé de M. le garde des sceaux vous a fait suffisamment connaître les tristes motifs qui démontrent l'urgence de la dépense proposée. Le délabrement de Notre-Dame est nonseulement déplorable, mais dangereux; des symptômes chaque jour plus alarmants ne permettent plus d'hésiter ou d'attendre. La solidité de l'immense édifice est menacée. Le système d'étayement provisoire, qui sert de palliatif au péril, ne saurait être trop tôt remplacé par des mesures définitives.

Nous avons examiné avec soin les travaux proposés; ils nous ont paru se renfermer dans les bornes du plus strict nécessaire. Les architectes chargés de cette haute et laborieuse mission ont écarté tout ce qui n'était pas exigé pour

le salut et la consolidation du monument. Tout projet de décoration en dehors des réparations nécessaires est ajourné. Mais ces réparations elles-mêmes, faites comme elles vont l'être par des hommes de goût et de conscience, produiront, sous le rapport de l'art et de l'ornementation, un effet excellent. Ainsi, l'on verra disparaître ces placages de ciment ou de mastic qui, tout en offensant l'œil, endommageaient les parties encore solides de la maçonnerie; on enlèvera ce badigeon des voûtes intérieures qui ne servait qu'à déguiser le mal qu'il importait le plus de connaître et à rajeunir, par un fard ridicule, l'antique et solennelle beauté de la métropole. De plus, on substituera aux chéneaux modernes, qui ont produit de si funestes dégradations, les anciennes gargouilles. Or on sait que ces gargouilles sont à la fois indispensables à l'entretien matériel de l'édifice par un bon système d'écoulement des eaux pluviales, et inséparables de l'effet général des ornements d'architecture ogivale, où toutes les formes et tous les détails condamnés par l'ignorance moderne avaient un sens déterminé et un but raisonnable.

A l'aide des échafaudages dressés pour la consolidation nécessaire de la grande façade, on remplacera dans la galerie dite des Rois les vingt-huit statues dont l'absence laisse un vide fâcheux. Les fragments de quelques-unes de ces statues détruites en 1793 ont été retrouvés la reproduction des autres se fera fidèlement d'après les originaux de la même date qui existent à Reims et à Chartres; enfin on rétablira le grand portail central de cette même façade, qu'un vandalisme stupide fit détruire en 1771, afin de laisser un libre passage, lors des processions extérieures, aux dais tendus en bougran, comme le sont les ornements sacerdotaux de la France moderne, au lieu d'être comme en Italie et partout ailleurs en étoffes flexibles. Tel fut le pitoyable motif qui,

au milieu d'un siècle impie et frivole, fit sacrifier un chefd'œuvre de la foi et de l'art de nos pères, et mutiler cette porte qui, pendant les siècles de ferveur et de foi, avait suffi à tous les besoins du culte catholique. Depuis soixante-dix ans, l'ogive bâtarde et les colonnes difformes de Soufflot sont restées comme une injure sur la face glorieuse de NotreDame. On les fera disparaître et on reproduira, d'après un dessin fidèle, le trumeau et le tympan de cet admirable portail tels qu'ils sortirent de la pensée des architectes du treizième siècle. Le gouvernement, excité à cette œuvre réparatrice par le vœu du conseil des bâtiments civils, que le vote de la Chambre des députés a appuyé, et que le vôtre ne tardera sans doute pas à confirmer, aura ainsi donné une grande et salutaire leçon aux esprits téméraires qui ne craignent pas de greffer leurs mesquines inventions sur les plus vénérables monuments de l'antiquité chrétienne.

Les fenêtres de la galerie qui surmontent les voûtes des bas côtés de la nef ont subi une altération moins éclatante, mais très-fâcheuse et très-considérable. Elles ont aujourd'hui une forme disgracieuse en elles-mêmes, tout à fait inusitée pendant le moyen âge, et qui contraste de la manière la plus pénible avec toutes les autres baies de l'édifice. Nous souhaitons vivement que les architectes, conformément au projet qu'ils ont soumis au ministre des cultes et aux dessins qui nous ont été communiqués, puissent substituer à cette difformité le système d'arcature et de meneaux employés au treizième siècle.

Il nous reste à vous parler, Messieurs, de l'érection d'une nouvelle sacristie. Ici encore, dans la proposition qui vous est soumise, la nécessité de l'œuvre projetée et la modicité des crédits demandés nous paraissent également démontrées. Notre-Dame n'a pas de sacristie convenable. Cet appendice

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