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on ait omis deux hommes qui ont rempli un rôle immense dans l'histoire de la patrie, et qui ont été tous deux pairs de France, le cardinal de Richelieu et le duc de Sully? Tous deux, en effet, ont été revêtus de la pairie. A la vérité, je reconnais qu'entre cette pairie ancienne et la nôtre, il n'y a de commun que le nom, vox prætereaque nihil, mais enfin ils ont tous deux porté ce titre de pair de France, autrefois si considérable. On a voulu rappeler que c'était le nôtre, en plaçant au coin de cette salle un trait emprunté à l'histoire de l'ancienne pairie, les pairs de France offrant la couronne à Philippe le Long; on aurait donc dû assurément donner une place éminente à ces hommes, deux des plus grands ministres que la France ait possédés.

J'ajouterai, en terminant, qu'on aurait pu prendre dans l'histoire de l'ancienne pairie de France une foule d'hommes très-glorieux, entourés d'un grand prestige historique, qui auraient beaucoup mieux figuré dans la Chambre des pairs moderne que l'auteur de Don Quichotte, et d'autres littérateurs étrangers que l'on voit dans la bibliothèque.

Ainsi, le duc de Saint-Simon et le duc de la Rochefoucauld, comme écrivains; le cardinal de Richelieu, le duc de Sully, le chancelier Séguier, peut-être même le duc de Choiseul, comme hommes d'État; le maréchal de Luxembourg, le maréchal de Villars, le connétable de Lesdiguières, comme guerriers, voilà, certes, des personnages qui auraient convenablement figuré dans ce palais, et qui tous ont été revêtus de l'ancienne dignité de pair de France.

Je ne veux pas suspendre plus longtemps le vote de la Chambre; mais j'avais à cœur de protester contre ce qui a été fait; et je suis sûr d'être en cela l'organe de plusieurs de mes collègues. (Oui! oui!)

M. VILLEMAIN, ministre de l'instruction publique. Je ne

suis pas naturellement appelé à répondre aux remarques de goût que vient de faire l'honorable préopinant; mais il lui est échappé une erreur qu'il m'est bien permis de relever.

M. de Montalembert paraît croire que nulle administration n'a présidé aux travaux dont il porte un jugement si sévère, qu'ils ont été dirigés au hasard, et, par cela même, très-mal. M. LE COMTE DE MONTALEMBERT. Non! mais j'ai demandé laquelle.

M. LE MINISTRE. La présentation même du projet de loi indique assez de quel département ministériel a dépendu la direction des travaux d'art si blâmés. Et quant à ces travaux, sans avoir mission pour les discuter et les défendre, je dirai seulement que, dans un ordre d'idées semblable, la critique est facile et illimitée; et je suis convaincu qu'à côté des observations de M. le comte de Montalembert, et même des plans nouveaux qu'il proposerait, d'autres esprits ingénieux pourraient également présenter des censures aussi sévères que les siennes. Il y a là beaucoup de choses laissées à l'arbitraire du goût, et sur lesquelles on ne doit pas blâmer de si haut ce qui a été fait par des hommes de talent.

Je ne justifierai pas l'emploi des allégories. J'y tiens aussi peu que l'honorable préopinant: des réalités glorieuses valent mieux. Mais on pourra toujours discuter sur le choix. M. de Montalembert s'étonne, par exemple, que la grande et immortelle image de Napoléon soit reléguée dans un médaillon, au lieu d'être en pied et en statue au milieu de l'assemblée, honneur réservé à Turgot et à Portalis. Cela lui semble tout à fait injuste et choquant. On peut penser d'une autre manière on peut croire que Napoléon, admirable à tant d'égards, n'est pas le patron naturel d'une assemblée législative, et que ce n'est pas sous ses auspices qu'elle doit être placée. (On rit.) D'autres figures moins impérieuses et

moins dominantes peuvent convenir davantage à cette enceinte. Les nobles physionomies de Turgot et de Portalis n'y sont pas déplacées.

C'est surtout dans une assemblée de législateurs et de magistrats politiques qu'on peut ainsi proposer utilement à l'admiration, et, sous certains rapports, à l'émulation, quelques hommes élevés très-haut, mais selon l'ordre légal et régulier, par la seule supériorité des lumières et par l'accomplissement du devoir.

Je crois que, sur ce point et sur d'autres, les critiques de l'honorable préopinant sont beaucoup moins vraies que piquantes. J'en conclus qu'à part le profit à tirer pour l'administration et pour les artistes des observations de M. de Montalembert, la demande de crédit est régulièrement présentée par M. le ministre de l'intérieur, et qu'elle peut être régulièrement votée.

(Extrait du Moniteur du 8 juin 1842)

XI

RAPPORT

FAIT A LA CHAMBRE DES PAIRS

AU NOM D'UNE COMMISSION SPÉCIALE CHARGÉE DE L'EXAMEN DU PROJET DE LOI RELATIF A L'OUVERTURE D'UN CRÉDIT DE 2,650,000 FRANCS

POUR LA RESTAURATION DE LA CATHÉDRALE DE PARIS

Séance du 11 juillet 1845.

MESSIEURS,

On a souvent remarqué la différence curieuse qui existe entre la nature apparente des grands événements historiques et les résultats positifs qu'ils produisent. C'est ainsi qu'un succès, au premier aspect complet et éclatant, se transforme souvent en une source d'embarras et de défaites; que d'autres fois, une calamité vivement redoutée devient la source de compensations imprévues, et que sans cesse les conséquences indirectes ou définitives d'une crise politique suivent un courant opposé à celui des idées ou des passions qui ont précédé cette crise. Rien ne semble plus propre à démon

Cette commission était composée de MM. le comte Beugnot, le comte de Bondy, le comte de Gasparin, le vicomte Victor Hugo, le duc de La Force, le comte de Montalembert, le comte de Rambuteau.

Œuvres. VI.

Art et Littérature.

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trer cette loi de l'histoire que l'influence indirecte de la révolution de Juillet sur nos monuments religieux. A coup sûr, le lendemain de cette grande modification des lois et des destinées de la France, personne ne se fût imaginé qu'il en sortirait une tendance éminemment favorable à l'étude et à la conservation de ces monuments. Et cependant le régime qui a suivi la révolution de Juillet a vu s'effectuer la réhabilitation complète de notre art chrétien et national, et le gouvernement sorti de cette révolution a plus fait en quinze ans pour sauver et orner nos édifices religieux, que ne l'avait fait l'ancien régime pendant les deux derniers siècles de son existence, ou les gouvernements réparateurs de l'Empire et de la Restauration.

Le dix-septième siècle défigurait nos églises gothiques par des additions en style païen; le dix-huitième les mutilait systématiquement, et, pendant l'Empire et la Restauration, la France a vu périr plus de monuments sacrés et curieux que pendant les saturnales de l'anarchie. Tout au contraire, le gouvernement nouveau, à peine installé, signalait cette nouvelle tendance par la création de cette inspection générale des monuments historiques qui a commencé une réaction, malheureusement trop tardive, contre les excès d'un infatigable vandalisme. Depuis lors il a persévéré dans cette ligne. Comme on pouvait s'y attendre, tous les efforts tentés pour réparer le mal n'ont pas été également heureux : il y a eu des tâtonnements, des anomalies, des fautes; il a fallu subir les conséquences du passé, et de cette ignorance profonde des conditions et des principes de l'art du moyen âge, dans laquelle tous nos artistes ont été élevés. Il en est résulté que des édifices qui pouvaient être facilement sauvés ont été abandonnés et sacrifiés; que d'autres ont été dénaturés avec un manque absolu d'intelligence, de goût et de sentiment

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