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de belles et sages paroles, dont l'absence se fait regretter dans notre loi municipale française! Pour que l'approbation du roi ne soit jamais surprise, il a été institué une commission royale des monuments, présidée par le comte Amédée de Beauffort, et qui a déjà rendu de grands services. Il faut espérer que, grâce à ces précautions, on ne verra plus ce qui s'est passé il y a quelques années à Chimay, lorsque la pierre sépulcrale de l'historien Froissart (chanoine de la collégiale de Chimay) fut enlevée et brisée pour faire une entrée particulière dans la chapelle des fonts! On est déjà parvenu à sauver, entre autres débris curieux, la vieille porte de Hal, à Bruxelles, qui renferme encore de très-belles salles, et que l'on s'acharnait à remplacer par deux de ces barraques à porche et à fronton obtus qui ornent toutes les autres entrées de la capitale. On a même été assez heureux pour rendre à SainteGudule une portion notable de son ancienne beauté, en détruisant le maître-autel qui obstruait son chevet. M. Rogier, ancien ministre de l'intérieur, et actuellement gouverneur de la province d'Anvers, avait conçu et proposé la magnifique idée de faire terminer la flèche de la cathédrale de Malines par une souscription populaire, afin de placer sous cette consécration religieuse et nationale le souvenir de la révolution de 1830, et le point central du système des chcmins de fer qui doit changer industriellement la face de la Belgique. Malheureusement on a cru s'apercevoir que les fondements de la tour ne supporteraient pas une augmentation de poids aussi considérable. La ville de Malines mérite

de trois cents francs, pour contribuer à la dépense que nécessitera la conservation de la porte dite de Saint-Nicolas en cette ville.

Art. 2. Les terrains nécessaires, et notamment celui qui se trouve au delà de la porte et qui forme l'angle de séparation de l'ancienne route de la nouvelle, seront acquis et occupés conformément aux lois en matière d'expro priation pour cause d'utilité publique. »

rait, du reste, assez peu cet honneur, car sa régence est occupée en ce moment à postuler avec acharnement la destruction de la belle porte à tourelles qui conduit à Bruxelles, et lorsqu'on leur reproche cette barbarie, ils répondent: «Oh! nous en avons détruit une, il y a quelques années, celle de Louvain, qui était bien plus belle encore!» Et ils disent vrai, à leur plus grande honte.

Mais si le gouvernement a quelque prise sur les administrations provinciales et municipales, il n'en a point sur les particuliers ni sur le clergé. La vente des vitraux et des chaires, de tous les fragments mobiliers d'art chrétien, à des Anglais ou à des brocanteurs de Paris, est organisée sur une très-grande échelle. Il n'a fallu rien moins que l'intervention du roi protestant pour empêcher le curé catholique d'Alsemberg de vendre la chaire gothique de son église à un Anglais. A Alne, abbaye fondée par saint Bernard, sur les bords de la Sambre, il existe encore la plus grande partie de la maison et une moitié environ de l'église, qui date de l'époque même du fondateur. Croirait-on que ce sont les anciens religieux eux-mêmes, qui, ayant racheté ces ruines, les vendent par charretées! A SainteGudule même, dont la restauration se fait, en général, avec beaucoup de zèle et de goût, il faut cependant dénoncer l'architecte qui a trouvé bon de faire arracher un grand nombre de consoles richement sculptées sur les tours de la façade, sous prétexte que ces consoles sans statues ne signifiaient rien.

Quant au règne du badigeon, il est encore bien plus universel et plus solidement établi qu'en France. Je ne crois pas qu'à l'exception de Sainte- Waudru de Mons, il y ait une seule église de Belgique, grande où petite, qui ne soit pas périodiquement radoubée et mastiquée d'une pâte impitoya

blement épaisse. Il en résulte que la sculpture, si florissante au moyen âge en Belgique, est comme annulée partout où il s'en trouve quelques monuments dans les églises. Comment reconnaître non-seulement l'expression, mais jusqu'aux premières formes d'une figure qui est recouverte d'au moins dix couches successives de plâtre? On ne se figure pas le changement que subiraient toutes les églises belges, si quelque chimiste tout-puissant trouvait le moyen de les dégager de cette enveloppe déjà séculaire, et de les rendre à leur légèreté primitive. Il n'y a pas jusqu'au délicieux jubé de Louvain dont la transparence ne soit interceptée autant que possible par un voile écailleux. Seulement, au lieu du beurre frais et de l'ocre usités en France, c'est le blanc qui est universellement adopté en Belgique, un blanc vif, luisant, éblouissant, dont on ne se fait pas une idée avant de l'avoir vu. On sort de là comme d'un moulin, avec la crainte d'être soimême blanchi. Puis, si on jette un regard en arrière sur l'édifice, on se croit encore poursuivi par la brosse fatale; car, par un raffinement barbare, ce n'est pas seulement l'intérieur qui est métamorphosé en blanc de craie, ce sont encore les porches, les portails, tout ce qui peut se relever sur la couleur sombre des pierres extérieures, et jusqu'aux meneaux et aux archivoltes de toutes les fenêtres, qui sont passés au blanc par dehors, comme pour avertir le passant du sort qui l'attend au dedans. Je n'ai vu nulle part le moindre germe de réforme sur c point.

Pour en revenir à notre France, et pour qu'on ne me reproche pas de parler si longtemps sans indiquer un remède, je finirai en insistant sur la nécessité de régulariser et de fortifier l'action de l'inspecteur général des monuments historiques et celle de la commission qui délibère sur ses propositions au ministère de l'intérieur une loi, ou au

moins une ordonnance royale, est urgente pour leur donner un droit d'intervention légale et immédiate dans les décisions des municipalités et des conseils de fabrique. J'ai déjà cité la loi belge à ce sujet. En Prusse, il y a un édit royal qui interdit strictement la destruction de tout édifice quelconque revêtu d'un caractère monumental ou se rattachant à un souvenir historique, et qui ordonne de conserver, dans toutes les réparations de ces édifices, le caractère et le style de l'architecture primitive. En Bavière, la même prohibition existe et s'étend, par une disposition récente, jusqu'aux chaumières des montagnes de la haute Bavière si pittoresques, si bien adaptées au climat et à la localité, et auxquelles il est défendu de substituer les boîtes carrées que voulaient y importer certains architectes urbains. Il faut que quelque mesure sérieuse de ce genre soit adoptée en France; c'est la seule chance de salut pour ce qui nous reste : c'est le seul moyen d'appuyer les progrès trop lents et trop timides de l'opinion.

Et, en vérité, il est temps d'arrêter les démolisseurs. A mesure que l'on approfondit l'étude de notre ancienne histoire et de la société telle qu'elle était organisée dans les siècles catholiques, on se fait, ce me semble, une idée plus nette et une appréciation plus séricuse des formes matérielles que cette société avait créées pour lui servir de manifestations extérieures. Il est impossible, alors, de n'être pas frappé du contraste que présente le monde actuel avec le monde d'alors, sous le rapport de la beauté. On a fait bien des progrès de tous genres; je n'entends ni les contester, ni même les examiner; il en est que j'adopte avec toute la fervour de mon siècle; mais je ne puis m'empêcher de déplorer que tous ces progrès n'aient pu être obtenus qu'aux dépens de la beauté, qu'ils aient intronisé le règne du laid, du plat et du

monotone. Le beau est un des besoins de l'homme, de ses plus nobles besoins; il est, de jour en jour, moins satisfait dans notre société moderne. Je m'imagine qu'un de nos barbares aïeux du quinzième ou du seizième siècle nous plaindrait amèrement si, revenant du tombeau parmi nous, il comparait la France telle qu'il l'avait laissée avec la France telle que nous l'avons faite, ce pays naguère tout parsemé de monuments innombrables et aussi merveilleux par leur beauté que par leur inépuisable variété, avec sa surface actuelle de jour en jour plus uniforme et plus aplatie; ces villes annoncées de loin par leur forêt de clochers, par des remparts et des portes si majestueuses, avec nos quartiers neufs qui s'élèvent, taillés sur les mêmes patrons, dans toutes les sous-préfectures du royaume; ces châteaux sur chaque montagne, et ces abbayes dans chaque vallée, avec les masses informes de nos manufactures; ces églises, ces chapelles dans chaque village, toujours remplies de sculptures et de tableaux d'une originalité complète, avec les hideux produits de l'architecture officielle de nos jours; ces flèches à jour avec les noirs tuyaux de nos usines, et, en dernier lieu, le noble et gracieux costume d'autrefois avec notre habit queue de morue.

à

Laissons au moins les choses telles qu'elles sont. Le monde est assez laid comine cela. Gardons les trop rares vestiges de son ancienne beauté, ct, pour cela, empêchons un vandalisme décrépit de continuer à mettre en coupe réglée les souvenirs de notre histoire et de défricher officiellement les monuments plantés sur le sol de la patrie par la forte main de nos aïcux.

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