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nous lui dirions : « Croyez-vous au symbole que vous allez représenter, au fait que vous allez reproduire? ou, si vous n'y croyez pas, avez-vous du moins étudié la vaste tradition de l'art chrétien, la nature et les conditions essentielles de votre entreprise? Voulez-vous travailler, non pour un vil lucre, mais pour l'édification de vos frères et l'ornement de la maison de Dieu et des pauvres? S'il en est ainsi, mettez-vous à l'œuvre; sinon, non. » Nous demandons pardon de la trivialité de la comparaison; mais, en vérité, c'est le cas de renouveler la fameuse recette de la Cuisinière bourgeoise et de dire « Pour faire une œuvre religieuse, prenez de la religion, » etc.

Qu'on nous permette une dernière considération. Dans les beaux travaux qui ont paru jusqu'à présent en France sur l'art du moyen âge, et dont nous avons cité plus haut les auteurs, on remarque un vide que l'on peut dénoncer sans être injuste envers les hommes laborieux et intelligents qui ont ouvert la voie. Ce vide, c'est celui de l'idée fondamentale, du sens intime, de ce mens divinior qui animait tout l'art du moyen âge, et plus spécialement son architecture. On a parfaitement décrit les monuments, réhabilité leur beauté, fixé leurs dates, distingué et classifié leurs genres et leurs divers caractères avec une perspicacité merveilleuse; mais on ne s'est pas encore occupé, que nous sachions, de déterminer le profond symbolisme, les lois régulières et harmoniques, la vie spirituelle et mystérieuse de tout ce que les siècles chrétiens nous ont laissé. C'est là cependant la clef de l'énigme; et la science sera radicalement incomplète, tant que nous ne l'aurons pas découvert. Or, nous croyons que le clergé est spécialement appelé à fournir cette clef, et c'est pourquoi nous regardons son intervention dans la renaissance de notre art chrétien et national, non-seulement comme prescrite par ses

devoirs et ses intérêts, mais encore comme utile et indispensable aux progrès de cette renaissance et à sa véritable stabilité. En effet, par la nature spéciale de ses études, par la connaissance qu'il a, ou qu'il devrait avoir, de la théologie du moyen âge, des auteurs ascétiques et mystiques, des vieux rituels, de toutes ces anciennes liturgies, si admirables, si fécondes et si oubliées, enfin et surtout par la pratique et la méditation de la vie spirituelle impliquée par tous les actes qui se célèbrent dans une église, le clergé seul est en mesure de puiser à ces sources abondantes les lumières définitives qui manquent à l'œuvre commune. Qu'il sache donc reprendre son rôle naturel, qu'il revendique ce noble patrimoine, qu'il vienne compléter et couronner la science renaissante par la révélation du dernier mot de cette science. Qu'il ne croie pas en faire assez, lorsqu'il n'étudiera que les dates, la classification, les caractères matériels des anciens monuments : c'est là l'œuvre de tout le monde. Il n'y a pas besoin d'être prêtre, ni même catholique pour cela; on en voit des exemples tous les jours. Le clergé a, dans l'art, une mission plus difficile, mais aussi bien autrement élevée.

En terminant nous ne demanderons pas pardon de la brusque franchise, de la violence même, si l'on veut, que nous avons mise à protester contre les maux actuels de l'art religieux; la vérité nous excusera, et nous vaudra l'indulgente sympathie des cœurs sincères et des intelligences droites. L'avenir nous justifiera. Si la lutte continue avec la même constance qui a été montrée jusqu'ici, si l'instinct du public se développe avec la même progression, on peut nourrir l'espérance d'une victoire prochaine. Il nous sera peut-être donné de voir de nos yeux des évêques qui ne rougiront pas d'être architectes, au moins par la pensée, comme leurs plus illustres prédécesseurs, et aussi décidés à repousser de leurs églises l'in

décent, le profane, les innovations païennies, qu'à anathématiser une hérésie ou un scandale. Peut-être alors verrons-nous encore des artistes qui comprendront que la foi est la première condition du génie chrétien, et qui ne rougiront pas de s'age nouiller devant les autels qu'ils aspirent à orner de leurs œuvres. Quant à nous, si nos faibles paroles avaient pu ranimer quelque courage éteint ou porter une seule étincelle de lumière dans un esprit de bonne foi, notre récompense serait suffisante, et notre alliance se trouverait ainsi consommée avec ces jeunes artistes ', qui se dévouent à faire rentrer dans

'La justice et la sympathie que nous éprouvons pour toutes les tentatives de régénération catholique de l'art nous font un devoir de recommander à nos lecteurs des œuvres dont nous n'avons eu connaissance qu'après avoir terminé le travail qui précède.

Nous nommerons donc ici M. Baptiste Petit-Girard, qui semble appelé à régénérer l'art si délicieux de la miniature chrétienne; M. Charles Vasserot, qui a exposé d'admirables études sur la cathédrale d'Amiens et les églises d'Amalfi; M. Boileau qui, d'humble menuisier, est devenu sculpteur en bois pour doter l'église de Saint-Antoine de Compiègne d'une chaire gothique que son auteur a eu le bon esprit de rendre conforme aux anciens modèles : première chaire vraiment chrétienne et raisonnable qu'ait enfantée la France moderne. M. Boileau, âgé de vingt-quatre ans seulement, exécute en ce moment, et au compte du chapitre, deux chaires épiscopales pour la cathédrale de Beauvais. Enfin nous ne pouvons passer sous silence le livre d'Heures, qui a paru dernièrement, avec des compositions de M. Gérard Séguin, et dont chaque page est encadrée par des ornements dus à M. Daniel Ramée, d'une variété, d'une sévérité et d'une exactitude historique qui forment le plus agréable contraste avec le pitoyable abus qu'on fait du gothique dans la plupart des illustrations de nos jours. Ce livre offre une heureuse idée dont la réalisation est satisfaisante, et un heureux contraste avec d'autres productions du même genre. Il est à regretter seulement qu'on n'ait pas préféré la liturgie romaine à la liturgie parisienne, et que ces beaux encadrements du moyen âge servent d'accompagnement à des hymnes classiques du xvii et du xviiie siècle. (Note de 1837.)-La date qui précède suffit pour rappeler qué s'il fallait compléter cette liste par tout ce qui s'est fait depuis dans le même ordre d'idées, elle deviendrait un volume. Telle qu'elle est, elle suffit pour indiquer les pas faits dès lors dans la bonne voie. Les Annales archéologiques, fondées par M. Didron en 1840, forment dans leur XVI volume, déjà paru, le répertoire le plus complet de ces tentatives de plus en plus satisfaisantes et nombreuses. (Note de 1856.)

l'art consacré du christianisme ces caractères de pureté, de dignité et d'élévation morale, seuls dignes de la majesté de ses mystères et de ses destinées immortelles. Tous ensemble, ne perdons pas courage, et saluons cet avenir qui doit remettre en honneur la loi antique et souveraine de l'art, cette loi si cruellement méconnue depuis trois siècles, qui proclame que le beau n'est que la splendeur du vrai.

Ce qui précède était écrit, lorsque dans une de ces vieilles Vies des Saints, toutes nourries de cette poésie de la foi qui a fait le charme et le bonheur de nos pères pendant tant de siècles, dans une de ces légendes volumineuses qu'on lisait jadis dans toutes les chaumières, et qui ont été mises de côté par le même esprit qui a défoncé les vitraux, badigeonné les cathédrales, rogné les flèches et métamorphosé les anciennes liturgies, nous avons trouvé une belle et touchante histoire qui nous semble pouvoir servir tout naturellement d'épilogue à notre travail, et que nous citerons dans son vieux langage 1:

« L'église célèbre ce mesme jour la feste de cinq glorieux martyrs, qui estoient excellens sculpteurs et chrestiens, hormis Simplicien qui estoit payen, lequel voyant que les ouvrages de marbre et d'autres riches estoffes de ses quatre compagnons se trouvoient si parfaicts et accomplis, qu'en les eslabourant tout leur succédoit comme ils l'eussent pu désirer, là où au contraire il gastoit beaucoup d'outils de son art. Il demanda à Simphorien, qui estoit le premier de tous, d'où venoit cela? Il lui respondit que toujours, en prenant quelque instrument pour le travail, ils invoquoient le nom de JésusChrist leur Dieu, et luy remonstra si bien, que par la faveur de Notre-Seigneur il fut converty, et baptisé par un sainct

La Fleur des Saints, p. 1037, au 8 novembre.

evesque, nommé Cyrille, et mourut constamment avec ses quatre compagnons pour la foy chrestienne. D'autant que l'empereur leur ayant commandé de faire un ouvrage de certaine idole, entre plusieurs animaux, ils représentèrent bien au vif les animaux, mais ils ne voulurent jamais esbaucher l'idole... L'empereur sachant cela, cuida crever de despit, et fit faire des cercueils de plomb, dans lesquels il fit enfermer es cinq martyrs, et puis jeter au fond de la rivière, par lequel martyre ils achevèrent glorieusement le cours de leur pèlerinage, et gagnèrent la couronne d'immortalité. »

Disons-le franchement : de même que Simplicien alla de l'atelier au baptême, et du baptême au martyre, aussi faut-il que nos jeunes artistes, qui aspirent à régénérer l'art religieux, sachent aller avec simplicité au baptême de la foi, et braver ce martyre du ridicule et de l'invective que leur promet une impitoyable critique.

A la suite des publications précédentes, en 1838, l'auteur fut appelé à faire partie du Comité historique des Arts et Monuments, au ministère de l'instruction publique, et plus tard il fut nommé membre de la Commission des Monuments historiques, qui a relevé successivement du ministère de l'intérieur et du ministère d'État.

Il a été exclu du Comité des Arts par arrêté signé Fortoul, du 14 septembre 1852, et de la Commission des Monuments historiques par décret impérial du 15 décembre 1860, contresigné A. Walewski.

Œuvres. VI. Art et Littérature.

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