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jours réservé au point culminant de l'église, au sommet de la croix, pour cette vierge-mère dont Notre-Dame est un des plus beaux temples 1.

Enfin, quand finira-t-on de voir s'élever, avec l'approbation du clergé ou par ses soins directs, des édifices comme Notre-Dame de Lorette, Saint-Pierre du Gros-Caillou, SaintDenis du Saint-Sacrement, Notre-Dame de Bonne-Nouvelle, la chapelle de MM. les Lazaristes, rue de Sèvres, où repose le corps de Saint-Vincent de Paul, indignes masures dont les formes lourdes et étriquées à la fois ne sont conformes qu'au plus tristes échantillons du genre classique et païen, contemporain de la réforme; tandis que, par la contradiction la plus bizarre, les protestants construisent dans Paris une assez jolie chapelle gothique sur le patron inventé et consacré par le catholicisme?

En vérité, quand on rapproche ce dernier fait de la quantité d'églises gothiques que l'on voit bâtir chaque jour en Angleterre, et du soin religieux avec lequel les protestants anglais et allemands conservent le caractère général jusqu'aux moindres ornements des belles cathédrales catholiques que la réforme a fait tomber entre leurs mains, on est tenté de croire que le protestantisme a usurpé le monopole de l'art chrétien. Heureusement il n'en n'est pas ainsi; les nouvelles chapelles que les catholiques anglais fondent en grand nombre sont fidèlement copiées sur les anciennes églises qu'on leur a prises. Les jésuites viennent d'achever, à Oscott, un vaste collége

1 Le gouvernement du roi Louis-Philippe a proposé aux Chambres en 1845 la restauration complète de Notre-Dame : ce projet fut accueilli avec empressement par les deux assemblées parlementaires. On verra plus loin le rapport fait par l'auteur à la Chambre des pairs sur le projet de loi qui a eu pour résultat de confier cette restauration aux mains habiles de MM. ViolletLe Duc et Lassus, déjà signalés à l'attention publique et à la reconnaissance de tous les amis de l'art chrétien et national par l'excellente restauration de la Sainte-Chapelle (1856).

avec une belle église, l'un et l'autre entièrement gothiques, et dont le plan, aussi bien que les détails, rappellent les plus magnifiques abbayes du moyen âge. Au mois d'octobre de cette année, dans une seule semaine et dans le même canton, on a consacré trois belles églises et une abbaye de trappistes, du meilleur style gothique. Les catholiques d'Écosse et d'Irlande suivent absolument le même système. Enfin le roi de Bavière, ce souverain si catholique et si généreusement dévoué à l'art, a fait restaurer, avec autant de soin que de science, les belles églises de son royaume, surtout les cathédrales de Ratisbonne et de Bamberg: pour celle-ci le respect scrupuleux de l'art chrétien a été poussé si loin que l'on a relégué dans un cloître voisin tous les mausolées modernes, dont le classicisme païen formait un contraste choquant avec le style primitif de la basilique où reposent les corps sacrés de saint Henri et de sainte Cunégonde. Dans ses constructions nouvelles, ce prince a embrassé tous les genres d'architecture chrétienne, depuis la basilique des premiers siècles jusqu'au gothique parfait du quatorzième ; et il a su réserver les formes classiques pour le Valhalla, espèce de Panthéon historique qui n'a rien de commun avec la religion. C'est qu'en effet, puisque l'architecture moderne en est réduite à copier, il faut au moins savoir ordonner ces copies d'une manière conséquente et rationnelle. S'il y avait quelque nouvelle architecture bien séduisante, bien originale, on conçoit que le clergé se laissât séduire comme au moment de la Renaissance; mais puisqu'on n'a encore rien pu inventer qui sorte des deux grandes divisions de l'antique et du moyen âge, du païen et

' Ces trois églises sont celles de Grâce-Dieu Manor, de la Trappe de Notre-Dame du mont Saint-Bernard et de Whitwick, toutes les trois construites aux frais d'un généreux néophyte, M. Ambroise Lisle Phillips. Voyez l'Ami de la Religion du 7 novembre 1837.

du chrétien, pourquoi, au nom du ciel, aller choisir de préférence l'héritage du paganisme pour en faire hommage au Dieu des chrétiens?

Qu'on ne nous objecte pas le surcroît de dépenses: mauvaise raison ou plutôt excuse mensongère, inventée par la routine et l'ignorance des architectes classiques. Il ne s'agit pas, dans l'état actuel, d'élever de ces vastes cathédrales, où presque chaque pierre est un monument de patience et de génie, œuvres gigantesques que la foi et le désintéressement peuvent seuls enfanter: il s'agit tout simplement de réparer, de sauver, de guérir les blessures de celles qui existent, et puis de bâtir çà et là quelques églises de paroisses petites et simples. Or, des calculs désintéressés ont prouvé qu'il n'en coûterait pas plus (peut-être moins) pour adopter le système ogival on cintré, sans abondance d'ornements, que pour écraser le sol des masses opaques et percées de parallélogrammes que l'on construit de nos jours. Si nous sommes plus pauvres que les Anglais, nous sommes, je pense, plus riches que les malheureux paysans d'Irlande. Cependant ces pauvres serfs, tout épuisés qu'ils sont par la famine, les rentes qu'il faut leur payer à leurs seigneurs absents du pays, et les dîmes que leur extorque le clergé anglican; ces ilotes, qui n'ont que bien rarement du pain à manger avec leurs pommes de terre; ces martyrs perpétuels, obligés, après avoir gorgé de leurs dépouilles un clergé étranger, de nourrir encore celui qui les console dans leur misère, et de faire une liste civile à O'Connell, ce roi de la parole qui les conduit à la liberté; ces Irlandais bâtissent, eux aussi, des églises pour abriter leur foi, qui ose enfin se montrer au grand jour; et toutes ces églises sont gothiques! Comme dans toute l'Europe, après la grande

1 Pour être exact, il faut avouer que la chapelle métropolitaine de Marlborough Street, à Dublin, est bâtie dans le style classique, parce que, com

frayeur de la fin du dixième siècle, le sol de cette pauvre Irlande, tout fraîchement délivrée d'une affreuse servitude, se couvre d'une blanche parure d'églises dignes de ce nom! Excutiendo semet, rejecta vetustate, passim candidam eeclesiarum vestem induit, (RADULPH. GLABER, III, 4). Ils viennent, cette année même, de faire consacrer une belle cathédrale par leur archevêque patriote, Mgr M'Hale, à Tuam. Voilà ce qu'ils font, ces glorieux mendiants! Et nous, Français, nous sommes encore à nous traîner servilement dans l'ornière que nous a tracée le conseil des bâtiments civils!

Mais on nous objectera peut-être que le clergé n'est plus, comme autrefois, le maître absolu de tous les édifices religieux; que, par une inconséquence étrange et illégale, mais passée en usage dans nos mœurs administratives, il n'a plus le droit exclusif d'accepter ou de rejeter les œuvres d'art qu'on y place, les travaux qu'on y fait; qu'il ne lui est pas libre de s'opposer aux déprédations qu'y commettent les architectes municipaux, ni d'empêcher le gouvernement de s'habituer à regarder les églises comme autant de galeries où il lui est loisible d'exposer à demeure les tableaux soi-disant religieux que la protection d'un député ou le caprice d'un employé subalterne aura fait acheter. Cela n'est que trop vrai; mais il n'en est pas moins positif que le clergé fait exécuter une foule de travaux importants pour son propre compte; c'est sur ceux-là que roulent nos observations précédentes. Il y a, en outre, beaucoup de petites communes en France qui, pour devenir paroisses et avoir un curé à elles, s'imposent de grands sacrifices pour construire à leurs frais des églises, sans autres conseils que ceux des prêtres du voisinage, sans autre sur

mencée il y a plusieurs années, à une époque où le mauvais goût était encore puissant, même en Angleterre, elle a été achevée d'après le plan primitif.

veillance que la leur. Ce serait là une voie aussi naturelle qu'honorable de rentrer dans le vrai.

D'un autre côté, il est malheureusement incontestable que le clergé n'a manifesté que très-rarement son opposition au vandalisme des architectes officiels, au scandale des tableaux périodiquement octroyés aux églises. Il le pourrait cependant, nous en sommes persuadés, en s'appuyant sur ses droits imprescriptibles, et sur des textes de lois dont l'interprétation actuelle est abusive. Il le pourrait bien mieux encore en invoquant le bon sens et le bon goût du public, qui ne manquerait pas de réagir aussi sur l'esprit de l'administration. Il y aurait unanimité chez les gens de goût, chez les véritables artistes, pour venir au secours d'une protestation semblable de la part du clergé l'opinion est délicate et sûre en ces matières, comme on l'a vu récemment lors des sages restrictions mises par Mgr l'archevêque de Paris à l'abus de la musique théâtrale dans les églises; la victoire serait bientôt gagnée.

Quant à nous, si nous avions l'honneur d'être évêque ou curé, il n'y a pas de force humaine qui pût nous contraindre à consacrer des églises comme Notre-Dame de Lorette, à accepter des statues commes celles qu'on destine à Madeleine, à subir des tableaux comme ceux que l'on voit dans toutes les paroisses de Paris, avec une pancarte qui annonce pompeusement qu'ils ont été donnés par la ville ou le gouvernement. En outre, si nous avions l'honneur d'être évêque ou curé, nous ne confierions jamais, pour notre propre compte, des travaux d'art religieux à un artiste quelconque, sans nous être assuré, non-seulement de son talent, mais de sa foi et de sa science en matière de religion: nous ne lui demanderions pas combien de tableaux il a exposés au Salon, ni sous quel maître païen il a appris à manier les pinceaux;

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