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décesseurs. Ceux-ci, en effet, procédaient avec une logique désespérante à la destruction méthodique de tout ce qui pou vait leur rappeler le mieux la glorieuse antiquité du culte dont ils étaient les ministres. Il ne serait pas resté une seule de nos cathédrales gothiques, si ces masses indestructibles n'avaient fatigué leur déplorable courage; mais on peut juger de leurs intentions par certaines façades et certains intérieurs qu'ils ont réussi à arranger à leur gré. C'est grâce à eux qu'on a vu tomber ces merveilleux jubés, barrière admirable entre le Saint des saints et le peuple fidèle, aujourd'hui remplacée par des grilles en fer creux! Non contents de l'envahissement des statues et des tableaux païens sous des faux noms, on les vit, pendant le cours du dix-huitième siècle, substituer presque partout à l'antique liturgie, à cette langue sublime et simple que l'Église a inventée et dont elle seule a le secret, des hymnes nouvelles, où une latinité empruntée à Horace et à Catulle dénonçait l'interruption des traditions chrétiennes '. On les vit ensuite défoncer les plus magnifiques vitraux, parce que sans doute il leur fallait une nouvelle lumière pour lire dans leurs nouveaux bréviaires; puis encore abattre les flèches prodigieuses qui semblaient destinées à porter jusqu'au ciel l'écho des chants antiques qu'on venait de répudier. Après quoi, assis dans leurs stalles nouvelles, sculptées par un me nuisier classique, il ne leur restait plus qu'à attendre patiemque la révolution vînt frapper aux portes de leurs cathédrales, et leur apporter le dernier mot du paganisme ressuscité, en envoyant les prêtres à l'échafaud et en transformant les églises en temples de la Raison.

ment

Mais grâce pour leur mémoire! Ils ont fourni trop de martyrs et de glorieux confesseurs, pour que nous ne nous

1 On connaît le dicton si juste que fit naître cette métamorphose: Accessit latinitas, recessit pietas.

inclinions pas avec respect, même devant leurs faiblesses. Quant à leurs erreurs en fait d'art, ils avaient pour excuse de s'être laissé entraîner par le torrent qui a entraîné la société tout entière, depuis les soirées platoniciennes des Médicis, jusqu'aux courses de char ordonnées par la Convention au Champ de Mars. Eussent-ils voulu d'ailleurs n'employer que des artistes chrétiens, où les auraient-ils trouvés au milieu de la désertion générale? Ainsi donc réclamons des plus sévères aristarques indulgence pour le passé. Le clergé y a tous les droits. Mais la pourrons-nous réclamer de même pour l'avenir? Déjà l'on commence à s'étonner de ce que si peu de ses membres ont jugé digne de leur attention et de leur dévouement ce que les indifférents appellent l'art chrétien. On s'étonne à bon droit de voir que si cet art, qui constitue une des gloires les plus éclatantes du catholicisme, est reconnu, est apprécié aujourd'hui, c'est grâce aux efforts de savants laïques, protestants, étrangers, d'hommes presque tous imbus de la funeste théorie de l'art pour l'art, tandis que le clergé et les catholiques français s'en occupent à peine. On s'étonne de ce que toutes les fatigues et toute la gloire de cette grande œuvre soient livrées sans partage à des écrivains tels que MM. de Caumont, de Laborde, Didron, Magnin, Mérimée, Vitet, dont les travaux, du reste, si savants et si méritoires, ne semblent pas inspirés par l'esprit religieux; on s'en étonne, disonsnous; mais, après tout, il n'y a là qu'une conséquence toute

Nous devons cependant faire une exception en faveur de M. l'abbé Pavy*, auteur de plusieurs excellentes monographies sur des églises de Lyon; de M. l'abbé Tron, qui vient de mettre au jour une description de Saint-Maclou, de Pontoise; et de M. Gilbert, qui a publié des descriptions des cathédrales de Paris, Chartres, Amiens, Rouen, de l'ancienne abbaye de Saint-Ouen de la même ville, de Saint-Riquier et de Saint-Wulfran d'Abbeville (1837).

* Depuis évêque d'Alger.

naturelle d'un fait encore bien autrement étonnant : c'est qu'il n'y a pas peut-être, à l'heure qu'il est, cinq séminaires en France, sur quatre-vingts, où l'on enseigne à la jeunesse ecclésiastique l'histoire de l'Église! Chose merveilleuse et déplorable à la fois, l'histoire de l'Église, cette série d'événements et d'individus gigantesques, qui préoccupe aujourd'hui tant d'esprits complétement étrangers, sinon hostiles, aux convictions religieuses; cette manifestation continuelle d'une force supérieure à celle de l'homme semblerait au premier abord n'être indifférente qu'au clergé catholique. Veut-on acquérir quelques notions justes et impartiales sur les grands hommes et les grandes époques de cette histoire? veut-on savoir ce qu'étaient les croisades, saint Grégoire VII, Innocent III, saint Louis, saint Thomas, Sixte-Quint, il faut avoir recours à des livres traduits des protestants allemands ou aux écrits trop rarement orthodoxes de M. Michelet, de M. Villemain et de M. Guizot. C'est en vain qu'on s'adresserait au clergé français, successeur et représentant de ces noms glorieux parmi nous; on courrait risque de rencontrer, parmi ses publications nouvelles, les exagérations gallicanes de Fleury, ou la Dévotion réconciliée avec l'esprit, par un prélat du dernier siècle 1.

Comment le clergé, dépourvu comme il l'est de connaissances étendues et approfondies sur les événements et les personnages des temps qui ont enfanté l'art chrétien, comment pourrait-il apprécier les produits de cet art qui tient par les liens les plus intimes à ce que l'histoire a de plus grand et de plus important? Comment aurait-il appris à distinguer les œuvres fidèles aux bonnes traditions, ou qui manifestent une tendance à y retourner, de toutes celles qui les parodient et

Voir la note de la page 194.

les déshonorent? Il faut bien cependant qu'il se hâte de revenir à cette étude et à cette appréciation, sous peine de laisser porter une grave atteinte à sa considération dans une foule d'esprits sérieux. Des faits trop nombreux viennent chaque jour à l'appui d'adversaires malveillants. On a déjà dit que, pour entendre de la musique religieuse, il fallait aller à l'Opéra ou aux concerts publics, tandis que la musique théâtrale se retrouve dans les églises. Craignons qu'on ne dise bientôt que l'art religieux a des sanctuaires dans le cabinet des amateurs, dans les boutiques des marchands de curiosités, dans les galeries du gouvernement, partout enfin, excepté dans l'église! Nous avons entendu le curé d'une ville importante, très-respectable comme prêtre, se montrer même scandalisé de cette expression d'art chrétien, et déclarer qu'il ne connaissait d'autre art que celui de faire des chrétiens! Ce n'était ici que l'expression un peu crue d'une idée trop générale. Citons un exemple borné, mais significatif, de cette déplorable absence du sentiment de l'art chrétien. On a moulé depuis plusieurs années quelques-unes des plus belles madones de nos belles églises gothiques, entre autres celle de Saint-Denis, qui a été transportée à Saint-Germain des Prés 1. Ces modèles exquis de la beauté chrétienne se trouvent chez la plupart des marchands où le clergé et les maisons religieuses, les frères des écoles chrétiennes, etc., se fournissent des images qui leur sont nécessaires. Il semble que leur choix pourrait se fixer sur ces

Puisque nous nommons cette statue célèbre, il nous est impossible de ne pas signaler le vandalisme qui a fait reléguer dans une obscure sacristie ce chef-d'œuvre de la sculpture chrétienne, tandis que dans la même église, à la chapelle de la sainte Vierge, l'on a intronisé un pitoyable marbre moderne que l'on doit au ciseau de feu Dupaty, de l'Académie des beaux-arts, digne au reste du fronton classique qui l'encadre en contradiction avec tout le reste de l'église, digne encore des affreuses fresques en grisaille qui la flanquent des deux côtés (1837). - La statue de la Vierge dont nous parlons est aujourd'hui placée à l'entrée du bas côté méridional.

monuments de l'antique foi, que le zèle de quelques jeunes artistes a mis à leur portée. Eh bien! il n'en est rien; ils sont unanimes pour préférer cette horrible Vierge du dernier siècle, de Bouchardon, que l'on retrouve dans toutes les écoles, dans tous les couvents, dans tous les presbytères; cette Vierge au front étroit, à l'air insignifiant et commun, aux mains niaisement étendues, figure sans grâce et sans dignité, qu'on dirait inventée à dessein pour discréditer le plus admirable sujet que la religion offre à l'art. Que penser ensuite, pour ne pas étendre nos observations hors de Paris, de cette chapelle Saint-Marcel, récemment érigée dans Notre-Dame', monstrueuse parodie de cette architecture gothique dont on avait le plus beau modèle dans l'église même, et où, par un raffinement exquis de barbarie, on a été peinturlurer en marbre et dorer une espèce d'arcade qui semble avoir la prétention d'être ogivale? On sait qu'à Saint-Merry, dans une restauration récente, c'est le diable qui occupe la place de Dieu et qui préside à l'assemblée des saints; nouveau système de symbolisme théologique, affirmé par M. Godde, architecte des églises de Paris et grand prêtre du vandalisme municipal. Est-il possible que de pareilles choses se passent dans la métropole de Paris? Et que sera-ce en 1837, encore, s'il ne s'élève pas du sein du clergé une seule voix pour protester contre cet incroyable projet, quí tend à transformer en sacristie la chapelle propre de la sainte Vierge, située au chevet de la basilique, en violant ainsi l'éternelle règle de l'architectonique chrétienne, telle que toutes nos cathédrales nous la révèlent, en remplaçant par un lieu d’habillement et de comptabilité ce sanctuaire suprême, ce dernier refuge de la prière que la tendre piété de nos pères avait tou

Dans le transept septentrional.

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