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aux catholiques, de trouver le secret de la profanation dans l'inconséquence, d'emprunter aux idées et aux mœurs à jamais vaincues par le christianisme les types de leurs constructions et de leurs images religieuses, d'édifier l'église du Crucifié sur le plan du temple de Thésée ou du Panthéon, de métamorphoser Dieu le Père en Jupiter, la sainte Vierge en Junon ou en Vénus habillée, les martyrs en gladiateurs, les saintes en nymphes, et les anges en amours!

par

Est-ce à dire qu'il faille asservir toutes les œuvres d'art religieux à un joug uniforme? qu'il faille passer le niveau impitoyable d'un type unique, comme celui de Byzance, sur tous les fruits de l'imagination et de l'inspiration consacrée la foi? Il n'en est rien: l'art vraiment religieux ne repousse que le contre-sens, mais il le repousse énergiquement; il a horreur de l'envahissement du païen dans le chrétien, de la matière et de la chair dans le royaume de la pureté et de l'esprit. Il veut la liberté, mais la liberté avec l'ordre; il veut la variété, mais la variété dans l'unité, loi éternelle de toute grandeur et de toute beauté. Mais au lieu de longues explications théoriques, citons des noms et des faits : c'est le plus sûr moyen de montrer combien le génie catholique sait être fécond et varié, sans jamais manquer aux conditions de sainteté et de pureté qui le constituent. Dira-t-on qu'il y a uniformité entre une cathédrale romane et une cathédrale ogivale, entre Saint-Sernin de Toulouse et Saint-Ouen de Rouen, entre la cathédrale de Mayence et celle de Milan, et pour ne pas sortir de Paris, entre Saint-Germain-desPrés et Saint-Eustache? Non certes, et cependant tous ces édifices répondent également à l'idée légitime et naturelle d'une église chrétienne; tandis qu'il a y répulsion complète et profonde entre cette idée et des anachronismes comme la Madeleine et Notre-Dame de Lorette. Est-ce que les bas-reliefs

d'André de Pise au baptistère de Florence, ceux des tombeaux de saint Augustin à Pavie et de saint Pierre martyr à Milan, le Jugement dernier au grand portail de Notre-Dame de Paris, ou les saintes exquises de la Frauenkirche à Nurem- . berg, sont taillés sur le même modèle? Non certes; ces pierres, toutes vivantes par la foi et le génie qui les animent, ne se ressemblent, ni par la disposition des sujets, ni par l'expression, ni par l'agencement, mais uniquement par ce sentiment de pudeur, de grâce et de dignité que le dogme de la réhabilitation de l'homme donne à toutes ses œuvres : tandis que la fameuse vierge de Brydone à Chartres, et le fameux tombeau du maréchal de Saxe à Strasbourg ne sauraient commémorer que l'emphase et la prétention d'un siècle corrompu. Qu'y at-il de commun entre la madone vraiment divine de Van Eyck à Gand, et celles de Francia et du Pérugin; entre les délicieuses miniatures de Hemling sur le reliquaire de SainteUrsule à Bruges, et celles de Fra Angelico sur les reliquaires de Santa-Maria Novella à Florence; entre les graves et grandioses fresques de la primitive école florentine et celles si pures et si majestueuses de Luini ou de Raphaël avant sa chute? Ce n'est certes ni le coloris, ni le dessin, ni les types choisis, rien en un mot, si ce n'est une égale fidélité à l'idée chrétienne, et ce merveilleux effet également produit sur l'âme par tous ces différents chefs-d'œuvre. Entraînée par eux vers le ciel, elle est plongée dans cette sorte d'extase mystérieuse qu'aucune parole ne saurait rendre, et qui ne laisse à l'admiration d'autre ressource que de dire comme le Dante, au souvenir des délices du paradis :

Perch'io lo'ngegno e l'arte e l'uso chiami,

Si nol direi, che mai s'immaginasse ;

Ma creder puossi et di veder si brami.

Que l'on ne croie pas non plus que cette fidélité à la pensée

chrétienne doive dépendre exclusivement d'une époque spéciale, d'une organisation unique de la société, et que la nôtre en soit déshéritée. A côté de ces exemples qui datent des écoles primitives, on peut citer à juste titre l'admirable école contemporaine d'Allemagne, je veux dire celle d'Overbeck et de ses nombreux disciples, si peu connue en France, où l'on se croit cependant le droit de porter sur elle les jugements les plus bizarres, parce qu'on a vu deux ou trois tableaux de l'école de Dusseldorf qui ne lui ressemble en rien. Eh bien! tous ceux qui ont vu et compris des tableaux ou des dessins d'Overbeck ne pourront s'empêcher de reconnaître qu'il n'y a là aucunement copie des anciens maîtres, mais bien une originalité puissante et libre, qui a su mettre au service de l'idée catholique tous les perfectionnements modernes du dessin et de la perspective ignorés des anciens. L'âme la mieux disposée à la poésie catholique n'en est pas moins complétement satisfaite, comme devant le chef-d'œuvre le plus suave des anciens jours, et l'intelligence la plus revêche est forcée de convenir qu'il n'est nullement impossible de renouer le fil des traditions saintes, et de fonder une école vraiment religieuse, sans remonter le cours des âges et sans cesser d'être de ce siècle.

Il est triste que l'Allemagne puisse s'attribuer à elle seule la gloire de cette véritable et salutaire renaissance. Il est triste que la Belgique, par exemple, où il y a, comme en France, tant de jeunes talents, qui a produit, au quinzième siècle, une école si chrétienne, si pure et la première de toutes par le coloris, celle de Van Eyck, de Hemling, de Roger Van de Weyde, de Schoorel, s'obstine aujourd'hui à ne voir dans son brillant passé que l'école charnelle et grossièrement matérialiste de Rubens et de Jordaens. Il est triste que la France n'ait pas revendiqué l'initiative de cette glorieuse réaction en

faveur du bon sens et du bon droit. Heureusement il est aujourd'hui constaté que cette réaction s'est étendue jusqu'à elle, et que parmi nous une foule de nobles cœurs d'artistes palpitent du désir de secouer le joug du matérialisme païen. Ils aspirent, pour l'art auquel ils ont dévoué leur vie, à des destinées plus élevées que celles qui lui sont promises par les arbitres usurpateurs de la critique moderne. Il est donc permis d'espérer que nous verrons enfin s'élever une école de peinture chrétienne dans cette France qui, depuis les enlumineurs de nos vieux missels, n'a pas compté un seul peintre religieux, sauf le seul Lesueur, venu du reste à une époque qui rend sa gloire doublement belle. De la peinture cette révolution heureuse se communique et se communiquera chaque jour davantage aux deux autres branches de l'art. Nous ne voulons blesser aucune modestie, ni entourer d'éloges prématurés des efforts qui aboutiront plus tard à une couronne populaire et méritée; mais à côté des œuvres si accomplies et si heureusement inspirées de M. Orsel, en peinture ', à côté des petits chefs-d'œuvre de mademoiselle de Fauveau, si parfaits, mais jusqu'à présent trop rares et trop étrangers à la religion, nous ne pouvons nous défendre de signaler les excellents commencements de MM. Bion et Duseigneur, en sculpture, et les travaux d'architecture si patients, si savants et si régénérateurs de MM. Lassus, Durand et Louis Piel 2. Chaque

1 Avec M. Orsel, il est juste de citer MM. Périn et Roger, chargés comme lui de la décoration à fresque des chapelles du baptême, du mariage et de la sainte Vierge à Notre-Dame de Lorette. Ils ont lutté courageusement ensemble pendant les mauvais jours; et nous avons la confiance que le moment où le public sera appelé à juger leurs œuvres signalera une nouvelle époque pour l'art religieux, en même temps que les âmes chrétiennes auront quelques moyens de se consoler des profanations de tout genre étalées dans cette prétendue église (1837).

2 Nous renvoyons nos lecteurs au bénitier modelé par M. Bion pour l'église de Saint-Eustache, ainsi qu'à sa chaire destinée à l'église de Brou ; au groupe

année fortifie les dévouements anciens et fait éclore des vocations nouvelles pour la régénération de l'art religieux; et le jour viendra peut-être bientôt où l'on verra une phalange serrée marcher au combat et à la victoire sur les vieux préjugés et les nouvelles aberrations qui dominent l'art actuel. Mais les obstacles sont nombreux, les ennemis sont acharnés; la lutte sera longue et pénible. Constatons seulement que cette lutte existe; car, dans le fait seul de son existence, il y a un progrès incontestable sur le passé et un germe fécond de conquêtes pour l'avenir. Il faut, du reste, nous habituer à regarder en face nos adversaires, à les compter et surtout à peser leur valeur. C'est pourquoi il ne sera peut-être pas hors de propos de faire ici une briève énumération des différentes catégories d'adversaires que nous avons à redouter ou à combattre; je ne crains pas de dire nous, parce qu'il y a certes entre ceux qui travaillent pour la réhabilitation d'une cause immortelle et ceux qui jouissent du fruit de leurs généreux efforts une union de cœur et d'âme assez intime pour justifier la solidarité des espérances et des inimitiés.

Posons en premier lieu, non pas comme les plus redoutables, mais comme les plus nombreux et les plus aptes à se laisser confondre par une portion du public avec les hommes

de l'archange saint Michel, vainqueur de Satan, et à la statue de Dagobert, par M. Duseigneur, qui est destinée au musée de Versailles. M. Piel a publié dans l'Européen un voyage architectural en Allemagne, dont nous n'adoptons pas toutes les conclusions, mais qui est la première œuvre sérieuse sur cette matière. M. Hippolyte Durand a exposé de savantes et consciencieuses études sur Notre-Dame de l'Épine et Saint-Rémy de Reims. Il est chargé de la restauration de cette dernière église, et s'acquitte de cette mission importante à la satisfaction de tous les amis de l'art historique. Enfin, les travaux de restauration de la Sainte-Chapelle et du prieuré de Saint-Martin des Champs ȧ Paris ont assez fait connaître M. Lassus, qui vient d'être chargé par le gouvernement, en même temps que M. Amaury Duval, d'une monographie de la cathédrale de Chartres, dont les premiers travaux surpassent en exactitude, en beauté et en intelligence, tout ce que nous connaissons en ce genre (1837).

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