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ignorance pour les simples, de mépris pour les incrédules, de scandale pour les fidèles instruits. Trop heureuse encore la pauvre paroisse si, dans la ferveur d'un zèle plus funeste mille fois que celui des iconoclastes, on n'a pas fait disparaître la vieille madone de bois brun ou de cire, habillée de robes empesées en mousseline rose ou blanche, avec une couronne de fer-blanc sur la tête, mais que le peuple préfère avec raison, parce que, malgré la simplicité grossière de l'image, il n'y a du moins aucune insulte à la morale ni au sentiment chrétien. On sait que dernièrement le curé de Notre-Dame de Cléry ayant voulu enlever la madone séculaire qui se vénère à ce lieu de pèlerinage, pour la remplacer par quelque chose de plus frais, le peuple s'est révolté contre cette exécution, et il s'en est suivi un procès correctionnel où l'on a vu l'étrange spectacle d'une population, qualifiée d'ignorante et de fanatique, obligée de défendre les vieux objets de son amour et de son culte contre le goût moderne de son pasteur. C'est que, dans ce système de profanation méthodique, tout se tient avec une impitoyable logique; le laid a tout envahi; il a souillé jusqu'aux derniers recoins où pouvait encore se cacher le symbolisme catholique. Il règne partout en maître, depuis les énormes croûtes qui viennent chaque année, après l'exposition, déshonorer les murs de nos églises, masquer et défigurer leurs lignes architecturales, jusqu'aux petites images que l'on vend aux prêtres pour en garnir leurs bréviaires modernisés aussi comme tout le reste ', jusqu'à ce prétendu bonnet carré dont on les coiffe quand ils montent en chaire ou conduisent un mort à sa dernière demeure, espèce

1 On sait que depuis lors les images pieuses de la société formée à Dusseldorf pour populariser les types de la peinture chrétienne régénérée en Allemagne ont pénétré, en France et répandent chaque année dans les familles chrétiennes et dans le clergé des modèles parfaits d'imagerie religieuse.

d'éteignoir dont je ne sais quelle liberté de l'Église gallicane semble réserver le privilége exclusif au clergé français '.

Voilà donc jusqu'où est tombé cet art divin, enfanté par le catholicisme et porté par lui au plus haut point de splendeur qu'aucun art ait jamais atteint ! cet art créé et propagé dans le monde chrétien par tant de grands papes et de saints évêques; cet art dont les Agricole, les Avit, les Martin, les Nicaise, et tant d'autres pontifes français, avaient légué à leurs successeurs le dépôt sacré en même temps que le souvenir de leur sainteté et de leur noble grandeur; cet art si populaire, si aimé, si généreux, qui avait mis les talents les plus purs et les plus dévoués au service de l'intelligence des pauvres et des humbles, qui avait peuplé jusqu'aux moindres villages de trésors inimitables, et porté jusqu'au fond des déserts et des forêts inhabitables le magnifique témoignage de la fécondité et de la beauté du catholicisme : voilà donc ce qu'il est devenu avec la permission du clergé moderne! Ces peintres vraiment chrétiens des vieilles écoles d'Italie et d'Allemagne, ces hommes qui puisaient toutes leurs inspirations dans le ciel ou dans des émotions épurées par la piété la plus sincère, ces humbles génies, dont chaque coup de pinceau était, on peut le dire sans crainte, un acte de foi, d'espérance et d'amour, ces admirables auxiliaires de la ferveur chrétienne, ces prédicateurs puissants de l'amour des choses d'en haut, c'est donc en vain qu'ils ont travaillé, puisque, relégués dans les galeries des

1 A Rome et partout ailleurs dans le monde catholique, les prêtres ont pour coiffure un véritable bonnet carré à quatre pans, d'une forme à la fois digne et gracieuse, absolument semblable, sauf la couleur, à la barrette des cardinaux. Il en était de même en France avant Louis XIV. Qu'on n'accuse pas ces observations de minuties; dans le symbolisme chrétien, dont le vêtement sacerdotal est une partie si essentielle, il n'y a rien d'insignifiant. Les moindres détails étaient liés aux œuvres les plus grandioses sous le règne de la beauté et de la vérité, et malheureusement ils le sont encore sous le règne du laid et du profane.

princes, où ils sont confondus le plus souvent avec tout ce que l'art a produit de plus impur et de plus dégradé, ils voient la place qu'ils ambitionnaient, sur les autels où leurs frères viennent prier, usurpée par d'effrontés parodistes, sans qu'aucune main sacerdotale vienne jamais purifier le sanctuaire de ces souillures. On l'a dit avec une cruelle vérité : il y a beaucoup d'églises qui n'ont pas été atteintes par les mutilations iconoclastes de huguenots, il y en a beaucoup qui ont échappé à la rage des vandales de la terreur, mais il n'y en a pas une seule en France, quelle que soit sa majesté ou sa petitesse, pas une seule qui ait échappé aux profanations que commettent, depuis trois siècles, des architectes et des décorateurs soldés, encouragés, ou du moins tolérés par le clergé. Et cependant, dans ces églises où il n'y a pas une pierre qui ne porte l'empreinte du paganisme régénéré, pas un ornement qui ne témoigne du triomphe de la rocaille du dix-huitième siècle ou du classicisme païen du dix-septième, on entend souvent des prédicateurs vanter du haut de la chaire les services rendus par la religion à l'art, sans même s'apercevoir que la religion a été honteusement expulsée de l'art jusque dans le temple où ils parlent. On voit chaque jour des apologistes de la religion, dissertant sur le même thème, avec l'ignorance la plus inexcusable ou la plus plaisante confusion, oublier les noms des artistes qui ont le plus honoré la religion, ou bien ne les citer que pour les confondre avec ceux qui ne se sont servis des sujets religieux que pour populariser la victoire de la chair sur l'esprit, Fra Angelico avec Titien, Giotto avec les Carraches, Van Eyck avec Rubens, et le et le pur et pieux Raphaël du Sposalizio et de la Dispute du SaintSacrement avec ce Raphaël dégénéré qui n'avait plus pour modèle que sa Fornarina.

Toutefois n'accusons pas seulement le clergé français; ceux

Œuvres. VI. Art et Littérature.

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d'Italie et d'Espagne ont été aussi loin que lui; celui d'Allemagne a été plus loin encore, mais il a le bon esprit de sentir aujourd'hui son erreur, et de revenir avec empressement aux types chrétiens'. N'accusons pas même le clergé en général, si ce n'est du tort d'avoir subi trop servilement le joug des artistes dégénérés qui ont brisé le fil de la tradition chrétienne; et pendant longtemps il n'y en a point eu d'autres. Accusons surtout ces artistes et leurs successeurs, obligés par état d'étudier les différentes phases de l'art religieux, d'avoir volontairement répudié la beauté et la pureté des anciens modèles, pour affubler les sujets chrétiens d'un vêtement emprunté tour à tour à l'anatomie savante du paganisme, ou à la débauche coquette du temps de Louis XV. Accusons les princes et les grands seigneurs des trois derniers siècles, qui n'ont eu que trop d'encouragements pour ces sacriléges, et trop de galeries pour y déposer leurs produits. Nous n'oublierons jamais un tableau que nous avons vu à la galerie des anciens électeurs de Bavière à Schleissheim, près Munich, que nous citerons comme le type de ce que nous appelons le

1 Pour s'en convaincre, on n'a qu'à visiter la cathédrale de Fribourg en Brisgau, à deux pas du Rhin. On y verra quel goût pur et excellent préside aux réparations et à l'entretien de cette magnifique et si complète église. Que si, en revenant, on passe par Strasbourg, et que l'on jette un coup d'œil sur le chœur de cette cathédrale, on verra quel abîme sépare la France et l'Allemagne sous le rapport de l'intelligence de l'art chrétien. Mgr Geissel, nouvellement élevé à l'évêché de Spire, s'est fait un nom en Allemagne par l'histoire de sa cathédrale, et dans son mandement d'installation il a pris pour sujet la beauté et le sens symbolique de cette célèbre église dont il est aujourd'hui le premier pasteur. Le Dr Milner, vicaire apostolique en Angleterre, et si connu par ses écrits de controverse, avait acquis une véritable popularité scientifique par son excellente histoire de la cathédrale de Winchester. Il était beau de voir un prélat catholique consacrer sa plume et sa science à l'illustration d'une de ces grandes créations de l'ancienne foi, où ses prédécesseurs avaient célébré les pompes catholiques, mais dont les portes sont fermées aux fidèles d'aujourd'hui par l'hérésie usurpatrice. Ce sont là de nobles exemples que nous ne craignons pas de proposer au clergé de France (1837).

genre profanateur; c'est une Madeleine peinte par je ne sais plus quel peintre français du dix-huitième siècle : cette Madeleine est nue et sans autre parure que ses cheveux, lesquels sont poudrés. Le guide vous dit d'un ton sentimental que l'artiste a eu sa femme pour modèle. Aujourd'hui, on ne met plus de poudre aux Vierges et aux Madeleines, parce que ce n'est plus la mode; mais on leur met des féronnières et des bandeaux, parce que l'on en voit aux femmes du monde, audessus desquelles la pensée du peintre n'a jamais pu s'élever. On ne déshabille pas une sainte, parce qu'après tout on veut que son tableau puisse être acheté par le gouvernement pour telle ou telle église; mais l'accoutrement qu'on lui donne, la tenue et le regard qu'on lui prête, ne sont guère plus décents ni plus édifiants que la nudité complète de la Madeleine de Schleissheim.

Qu'on veuille bien croire que nous sommes loin de professer ou de pratiquer une pruderie excessive. Nous laissons à l'art profane toutes les libertés qu'il a conquises ou usurpées nous ne proscrivons ni l'étude de la nature sans voile ni la représentation fidèle de la beauté matérielle, pourvu qu'on veuille bien la renfermer dans la sphère des sujets naturels et matériels. Nous ne revendiquons que l'inviolabilité du domaine surnaturel, du domaine religieux.

L'antiquité païenne, que nous admirons autant que qui que ce soit chez elle, mais dont nous repoussons avec horreur l'influence sur nos mœurs et notre société chrétienne, l'antiquité était au moins conséquente dans les symboles qu'elle nous a laissés de ses dieux et de ses croyances. Ces symboles sont tout à fait d'accord avec les récits de ses prêtres et de ses poëtes. Jamais elle n'a imaginé de faire de son Jupiter une victime, de son Bacchus un dieu mélancolique, de sa Vénus une vierge pudique et pieuse. Il était réservé aux chrétiens,

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