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qui n'admette pas un côté comique, envahie par la caricature; et c'est encore le nom le plus doux qu'on puisse donner, sauf un très-petit nombre d'exceptions, aux parodies, tantôt horribles, tantôt ridicules, qui couvrent chaque année les murs du Louvre, et s'en vont de là déshonorer nos églises sous le titre mensonger de tableaux religieux 1.

Mais je vous demande trop, lecteur, en supposant que vous soyez catholique; je veux seulement que vous ayez quelques notions de la religion, que vous l'ayez tant soit peu étudiée dans ses dogmes d'abord, puis dans son influence sur la société à une époque où elle était souveraine : je ne vous demande pas des convictions, je ne vous suppose que quelques idées et quelques souvenirs, puisés par vousmême à l'abri de la routine des écoles classiques. Voilà tout ce que j'exige, et cela étant, je vous prends par la main, et je vous conduis à la première église venue. Que ce soit une cathédrale ou une paroisse de village, peu importe. Passons mème devant la cathédrale, si c'est une cathédrale des anciens jours, sans nous y arrêter : nous perdrions de vue le but immédiat de notre visite, tristement confondus que nous serions à la vue de ces glorieuses façades mutilées de mille façons par la haine et l'ignorance, quelquefois remplacées, comme à la sublime basilique de Metz, par un horrible portail de théâtre, en l'honneur de Louis XV; à la vue de ces vitraux défoncés et suppléés par des verres blancs ou des flaques de bleu et de rouge; à la vue d'un badigeon beurre frais, comme à Chartres, ou au Mans, ou partout, sous lequel disparaissent à la fois les merveilles de la sculpture et le pres

Pour ne citer qu'un exemple entre dix mille, nous venons de voir, dans la magnifique cathédrale de Troyes, une Transfiguration récemment donnée par le gouvernement, et que nous recommandons comme le type du grotesque horrible. Il nous semble difficile de pousser plus loin la profanation en ce qui touche la représentation de notre divin Rédempteur.

tige de l'antiquité; à la vue d'un soi-disant jubé qui, comme à Rouen, élève sa masse lourde, opaque et grossière, à la place même qu'occupait jadis le voile du sanctuaire brodé et découpé à jour en pierre; à la vue enfin d'un choeur stupidement. masqué, comme à Strasbourg et à Notre-Dame de Paris, par un revêtement en marbre de couleur ou par une boiserie d'antichambre. Laissons donc là la cathédrale qui réclame une bien autre indignation. Bornons-nous à la simple paroisse moderne et décorée dans le dernier goût, et voyons quelles sont les traces d'art chrétien que nous y trouverons. Arrêtonsnous un instant devant la façade vous y verrez quelques colonnes serrées les unes contre les autres, comme à NotreDame de Lorette, ou bien une série de frontons superposés et flanqués de deux excroissances allongées en pierre, qui ont la forme d'un radis ou d'un sorbet dans son verre, comme à Saint-Thomas-d'Aquin; vous saurez que ce sont des trépieds où est censée brûler la flamme de l'encens. Quelquefois une tour s'élève au-dessus de cette monstruosité; tour dépourvue à la fois de grâce, de majesté et de sens, terminée par une terrasse plate, ou par un toit de serre chaude, ou, comme en Franche-Comté, par un capuchon en forme de verre à patte renversé. Vous vous demandez ce que peut être un édifice qui s'annonce ainsi, si c'est un théâtre, ou un observatoire, ou une halle, ou un bureau d'octroi. On vous explique que c'est un temple. A coup sûr, pensez-vous, c'est le temple de quelque culte qui a remplacé le christianisme. On vous nomme un saint dont le nom figure dans le calendrier chrétien; et vous finissez par découvrir une croix plantée quelque part avec autant de bonne grâce que le drapeau tricolore sur les tours de Notre-Dame. C'est donc vraiment une église! Vous entrez. Est-ce bien vrai? Oui, il faut le croire, car voilà un autel, des confessionnaux, une chaire, des crucifix. Mais

est-ce bien une église catholique, une église où l'on prêche les mêmes dogmes, où l'on célèbre le même culte que celui qui a régné dans les églises d'il y a trois cents ans? Ces dogmes n'ont-ils pas été profondément altérés? ce culte n'a-t-il pas subi quelque révolution violente? Où est donc cette forme consacrée de la croix, si naturellement indiquée et si universellement adoptée pour le plan de toutes les anciennes églises? Où a-t-on copié ces fenêtres carrées, rondes, en parallélogramme, en segment de cercle, quelquefois en poire garnie de feuillage, en un mot de toutes les formes possibles, pourvu qu'elles ne tiennent ni du cintre, ni de l'ogive chrétienne? Est-ce de cette cage suspendue entre deux piliers, ou de ce tonneau à demi creusé dans le mur, que l'on prêche la parole du Dieu vivant dans la même langue que saint Bernard et Bossuet? Qu'est-ce que cette montagne de rocaille qui grimpe à l'extrémité, qui cache le chœur, s'il y en a un, qui élève, sur des colonnes cannelées, un fronton garni de je ne sais combien de gros enfants tout nus dans les postures les plus ridicules, et qui se répète en petit tout le long des bas-côtés? Serait-ce par hasard l'autel où se célèbrent les plus augustes mystères ?

Mais approchons : examinons ces sculptures, ces tableaux surtout, que l'on y expose à la vénération des fidèles. Quoi! c'est le Fils de Dieu mourant sur la croix que cette étude d'anatomie où vous pouvez compter tous les muscles, toutes les côtes, mais où vous ne trouverez pas la trace la plus légère d'une souffrance divine, et dont les bras tendus et dressés verticalement au-dessus de la tête semblent, conformément au symbole janséniste, s'ouvrir à peine afin d'embrasser dans le sacrifice expiatoire le moins d'âmes possible '. Quoi ! cet être

On sait que l'on suivait l'usage contraire dans toutes les crucifixions peintes ou sculptées dans les âges chrétiens. Un exemple frappant se voit

tout matériel, tout humain, tout courbé sous le poids des basses conceptions du peintre et entouré de figures aussi ignobles que la sienne, ce serait là le Fils de Dieu avec les douze pêcheurs qui lui ont conquis le monde ! Quoi! ce médecin juif qui semble demander le salaire de ses visites, c'est Jésus ressuscitant la jeune fille de Jaïre 1? Cet homme nu qui prêche d'un air goguenard à un auditoire de gamins de Paris, c'est le précurseur martyr annonçant la venue du Sauveur 2? Ces demoiselles prétentieuses, ces petites-maîtresses affectées, dont le front n'a jamais réfléchi que des vanités frivoles ou des passions impures, ce sont là nos vierges martyres, nos Catherine, nos Cécile, nos Agnès, nos Philomène? Cette femme échevelée, effrontée, à l'œil ardent, au vêtement impudique, c'est la première des saintes, l'amie du Christ, Madeleine? Ces autres femmes, aux formes grossièrement (matérielles, à la robe transparente, ce sont là les symboles de la religion et de la foi 3? Cette série de scènes fantasmagoriques, où je reconnais sous des habits d'emprunt et dans des attitudes de théâtre, les figures que je rencontre chaque jour dans les rues, c'est là l'histoire de notre religion? Ces Romains en toge, ces gladiateurs nus, ces modèles complaisants de

dans le magnifique bas-relief de la chaire du baptistère de Pise, où Nicolas de Pise, père de la sculpture chrétienne, a représenté Notre-Seigneur les bras étendus horizontalement comme pour embrasser l'humanité tout entière dans sa rédemption.

Voyez un tableau peint par M. Delorme, derrière le maître-autel de SaintRoch, à droite.

2 Voyez un autre tableau qui représente la Prédication de saint Jean-Baptiste, peint par M. E. Champmartin, et placé nouvellement dans la même église. M. l'abbé Beuzelin, curé de la Madeleine, avait eu le bon esprit d'expulser de son église cette caricature déplorable.

3 Voyez les deux figures destinées au bénitier de la Madeleine, de M. Antonin Moine, exposées au salon de 1836.

Voyez la plupart des fresques de Notre-Dame de Lorette, de celles du moins qui sont découvertes en ce moment (1837). Alors n'avaient point encore été livrées aux regards du public les chapelles auxquelles le regrettable

raccourci, ces déclamateurs barbus, tous taillés sur le même patron, et dont je ne puis deviner les noms qu'avec l'aide du suisse ou du bedeau, ce sont là les saints dont autrefois des attributs distincts et tout empreints d'une poésie sublime rendaient les noms chers et familiers, même aux moindres enfants?

Quoi! enfin, cette matronne païenne, cette Junon ressuscitée, cette Vénus habillée, cette image trop fidèle d'un impur modèle, ce serait là, pour comble de profanation, la trèssainte Vierge, la mère du divin amour et de la céleste pureté, l'emblème adorable qui suffit à lui seul pour creuser un abime infranchissable entre le christianisme et toutes les religions du monde, l'idéal qui évoque sans cesse l'artiste vraiment chrétien à une hauteur où nul autre ne saurait le suivre? Quoi! vraiment, c'est là Marie! Mais dites-moi, je vous en supplie, quels sont donc les profanes qui ont envahi tous nos sanctuaires, et qui, consommant le sacrilége sous la forme de la dérision et du ridicule, pour mieux flétrir la vieille religion de la France, ont intronisé la matière, le grotesque et l'impur sur les autels de l'Esprit-Saint, des martyrs et de la sainte Vierge.

Et que l'on ne croie point que ces profanateurs, quels qu'ils soient, ont borné leurs envahissements aux églises des grandes villes. Nous l'avons déjà dit, il n'y a point de paroisse de campagne où ils n'aient pénétré, et où ils n'aient tout souillé. Il n'est point d'église de village où, après avoir détruit les saintes images d'autrefois, défoncé ou bouché les vestiges de l'architecture symbolique, badigeonnné le temple tout entier, ils n'aient exposé aux regards de la foule désorientée une masse d'images qui ne sauraient être qu'un objet de profonde

Orsel et son digne ami M. Périn ont consacré vingt années du travail le plus obstiné, et qui répondent si bien à l'attente du spectateur chrétien.

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