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et interprète suprême de la discipline ecclésiastique; qu'elle a condamné les prêtres qui avaient interrompu l'exercice du culte par obéissance au Pape à cette affreuse captivité dont les trop fameux Pozzi portent encore la trace'. Venise est entrée la première, bien avant Louis XIV et Joseph II, dans cette funeste voie où n'ont pas tardé à la suivre tous les gouvernements catholiques ou soi-disant tels, et il nous est permis de croire que, lorsqu'à la fin du dernier siècle le Tout-Puissant a pesé dans son éternelle balance les destinées de Venise, ce crime, qui lui a valu si longtemps les applaudissements des faux prophètes, n'a pas peu contribué au sévère arrêt que la justice divine a laissé exécuter contre elle.

Pour en revenir au sujet proprement dit du livre de M. Rio, il nous faut avouer qu'il termine son livre à peu près comme il l'a commencé, sans dire pourquoi : il ne nous donne pas la plus légère indication sur la marche qu'il compte suivre dans la continuation de son ouvrage. Nous voyons cependant qu'il a passé en revue les produits de l'inspiration purement chrétienne dans toutes les écoles de l'Italie, sauf toutefois l'école lombarde. Partout il s'arrête au moment où le paganisme vainqueur, grâce à l'aveuglement général, s'empare presque exclusivement du domaine de l'art. Nous pensons qu'après nous avoir présenté, avec tout le charme qu'il sait mettre dans de tels récits, les œuvres trop rares de Leonardo de Vinci, et les fresques encore si nombreuses et si célestes de Borgognone à la chartreuse de Pavie, de Luini à Lugano, à Saronno et à la Brera, il nous conduira à l'examen approfondi des maîtres qui sont jusqu'à présent en possession de l'admiration des connaisseurs et des amateurs, à proportion du degré auquel ils ont renié les

' Voyez les inscriptions citées par lord Byron dans les notes du quatrième chant de Childe Harold, et que chacun peut lire encore dans ces hideux cachots.

traditions et les inspirations de la religion. Nous suivrons avec le plus vif intérêt M. Rio dans cette nouvelle carrière. Nous avons hâte de lui voir porter, au nom de la foi et de la poésie chrétienne, un jugement logique et sévère sur Raphaël, le Raphaël de la Fornarina et la Transfiguration; sur le Titien, Tintoret, le Corrége, les Carraches, le Dominiquin, etc. Il sera curieux de voir enfin une appréciation religieuse de la manière dont tous ces peintres païens ont traité des sujets chrétiens; quelque chose qui diffère de cette banale admiration que les voyageurs et les auteurs de livres sur l'art s'en vont répétant les uns aux autres jusqu'à satiété. C'est à M. Rio à nous expliquer ce jugement déjà ancien de Goethe, jugement dicté par le mépris classique du christianisme dont ce prétendu grand homme était le coryphée, mais au fond très-conséquent avec l'esprit qui préside à toute l'esthétique moderne, et qui exprime très-bien la contradiction si flagrante depuis trois siècles entre la théorie païenne de l'art et son application à des sujets religieux. « Ce qui empêche surtout de jouir, » dit-il à propos des tableaux religieux de la seconde école de Bologne, « ce sont les sujets absurdes des tableaux; il y a de quoi rendre fou... On dirait. les monstres issus du mariage des enfants de Dieu avec les filles des hommes. On est attiré par le goût céleste du Guide, par son pinceau qui n'aurait dû être consacré qu'à représenter la perfection; mais on est aussitôt repoussé par les sujets qui lui ont été imposés, sujets si horriblement stupides, qu'il n'y a pas d'insultes au monde dont on ne dût les flétrir'. Partout le héros souffre; nulle part il n'agit : jamais d'intérêt

1 Von den abscheulich dummen, mit keinen Scheltworten der Well genug zu erniedrigenden Gegenstanden. Goethe, Voyage en Italie, lettre du 19 octobre 1786. C'est dans ce même ouvrage qu'on voit employer pour la première fois, à ce qu'il nous semble, l'expression de mythologie catholique, si usitée par les grands esprits de nos jours.

présent, toujours quelque chose de fantastique et d'attendu du dehors. Ce sont ou des scélérats ou des gens en extase, des criminels ou des fous. Le peintre n'a pour toute ressource que de leur accoler quelque beau garçon tout nu, quelque jolie spectatrice : ses héros ecclésiastiques ne peuvent lui servir que de mannequins, pour faire voir son talent à bien jeter les plis de leurs manteaux. Il n'y a pas une idée humaine dans tout cela. >>

Ne croit-on pas lire le fond de la pensée des auteurs et des critiques de presque tous les tableaux de piété que nous avons eu le malheur de voir aux expositions des dernières années, et, ce qui pis est, de retrouver dans nos églises? M. Rio, nous l'espérons, sera aussi franc dans son opinion que Goethe l'a été dans la sienne, quand il en sera à traiter de cette école bolonaise et des autres écoles païennes qui l'ont précédée. A dire vrai, nous regrettons beaucoup qu'il ait ainsi scindé en deux son travail, et qu'il ne nous pas ait donné en même temps et sa réhabilitation des peintres vraiment chrétiens et sa sentence de condamnation contre les peintres apostats. Nous croyons que c'eût été dans l'intérêt de son livre autant que dans celui de l'art chrétien dont il veut être l'interprète. Le lecteur, imbu de ces doctrines, de ces admirations toutes nouvelles, a besoin, ce nous semble, de savoir, sans désemparer, ce qu'il doit penser désormais de ces grands noms qui ont été jusqu'à présent l'objet de sa vague idolâtrie. Les éloges décernés par l'auteur aux grands peintres chrétiens, avant lui relégués parmi les barbares du moyen âge, auraient gagné au contraste immédiat avec le jugement porté sur leurs successeurs. Nous ne connaissons rien de plus frappant que cette juxtaposition des œuvres de l'un et de l'autre système. C'est ainsi qu'à Venise on peut mesurer d'un seul regard la distance qui sépare la pensée pieuse d'un artiste nourri dans

les traditions chrétiennes, des efforts de l'artiste moderne pour diviniser la matière, lorsqu'à l'Académie des beaux-arts on voit les groupes de saints du Cima ou de Jean Belin, si graves, si doux et si religieux, à côté de la fameuse Assomption du Titien, objet de l'enthousiasme des ciceroni et de leurs clients les Anglais, où les apôtres sont posés comme des boxeurs, et où la Vierge semble écraser les nuages de son poids; ou bien lorsque dans la sacristie de la Salute on voit le saint Sébastien de Basaïti à côté des fresques de ce même Titien, si vantées, et qui méritent de l'être comme le nec plus ultra du matérialisme ignoble, transporté dans les sujets religieux.

Quoi qu'il en soit, lorsque M. Rio se décidera à nous donner dans un autre volume le fruit de ses recherches et de ses méditations sur l'art du seizième siècle, nous l'accueillerons avec autant de joie que d'affectueuse sympathie. Nous l'engageons, en attendant, à se mettre lui-même en garde contre les séductions de ce siècle, et notamment contre cette magie du coloris vénitien qu'il vante tant. Nous le remercions ardemment de l'inappréciable présent qu'il a fait dans ce fragment de sa vaste entreprise aux hommes religieux et aux artistes chrétiens. Il aura la gloire d'avoir posé la première pierre d'une esthétique nouvelle parmi nous, de cette science du beau, aussi inconnu de nom que de fait dans la France moderne. M. Rio aura contribué par ses récits et ses enseignements à la régénération de l'art religieux en France. Et en vérité, il est temps que, grâce à ces généreux efforts, les catholiques apprennent à connaître les purs trésors que leur ont légués leurs pères; et que, dans le domaine de l'art, comme dans celui de la littérature, des sciences, de l'histoire, ils ne se résignent plus à adopter pour toute instruction les résultats des mensonges systématiques ou des lâches concessions du dix-huitième siècle.

III

TABLEAU CHRONOLOGIQUE

DES

ÉCOLES CATHOLIQUES DE PEINTURE

EN ITALIE

Nous avons cherché à présenter dans ce tableau, sous une forme accessible et rapide, un aperçu de l'histoire de la peinture catholique en Italie, qui pourra servir de résumé au livre de M. Rio et aux notes que nous y avons jointes. Nous espérons que ce petit travail ne sera pas sans utilité à ceux de nos lecteurs qui, soit dans leurs études, soit dans leurs voyages, se sentiront entraînés vers les inspirations de l'art vraiment chrétien. Nous pouvons affirmer qu'un travail semblable n'existe pas, tous les résumés de ce genre ne commençant qu'à l'époque de l'envahissement du paganisme dit Renaissance, où nous nous sommes arrêté. Nous indiquerons par des grandes capitales les peintres qui ont le plus approché de l'idéal chrétien, et par des capitales penchées ceux qui ont introduit les éléments de décadence dans leur école (1837). - Pendant les vingt années qui se sont écoulées depuis que nous écrivions ce qui précède, beaucoup d'auteurs allemands, anglais et même français, ont décrit les galeries italiennes en tenant compte des œuvres de l'école chrétienne. Nous ne saurions donc prétendre que ce tableau ait conservé le peu de valeur qu'il pouvait avoir alors, mais nous espérons qu'il pourra encore être de quelque utilité aux voyageurs inexpérimentés.

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