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réfléchi qui règne en France, avec les efforts de tous les peuples pour dérober au temps les restes des siècles passés et des races éteintes. Partout ailleurs qu'en France, on entoure d'une vénération filiale ces souvenirs d'un autre âge, ces grandes et éclatantes pages de l'histoire de l'humanité, que l'architecture s'est chargée d'écrire, et surtout ces basiliques sublimes où les générations sont venues, l'une après l'autre, prier et reposer devant leur Dieu. Dans tous les pays de l'Europe et jusque sur les confins de la Laponie, on trouve partout ce culte des monuments du passé qui honore les hommes du présent; le désir de conserver dans leur originalité primitive ces monuments a même remplacé presque partout la manie de refaire l'art païen et de rajeunir avec son secours l'art des chrétiens1. La plus heureuse réaction s'est manifestée partout en faveur de la vérité historique et du respect des créations anciennes. La France seule est restée en dehors et en arrière de ce mouvement. En Italie, pays où le paganisme de la renaissance a fait le plus de progrès et jeté les plus profondes racines, on n'en lit pas moins sur la façade de la cathédrale de Naples une inscription où le cardinalarchevêque s'enorgueillit d'avoir fait réparer cette façade sans changer son caractère gothique: Nec Gothica delevit urbis senescentis monumenta artium perennitati. En Angleterre,

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y a plus d'un siècle que toutes les églises sont restaurées et construites sur le modèle de celles du moyen âge; si ces copies, dont plusieurs sont très-remarquables, manquent de la vie que donne l'inspiration originale, elles ont le grand mérite de la convenance et de l'harmonie avec les idées qu'elles

› Depuis qu'il a écrit ces lignes, l'auteur a eu occasion de se convaincre que le vandalisme était malheureusement encore très-dominant à l'étranger, surtout en Suisse et en Italie. Il fait donc ses réserves sur ce point. Voyez, du reste, l'Appendice à ce fragment.

représentent : de l'architecture religieuse, la réaction gothique a passé dans l'architecture civile; les riches propriétaires se font bâtir des châteaux qui reproduisent exactement les types des différents âges de la féodalité, tandis que les particuliers, les corporations, les diocèses, les comtés, s'imposent les plus grands sacrifices pour conserver dans leur intégrité tous les monuments originaux de ces âges, et pour leur rendre leur aspect primitif. Dans la pauvre Irlande, lorsque le paysan catholique peut dérober aux exactions du clergé protestant et aux clameurs de sa famille affamée quelque chétive offrande, pour la consacrer à élever une humble chapelle auprès des églises bâties par ses pères et que les tyrans hérétiques lui ont volées, c'est toujours une chapelle gothique. Jamais le prêtre de ce peuple opprimé n'est infidèle au type inspiré par le catholicisme, et lorsque la vieille foi du peuple est ramenée par la liberté dans ce modeste asile, elle y retrouve les formes gracieuses et consacrées des demeures de sa jeunesse. En Belgique, pays de véritable foi et surtout de véritable liberté, un des premiers soins du gouvernement national a été d'interdire, par une circulaire aux gouverneurs de province, la destruction de tout monument historique quelconque. En Allemagne, le culte du passé dans l'art et l'influence de ce passé sur les constructions modernes ont atteint un degré de popularité inouï, et promet à cette contrée illustre d'être la patrie de l'art régénér l'Europe moderne. Ce culte est univ toutes les différences d'opinions, de religi divisent la race germanique. Le roi de protestant et intolérant, prélève sur tout Bas-Rhin un impôt spécial, nommé impôt exclusivement consacré à l'entretien et à l'acer g duel de la cathédrale catholique de Cologne, menolt

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Italie de de

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l'art catholique et de l'architecture gothique. Le prince royal, son fils, a dépensé des sommes énormes pour réparer les dévastations commises par les Français à Marienbourg, ancien et célèbre chef-lieu de l'ordre teutonique; il en fait sa résidence favorite. Au Midi, le roi de Bavière, avec sa petite liste civile de cinq millions de francs, ne se contente pas de faire exécuter à vingt-six peintres, dans ses divers châteaux, des fresques qui reproduiront, en les popularisant, toutes les épopées chevaleresques et nationales du moyen âge; il remplit sa capitale d'églises vraiment chrétiennes, parmi lesquelles on remarquera surtout celle de Saint-Louis, dont l'architecture sera romane, et qui sera peinte à fresque du haut en bas, à l'instar de plusieurs églises d'Italie, et surtout de la triple basilique d'Assise, par le célèbre Cornelius. Ce même souverain a profité de la découverte qu'a faite M. Franck, qui a retrouvé et perfectionné le secret de teindre les vitraux des couleurs les plus tenaces et les plus brillantes, pour doter la vieille cathédrale de Ratisbonne d'un grand nombre de verrières aussi remarquables par la composition que par le coloris, au prix de 20 à ́,000 francs chacune. Ce prince ne fait du reste que s' er au merveilleux élan qu'a pris l'art allemand dep sieurs années, élan qui date, en architecture, de l'a ›n du grand ouvrage de M. Boisserée

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sur la cathédrdologne, et en peinture, de l'œuvre papt accomplie ce même M. Boisserée et son servo pour l'Allemagne la collection des chefs

triotique frère, en

d'œuvedene école belge et allemande qu'ils avaient

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pendant les dévastations des guerres de

ous entretenir un jour, plus au long, de "'emande, et surtout de celle de peinture, e un nouvel éclat sous la double direction ornelius. Est-il besoin de vous dire qu'à

cette réaction active vers l'art chrétien et national correspond le soin le plus scrupuleux et le plus tendre de toutes ses beautés, de toutes ses ruines? Les invasions des Suédois et des Français, et, dans quelques contrées, la sécularisation des souverainetés ecclésiastiques ont multiplié ces ruines; mais je ne crois pas qu'il y en ait une seule que l'on puisse imputer à la froide barbarie ou à l'avidité de la population environnante. Un attentat de ce genre serait signalé aussitôt par les organes innombrables de la presse littéraire et scientifique; une réprobation populaire et religieuse s'attacherait au nom des coupables: ils seraient mis au ban de la nationalité alleinande.

Il n'y a donc que la France où le vandalisme règne seul et sans frein. Après avoir passé deux siècles et puis trente ans à déshonorer par d'impures et grotesques additions nos vieux monuments, le voilà qui reprend ses allures terroristes et qui se vautre dans la destruction. On dirait qu'il prévoit sa déchéance prochaine, tant il se hâte de renverser tout ce qui tombe sous son ignoble main. On tremble à la seule pensée de ce que chaque jour il mine, balaye ou défigure. Le vieux sol de la patrie, surchargé comme il l'était des créations les plus merveilleuses de l'imagination et de la foi, devient chaque jour plus nu, plus uniforme, plus pelé. On n'épargne rien la hache dévastatrice atteint également les forêts et les églises, les châteaux et les hôtels de ville; on dirait une terre conquise d'où les envahisseurs barbares veulent effacer jusqu'aux dernières traces des générations qui l'ont habitée. On dirait qu'ils veulent se persuader que le monde est né d'hier, et qu'il doit finir demain, tant ils ont hâte d'anéantir tout ce qui semble dépasser une vie d'homme. On ne sait pas même respecter les ruines qu'on a faites, et tandis qu'on cite en Angleterre des seigneurs qui dépensent, chaque année, un

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revenu considérable pour préserver celles qui se trouvent sur leur domaine; tandis qu'en Allemagne les populations choisissent les décombres des vieux châteaux pour y tenir leurs assemblées libérales, comme pour mettre leur liberté renaisnaissante sous la protection des anciens jours; chez nous, nous ne laissons pas même le temps accomplir son œuvre, nous refusons à la nature son deuil de mère. Car la nature, toujours douce et aimante, l'est surtout envers les ruines que l'homme a faites; elle semble se plaire à les orner de ses plus belles parures, comme pour les consoler de leur abandon et de leur nudité. Et nous, nous leur arrachons leur linceul de verdure, leur couronne de fleurs; nous violons ces tombeaux des siècles passés. L'ancien seigneur les met à l'encan et les vend au plus offrant : le nouveau bourgeois les achète, et s'il ne daigne pas leur donner une place dans ses constructions nouvelles, il les recrépit et les enjolive sur place. Tous deux se coalisent pour déshonorer ces vieilles pierres.

Les longs souvenirs font les grands peuples. La mémoire du passé ne devient importune que lorsque la conscience du présent est honteuse. Ce sera dans nos annales une bien triste page que ce divorce prononcé contre tout ce que nos pères nous ont laissé pour nous rappeler leurs mœurs, leurs affections, leurs croyances. Rien de plus naturel que ce divorce dans le premier moment de la réaction populaire contre l'ancien ordre social et politique; mais y persévérer après la victoire, y persévérer avec récidive en face de l'Europe surprise et dédaigneuse; immoler aux préjugés les plus arriérés ce qui fait le charme d'une patrie et la gloire de l'art, c'est un crime national dont il n'y a pas d'exemple dans l'histoire. J'ignore quelle peine la postérité infligera à ce mépris stupide que nous tirons de notre nullité moderne, pour le lancer à la figure des chefs-d'œuvre de nos pères; mais cette peine

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