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L'heureuse influence exercée sur la peinture faisait partie de cette mission de purification, et nous voyons le Pérugin, qui fut le grand missionnaire de l'école ombrienne, en étendre les ramifications d'un bout à l'autre de l'Italie. >>

Sienne fut la première ville qui répondit à son appel; il y a laissé un tableau dont M. Rio ne parle pas, mais qui est, selon nous, son chef-d'œuvre: la Crucifixion à San-Agostino. Toutefois, en parlant de Sienne, nous retrouverons chez M. Rio ce mélange de légèreté et de sévérité que nous lui avons plus haut reproché'. Il parle de Mathieu de Sienne avec une injustice vraiment révoltante : il lui reproche un Massacre des Innocents qu'il qualifie de hideux; ce n'est sans doute pas au tableau qui représente ce sujet dans l'église des Servites de Pérouse que s'applique ce jugement, car il est très-beau, et la tête d'Hérode surtout est étonnante. Le même sujet a été traité par ce même maître au chœur de San-Agostino, d'une manière satisfaisante. Mais comment notre auteur a-t-il pu oublier le délicieux tableau de Matteo, daté de 1479, dans la même chapelle où est la célèbre Madone du vieux Guido, tableau où l'on voit Marie entourée d'anges musiciens, tous charmants, ayant à ses genoux saint Jérôme et saint Jacques, à ses côtés saint Sébastien et un pape martyr, et au-dessus du tout une admirable adoration des rois? Mais lui-même nous en a indiqué un autre plus délicieux encore à San-Spirito, qui représente la sainte Vierge Assunta, dans un médaillon de séraphins oblong comme le calice d'une fleur dont les ailes des anges formeraient les pétales. Le neveu de Matteo, Jérôme, méritait aussi d'être nommé, ne fût-ce qu'à cause de ce beau tableau où l'on voit les deux saintes Catherine à genoux devant la Madone, daté de 1508, dans l'église

Voir ce qui est dit plus haut sur les chapitres relatifs à l'école siennoise dans la nouvelle édition.

de Saint-Dominique. Pacchiarotto, disciple illustre et presque rival du Pérugin, est traité avec une brièveté désespérante, et mis, on ne sait pourquoi, sur la même ligne que Beccafumi, homme de la décadence. Comment M. Rio n'a-t-il pas étudié un peu sa vie, qui fut politique aussi bien qu'artistique, comme celle de Vanni; car il aurait été pendu comme un chef d'émeute, si les Franciscains ne l'avaient pas sauvé et fait passer en France1? Comment n'a-t-il pas consacré une ligne à cette admirable fresque qui orne un lieu cher et sacré pour tout catholique, la chambre occupée par sainte Catherine de Sienne, dans la maison de son père le teinturier, fresque qui représente la visite de Catherine à son amie sainte Agnès de Montepulciano étendue morte sur sa bière, où la beauté féminine a atteint ce point où l'inspiration chrétienne peut seule conduire? Nous renouvellerons donc ici le désir et l'espoir de voir toute la partie de Sienne refaite. Nous concevrions ces omissions, ces injustices chez tout autre, mais nous ne les pardonnons pas à un homme qui s'est identifié, comme M. Rio, avec toutes les lois et toutes les jouissances de la véritable esthétique. Quant à nous, nous estimons que, après tant d'oubli et d'impies dédains, c'est un devoir de recueillir et de chérir scrupuleusement jusqu'aux moindres travaux des peintres restés purs, comme une portion précieuse du trésor catholique.

Boccaccio Boccaccini fut à Crémone le digne représentant du Pérugin tandis que la liaison intime de celui-ci avec André Verocchio et Lorenzo di Credi, le maître et le condisciple de Leonardo de Vinci, assurait à ces doctrines une influence légitime sur la magnifique et si chrétienne école de Lombardie.

Mais ce fut surtout à Bologne que l'école ombrienne trouva 1 VALERY, IV, p. 278.

une sympathie qui eut les suites les plus heureuses pour l'art. A M. Rio appartient la gloire d'avoir réhabilité, ou pour mieux dire découvert la véritable école bolonaise, non pas celle du Dominiquin et des Carraches qui a été si longtemps et à si juste titre l'objet du culte des matérialistes; mais l'ancienne et religieuse école des quatorzième et quinzième siècles, qui ne s'éteignit que dans la ruine générale de l'art au seizième siècle. Elle se distinguait peut-être plus encore que celle de Florence par sa piété traditionnelle. Vitale, élève de ce Franco que le Dante a vanté (Purgat., c. II), ne put jamais se résoudre à peindre une crucifixion, disant que c'était une tâche trop douloureuse pour son cœur. Jacopo Avanzi, dont on voit encore d'admirables fresques al Santo de Padoue, fut longtemps retenu par le même scrupule. Lippo Dalmasio ne voulait peindre que des images de la sainte Vierge, et « telle était à ses yeux l'importance de ce travail qu'il n'y mettait jamais la main sans s'y être préparé la veille par un jeûne austère, et le jour même par la communion. » Aussi ce genre de préparation lui réussit-il si bien que le Guide, en plein dix-septième siècle, restait ravi d'admiration devant sa Madone: celle qu'on voit encore sur la façade de l'église San-Proculo justifie bien son extase. Nous sommes surpris que, dans cette énumération des gloires primitives de l'école bolonaise, M. Rio ait omis un nom qui devait le frapper particulièrement, celui de sainte Catherine de Bologne: elle s'appelait Catherine Vigri, naquit à Ferrare en 1413, elle fut abbesse des Clarisses à Bologne, et y mourut en 1453: au milieu des vertus héroïques et des actions miraculeuses qui l'ont fait canoniser, elle cultivait avec ardeur la musique et la peinture: on conserve deux de ses tableaux, qui tous deux représentent sainte Ursule, l'un

Elle a été canonisée en 1722; sa fête se célèbre le 9 mars.

à l'académie de Venise, l'autre à la Pinacothèque de Bologne.

Francesco Francia est l'astre rayonnant de l'école de Bologne: contemporain et émule du Pérugin, il a puisé aux mêmes sources, et mérite de prendre place avec lui, Fra Angelico, Lorenzo di Credi et quelques autres, dans ce cercle de peintres d'élite où doivent se concentrer les admirations du chrétien. Il n'est guère connu, même de nom, en France. Notre fameux musée du Louvre ne possède pas un seul tableau de lui, quoique tous ceux d'Allemagne aient pu facilement s'en pourvoir. Les beaux génies qui ont présidé à cette collection ont sans doute cru que cette peinture mystique ne méritait pas de figurer à côté des Rubens et des Lebrun: c'est à ce même esprit que nous devons de n'avoir pas un seul tableau remarquable du Pérugin, tandis que le petit nombre de tableaux des anciennes écoles qu'on a laissé s'y glisser, sont relégués dans l'antichambre'. Francia a atteint, pour le type de la Madone, une perfection sans rivale la tendre dévotion qu'il lui portait pouvait seule lui révéler ces secrets célestes. Sa modestie égalait sa piété : il signait toujours ses tableaux Francia Aurifex se croyant indigne du nom de peintre. Nous voudrions pouvoir donner la description du tableau ravissant que semble indiquer M. Rio (p. 249), et qui représente saint Augustin hésitant

M. Rio a très-sagement relevé ce gâchis qui règne dans la distribution des tableaux de notre galerie, et qui contraste d'une manière si humiliante pour nous avec l'excellent arrangement chronologique des galeries de Berlin, Munich et Florence. Mais qu'est-ce que cela auprès du grossier vandalisme qui fait clouer des planches pendant cinq mois de chaque année devant tous les tableaux anciens, afin de pouvoir exposer les productions des médiocrités modernes? La postérité, en lisant ce fait dans l'histoire de notre temps, aura peine à le croire (1839).— Cette observation, comme on le voit par sa date, est bien antérieure aux heureuses modifications introduites dans la classification de notre Musée national par M. Jeanron, en 1848.

entre Jésus et Marie; mais le temps et l'espace nous pressent. Francia se lia avec le jeune Raphaël pendant que celui-ci était dans toute la pureté de sa première manière : mais c'est une calomnie impudente de Vasari, comme le démontre très-bien M. Rio, que de prétendre que Francia mourut de chagrin en se voyant éclipsé par la Sainte Cécile de Raphaël. S'il était en effet mort de chagrin, c'eût été sans doute d'y voir la décadence précoce du génie; malheureuşement pour la véracité de Vasari, il survécut de deux ans à Raphaël, mais en se gardant bien de l'imiter, et ayant même cessé toute intimité et toute correspondance avec lui depuis l'adoption de sa dernière manière. Que pouvait-il y avoir de commun entre le peintre des ravissantes madones qu'on voit à Bologne justement en face de la Sainte Cécile, et l'air déjà si mondain de la Madeleine de ce dernier tableau 1? Francia eut de nombreux élèves. L'élite d'entre eux travailla avec lui aux fresques de Sainte-Cécile, si belle encore malgré l'abandon où l'a laissée l'incurie des Italiens pour leurs anciens maîtres. Giacomo, son fils, et Amico Aspertini restèrent fidèles à la bonne voie. D'autres, parmi lesquels on remarque le fameux graveur Marc-Antoine, cédèrent à la séduction du paganisme. On regrette de ne pas trouver ici un mot sur un élève de Francia, Timoteo Viti ou delle Vite; auteur d'une Madeleine pénitente (à la Pinacothèque) dont la pudeur et la ferveur forment un noble contraste avec les affreuses profanations dont ce sujet a été accablé depuis la renaissance. Ce serait aussi la place naturelle de quelques renseignements sur les grands maîtres de la primitive école de Ferrare, Costa, Mazzolini et Panetti, dignes rivaux du délicieux Francia 2.

On peut en juger d'après la gravure de sainte Cécile, récemment faite par Gandolfi, ou celle publiée en France par Desnoyers, à ce qu'il nous semble. 2 Cette lacune a été depuis comblée par un excellent opuscule de M. Camillo

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