Page images
PDF
EPUB

monde arriverait dans le Xo. siècle : le découragement et l'apathie qui résultaient de cette croyance paralysaient les esprits, et bien loin d'élever des constructions nouvelles, c'est à peine si l'on réparait les anciennes.

En considérant ce qui précède, la période romane primordiale pourrait se diviser en trois époques; la première antérieure au règne de Charlemagne ; la deuxième qui correspondrait au temps de ce prince et de ses fils; la troisième qui comprendrait la fin du IX. siècle et le X°.

Il reste si peu de monuments authentiquement antérieurs au XIo. siècle, que je manque des éléments qui seraient nécessaires pour esquisser avec plus de précision l'histoire de l'art aux VIo., VII®., VIII®., IX®. et Xo. siècles, et je crois faire preuve de sagesse en bornant aux généralités précédentes ce qui concerne l'architecture romane primitive.

CHAPITRE V.

Architecture Romane secondaire.

De la venaissance qui s'opéra dans les arts au XI. siècle. Éléments nouveaux introduits dans l'architecture. Analyse et énumération détaillée des caractères de l'architecture romane secondaire, basées sur l'examen attentif d'un très-grand nombre d'édifices religieux du XIe. et du XIIe siècle.

Une ère nouvelle commença pour les arts en même temps que le XI. siècle.

L'apathie et le découragement dans lesquels l'attente de la fin du monde avait tenu les esprits pendant le X. siècle, se dissiperent bientôt pour faire place à une activité prodigieuse qui imprima une impulsion toute nouvelle aux arts et à la littérature.

L'architecture surtout prit un caractère qu'elle n'avait point eu auparavant ; en Allemagne, en Italie et dans toutes les parties de la France, on vit s'élever des églises remarquables par leur nouveau style et leurs belles proportions.

La renaissance fut partout manifeste, et c'est

un fait bien digne d'attention que cette transmission rapide et générale des principes de la nouvelle école, à une époque où les améliorations d'un autre genre ne se transmettaient qu'avec la plus grande difficulté, même à de courtes distances.

Ce fait ne s'explique que par l'unité, la puissante action et la vie forte du corps religieux aux XI. et XII. siècles; par le grand nombre de couvents et de congrégations qui devinrent des écoles d'architecture et de sculpture.

Aucune partie de la France ne présente peutêtre autant de fondations d'églises et d'abbayes dans un intervalle aussi court que l'ancienne province de Normandie.

Les ducs et les principaux barons donnèrent l'exemple à leurs vassaux, et il y eut entr'eux une émulation extraordinaire. « A cette époque << (vers le milieu du XIo. siècle), dit Guillaume « de Jumièges, la Normandie jouissait d'une paix profonde; le clergé était souverainement respecté de tout le monde; les personnes << riches rivalisaient de zèle à bâtir des églises « et à doter des moines qui priassent pour leur « salut (1). »

(1) In diebus illis maxima pacis tranquillitas fovebat habitantes in Normanniâ, et servi Dei à cunctis habebantur in summâ

Plus tard après la conquête de l'Angleterre, les seigneurs normands portèrent dans ce pays leur goût pour l'architecture; les biens immenses qu'ils reçurent ne firent que favoriser leur zèle à fonder des châteaux, des églises et des monastères, en même temps que le désir de conserver leurs nouvelles possessions les mettait dans la nécessité d'en agir ainsi pour s'attacher le clergé et pour tenir la population en respect. Guillaume de Malmesbury peint bien cette ardeur des Normands à couvrir d'édifices religieux le pays qu'ils venaient de soumettre. Voyez, dit-il, s'élever de tous côtés des églises « et des monastères dans un nouveau style « d'architecture (1); voyez la patrie animée << d'une telle ferveur que les riches croiraient << avoir perdu la journée qu'ils n'auraient pas «< signalée par quelque acte éclatant de géné« rosité (2). »

[ocr errors]

tare.

reverentiâ; unusquisque optimatum certabat in prædio suo ecclesias ædificare et monachos qui pro se Deum orarent rebus suis locupleL'auteur fait ensuite une longue énumération des abbayes qui furent bâties à cette époque. Ce détail comprend tout le chapitre XXII du 7o. livre de son histoire des ducs de Normandie.

(1) Novo ædificandi genere consurgere. Ces expressions sont à noter. Elles montrent bien qu'il y avait en Angleterre comme en France une différence notable entre l'architecture du XI. siècle et celle des siècles précédents.

(2) Guillaume de Malmesbury de Regibus Angliæ, liv. ш. rer. Angl. Script., p. 102.

Les faits sont clairs; partout un changement notable, un progrès marqué se manifestait dans l'art de bâtir au XI. siècle, et notre division entre les deux genres d'architecture romane ne pouvait être mieux placée qu'à la fin du Xo. siècle.

[ocr errors]

C'est aussi au XI. siècle que commença le développement d'un ordre social nouveau, de la société vraiment moderne. « C'est à partir de << la fin du X°. siècle que l'être social qui porte « le nom de France, est pour ainsi dire formé, « dit M. Guizot; il existe; on peut assister à « son développement propre et extérieur. Ce développement mérite pour la première fois << le nom de civilisation française. Jusques-là << on n'aperçoit encore que la civilisation gau<«<loise, franque, gallo-romaine et gallo-franque. « C'est du V. au X. siècle que s'est opéré le << travail de fermentation et d'amalgame des <«< trois grands éléments de la civilisation mo«derne, l'élément romain, l'élément chrétien « et l'élément germain; et c'est seulement à la «fin du X°. siècle que la fermentation a cessé, << que l'amalgame a été à peu près accompli(1).»

(1) Cours d'Histoire moderne professé en 1829, t. 111, p. 204 et

205.

« PreviousContinue »