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rissait une société chrétienne, qui, malgré les dehors un peu abruptes et la rusticité de ses mœurs, conservait un grand fond d'honnêteté collective, que la loi des douze tables et les ordonnances de Marcus Rufus n'étaient jamais parvenu à produire dans le monde romain, si jaloux, sous la république, du nombre de ses légions.

Le pouvoir royal abandonnait le rôle de chef absolu d'une oligarchie de conquérants, pour devenir le prince et le souverain du peuple sur lequel il exerçait sa juridiction. Minée par les grands tenanciers de la couronne et définitivement vaincue en France, après le règne de Louis XI qui sut par sa politique détruire dans sa descendance mâle la puissante maison de Bourgogne, la royauté se servit de l'élément communal pour mater la puissance des grands vassaux.

Les villes qui, à cette époque, jouissaient de quelques libertés relatives profitèrent de la grande émigration d'outre-mer pour en obtenir une confirmation authentique dans les keures, dont le fameux kalfvel gantois était la, réalisation pratique. Ceux qui avaient obtenu ces priviléges à prix d'argent de leurs seigneurs harassés par les créanciers juifs ou hongrois prirent le nom de poorters ou bourgeois; les poorters huyse, ou parlours de bourgeois en furent l'affirmation plastique.

L'idée religieuse profita de cet affranchissement des serfs féodaux. Jadis attachés à la glèbe et cachant soigneusement sous une misère apparente, de crainte d'exactions, leur prospérité réelle, les nouveaux poorters dont la foi était ardente et pure songèrent bientôt à remplacer par des églises plus sveltes, plus riches, plus aërées, plus symboliques de l'essor de la prière les sombres édifices romans, où ils allaient autrefois puiser la patience chrétienne pour supporter le joug de fer que les seigneurs féodaux faisaient peser sur leurs tenanciers.

L'église fut affranchie par la même occasion et les riches

et florissantes abbayes qui avaient transformé en oasis opulents les bruyères de notre pays purent songer sans crainte de pillages ou d'exactions à bâtir à l'Éternel une demeure digne de lui et à l'orner de matériaux précieux, témoignage suprême d'un vasselage plus élevé de la créature à son Créateur.

Ce que l'on recueillit de sommes en argent, à cette époque où le numéraire était d'une rareté excessive en Occident, pour reconstruire les églises désormais trop petites dépasse tout ce que la science de l'économiste pourrait imaginer. La foi du peuple pouvait s'affirmer par des édifices dont l'ampleur et la majesté laissaient bien loin derrière elles l'orgueil et la présomption du manoir féodal.

Les croisades durèrent trois siècles; pendant ce temps l'expression plastique de la pensée des peuples d'Occident avait eu le temps de se traduire et cette pensée chrétienne n'avait pu trouver d'esthétique plus appropriée à ses aspirations que les formes sveltes et élancées, imaginées par quelque génie architectural, qui avait porté la croix et adossé la cotte de mailles sous le ciel brûlant de l'Asie et avait su rendre d'une façon qui tombait sous les sens les incarnations de sa pensée pieuse.

Quand les seigneurs revinrent des croisades, ils ne purent songer à rogner les libertés acquises; ils étaient décimés, appauvris, ruinés et leur puissance limitée à leur bon vouloir était désormais soumise au texte des chartes qu'ils avaient octroyées avant leur lointain pèlerinage.

Le peuple secondé de la ferveur ecclésiastique s'éprit d'un enthousiasme général pour attribuer au temple le caractère d'une véritable maison de Dieu et en faire une image matérielle de cette sainte Sion qui était l'objet de ses aspirations constantes. Pouvant épancher leur piété plus à l'aise, nos vieux communiers flamands, si rudes à la guerre et si recueillis aux pieds des saints autels, fréquentèrent à

l'envi ces édifices vénérés, qui seuls, dans les temps d'oppression sanglante, possédaient l'inviolable droit d'asile. La pensée du peuple d'une ville, d'une bourgade, d'un simple hameau s'incarna dans une protestation plastique d'humble soumission à la royauté divine. Le manoir féodal ne fut plus que le bras séculier de l'église qui était appelée à élever ses clochers aëriens bien haut au-dessus des mâchecoulis et des tourelles crénelées. Le burg devint trop grand, l'église trop petite, et le seigneur chercha au sein des villes entourées de fortes murailles une sécurité qu'il ne pouvait plus attendre dans son manoir féodal.

L'architecture romane ne pouvait plus suffire à abriter les grandes agglomérations que l'opulence des communes réunissait à son tour dans nos villes naissantes et les maîtres ès-œuvres qui avaient porté glorieusement le harnois sous les croisades devaient trouver le style ogival, l'incarnation la plus noble, la plus sincère et la plus complète de ce grand affranchissement de la race humaine qu'avaient su produire les efforts séculaires de l'Église catholique.

Une chose remarquable, c'est que, malgré l'assurance que possédaient les architectes de cette époque de l'extrême solidité et de la cohésion immédiate de deux arcs de cercle

conjugés, formant ogive et dont la figure ci-contre donnera une représentation matérielle, ils n'aient osé l'appliquer directement à une pous

sée de grande importance et aient songé tout d'abord à figurer graphiquement le principe, soit dans des arcatures, soit dans des meneaux de fenêtres.

Quand les constructeurs du moyen-âge marchèrent résolument dans la voie nouvelle, ils ne le firent que par tâtonnements successifs et donnèrent toujours raison aux desiderata suggérés par des constructions dont l'économie

avait donné lieu à quelque malencontreuse catastrophe. Ces essais malheureux leur firent composer des voûtes dont les voussoirs imparfaitement taillés se soutenaient cependant par l'équilibre normal, de telle façon que s'il survenait une dépression en quelque point de rupture de l'intrados de la surface, la masse monolythe, résultant de la cohésion du ciment, s'opposait à une déchirure, ou à un éclatement dans les reins adhésifs.

Ils ne se bornèrent pas cependant à cette précaution et bandèrent à des distances très-rapprochées, entre ces voûtes de pierres taillées en voussoirs, des arcs doubleaux, ainsi appelés parce qu'ils vont toujours de pair, lesquels se composaient de la même façon de voussoirs appareillés, qui, par leur disposition rayonnante à la tangente normale, devaient contrebalancer par leur élasticité les mouvements de la voûte. Pour surcroît de précaution, ils construisirent sous ces arcs déjà plus solides des colonnes engagées, répétant de moitié les colonnes véritables, qui formaient les nefs.

A l'extérieur, pour appuyer le mur, ils établirent au droit des demi-piliers, ou colonnes engagées, des contreforts qui dans les premiers temps étaient d'une saillie médiocre, parce qu'on les soutenait de poutres transversales, que l'on plaçait d'un arc doubleau à l'autre et qui étaient reliées avec deux autres poutres reposant sur le formeret et sur l'arc ogive portant sur le tailloir des colonnes. Mais, avec le temps, par suite des influences atmosphériques et du man-' que d'air extérieur et de ventilation, ces poutres, quoique formées de troncs de chênes et de châtaigniers d'un équarissage de plus de trente-cinq centimètres, étaient attaquées du teredo navalis, ou de la consomption, et l'économie de l'équilibre des arcs doubleaux et formerets était compromise par la putréfaction d'une poutre au droit d'une des ancres encastrées dans la maçonnerie des empâtements.

Il restait donc un grand progrès à réaliser, c'était de

changer la forme des arcs doubleaux et de leur substituer l'arc ogive qui se soutient par la décomposition même des charges portantes et supportantes du parallélogramme des forces. Les reins se brisaient avec l'ancien système, dans le cas où, l'arc doubleau ayant faibli, les murs s'écartaient, et la clef-de-voûte risquait, par suite de l'abaissement de la partie centrale, de tomber sur le pavé. Pour donner donc plus de force à cet arc doubleau, les maîtres ès-œuvres l'élevèrent d'abord par une surface perpendiculaire, coïncidant avec les formerets et pour la représentation plastique duquel nous renvoyons à l'arc surhaussé.

Il n'y avait donc plus qu'un pas à faire pour accepter l'arc ogive plus solide en lui-même et ayant beaucoup moins de poussée. Chose remarquable, comme s'il y eut eu remords de la part des constructeurs habitués à un mode qu'ils avaient pratiqué pendant toute leur vie, les pre

miers arcs ogives sont surhaussés par une ligne droite, comme on peut le voir dans la figure cicontre. Cette nouveauté produisit une modification radicale dans la conception du plan : l'ancienne disposition paral

lélogrammatique de chaque travée était fort défavorable; on y remédia en substituant à la croisée unique deux croisées intermédiaires, dont la base était égale à la moitié de la longueur. Le long des murs, il fut des plus aisé de pratiquer des formerets qu'il était tout naturel de modifier suivant l'écartement de l'ogive primitive.

On avait donc inventé les trois arcs qui forment la base du splendide édifice ogival: les doubleaux, les diagonaux, les formerets. Ce ne fut qu'au XIVe siècle qu'on y joignit

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