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et qui tend à faire revivre complétement le passé dans les monuments et les œuvres d'art qu'il nous a légués, la plus grande partie du peuple se trouve encore dans une indifférence et une ignorance déplorables. C'est une vérité que l'on ne saurait contester. Le plus grand nombre juge de l'importance et de la beauté de nos monuments et de nos richesses artistiques, d'après le plus ou moins d'importance de leur masse, ou d'après le cachet de matérialisme qu'ils présentent. Aucun principe, ni aucune règle ne président à leur jugement. Ignorant les caractères particuliers à chaque genre d'architecture, le peuple ne sait établir aucune distinction. entre les divers styles et les diverses époques. Aucun enseignement théorique ne lui est fourni sur ces questions et nos académies et autres écoles officielles, en restreignant l'art à l'architecture classique de la Renaissance, ne lui offrent que certaines connaissances pratiques fort incomplètes et insuffisantes. Les mêmes remarques s'appliquent en général à la peinture, à la sculpture et à toutes les autres branches de l'art, sans distinction. Et cependant, les monuments, avec leur brillante parure, les fresques, les verrières, les tableaux, les sculptures, que l'on rencontre dans nos églises, sur nos places, dans les rues, dans les musées et partout, ne sontils pas pour le peuple une prédication continuelle, dont la voix, quand on a appris à la connaître, est beaucoup plus puissante que celle de nos livres? Depuis les croix et les chapelles de nos carrefours et de nos cimetières jusqu'aux palais les plus splendides et les temples les plus majestueux,

tout rappelle au peuple le souvenir de ses ancêtres, la puissance féconde des générations passées; tout lui apprend l'histoire de sa nation, les mœurs et les usages de ceux qui l'ont précédé; tout lui enseigne le développement successif de la civilisation et du progrès et l'exhorte à l'accomplissement de ses devoirs envers Dieu et envers ses semblables. Il est donc de la plus haute importance que le peuple connaisse les éléments et les principes de l'art. Aussi longtemps qu'il ne possédera pas ces connaissances, il ne saura jamais aimer ni respecter le passé; et un peuple qui ne vénère pas le passé n'est pas digne d'un avenir.

Mais, si la connaissance de l'art et principalement de l'art chrétien est si nécessaire au peuple, combien, à plus forte raison, ne l'est-elle pas aux artistes?

Les anciens artistes, après avoir trouvé dans leurs successeurs du XVIIIe siècle des apôtres éhontés de la dépravation intellectuelle et morale, ont rencontré dans un grand nombre de ceux de notre époque des hommes incapables de les comprendre et conséquemment de les apprécier et de les aimer. C'est qu'en effet, comme le disait naguère le savant professeur M. Cartuyvels, dont nous rapportons les paroles, «< il ne suffit pas pour être artiste chrétien, de réunir en soi les deux conditions essentielles sans lesquelles l'artiste ne se conçoit même pas, à savoir: une foi vivante et une imagination dirigée dans ses créations par le sentiment du beau pris à la source de son idéal; mais, il faut, de plus, une troisième qualité fondamentale, qui est la doctrine, la

science de l'art chrétien. Il faut, à l'artiste digne de ce nom, la connaissance des idées chrétiennes, qu'il est appelé à traduire dans une forme sensible, il lui faut une connaissance approfondie des types, du symbolisme et des formes traditionnelles de l'art chrétien.

« Car, dans le Christianisme, l'art n'est pas une chose de pur agrément; l'art religieux surtout n'a pas pour but de charmer les sens par une représentation quelconque du beau; il a une destinée plus haute, il a pour mission d'instruire et de chercher dans l'expression du beau le moyen de faire passer la vérité par les sens dans les cœurs. Il est donc de toute nécessité, que l'artiste soit familiarisé avec la doctrine et avec les types qui la rendent sensible aux yeux du peuple. Or, il faut bien le reconnaître, cette action puissante, cet auguste ministère que l'art exerçait autrefois, il ne l'exerce plus aujourd'hui. Le peuple, comme les artistes, ont perdu le sens de ce divin langage. La tradition a été interrompue, brisée et nous cherchons péniblement à en rassembler les vestiges épars et les fragments mutilés. Ce qui fait parmi nous la faiblesse de l'art chrétien et ce qui condamne pour longtemps encore nos artistes à des expériences inutiles et à des tâtonnements douloureux, c'est la perte et l'oubli des traditions de l'art religieux. La tradition vivante assurait autrefois, en dépit du cours des siècles, la construction et l'ornementation d'une cathédrale telles que le projet en sortait du génie de l'artiste; lui-même était arrivé à cette conception sublime en suivant les traces de ses devanciers, et

le peuple tout entier s'associait à ces œuvres merveilleuses, parce qu'il les comprenait dans leurs moindres détails. Aujourd'hui, l'artiste est solitaire; il n'a personne pour lui tracer les chemins, pour lui marquer un but, pour l'éloigner des écueils, et c'est pourquoi, dans la réalisation de l'idéal religieux, il en est réduit à se créer, d'après une fantaisie individuelle, ou par une imitation que le hasard seul dirige, des types de pure convention, images souvent trop fidèles de ses convictions ébranlées. Que faut-il donc pour relever l'art chrétien? Le rattacher à ses traditions antiques par la science, par l'étude des anciens types soutenue et dirigée dans un esprit chrétien, par une investigation patiente et pieuse du passé qui conduira nos artistes non plus à des imitations serviles, mais à des œuvres vivantes inspirées du même génie d'autrefois (1). »

Et nous ajoutons : la coopération du clergé. C'est, en effet, de lui que dépend en quelque sorte le grand œuvre de régénération de l'art chrétien. Car, seul, il a la puissance de diriger l'artiste dans l'exécution de ses conceptions et d'imprimer à son œuvre le caractère qui lui est essentiel. L'art trouve sa base la plus ferme dans le Christianisme. C'est dans les édifices de notre culte qu'il a toujours exercé sa principale action; ce sont eux qui toujours et partout ont réalisé les plus hautes conceptions de l'architecture. D'un autre côté, la connaissance des branches variées qu'embras

(1) Congrès de Malines. Session de 1863.

sent l'archéologie en font une science que le peuple et les artistes ne possèderont jamais qu'imparfaitement, parce qu'elles réclament l'étude approfondie des Livres saints, des écrits des saints Pères et des autres écrivains ecclésiastiques, de la liturgie etc., qui constituent en quelque sorte le domaine exclusif des ministres de l'Église

Le but et la destinée de l'art est de relever l'homme en le rapprochant de son idéal qui est Dieu même. Quelle plus noble mission peut-il y avoir pour le prêtre? Aussi voyonsnous, que l'art, jusqu'au XIIe siècle, fut exclusivement le domaine du clergé. Ce ne fut guère qu'an XVe siècle, qu'il laissa s'échapper complètement cette puissance qui faisait son prestige. Les ministres de l'Église comprenaient fort bien autrefois l'importance de l'art au point de vue du christianisme. Ils savaient que, dans les mains de l'Église, l'art est un moyen d'instruire et de conduire les âmes à Dieu. Et, en effet, n'a-t-il pas pour mission de servir d'organe à la vérité et d'inculquer au peuple, au moyen d'une forme sensible, les mystères de l'Église, ses dogmes, sa morale et son histoire. Aussi nos sanctuaires, avec leur brillante parure, ont-ils été de tout temps des livres sacrés pour ceux qui ne savaient pas lire, des échos permanents de la parole du prêtre. Depuis les peintures de ces lieux souterrains, qui servaient de refuge aux premiers chrétiens, jusqu'aux moindres sculptures de nos cathédrales du moyen-âge, tout offrait d'une manière palpable aux yeux des fidèles les objets de leur croyance et de leur vénération.

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