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logie soient intimes, le moment ne nous semble pas encore venu d'instaurer une étude définitive de ces rapports. La science sociologique est peut-être arrivée à un point de perfection qui autoriserait une telle entreprise. Nous l'ignorons.

Mais ce qui est bien certain, c'est que, malgré ses progrès immenses, la linguistique néo-latine qui, ne l'oublions pas — étudie avant tout, comme toute linguistique, les phénomènes du langage, est encore bien imparfaite. La connaissance et l'interprétation des faits linguistiques, considérés du point de vue purement linguistique, sont encore, si l'on va au fond des choses, assez rudimentaires presque partout dans le domaine roman.

Lorsque les linguistes auront une notion technique suffisante de ces faits et de leurs rapports, il sera temps. que la science du langage profite des progrès de la sociologie et de la démographie. Jusque là, traiter les questions de ce genre, c'est proprement battre les buissons au lieu de suivre vers le but véritable le grand et sûr chemin.

Ce but, vers lequel nous devons tendre, n'est pas la vaine gloire d'avoir dit à tout prix « quelque chose de nouveau ». Ce sont les vérités nouvelles, ou plutôt c'est la vérité, toujours nouvelle, qui doit nous passionner.

En progressant méthodiquement, du connu à l'inconnu, sans sauts brusques et sans vouloir brûler les étapes, en observant toujours mieux la nature, nous pouvons espérer mettre en pratique la formule d'Herbert Spencer et serrer de plus près cette chose insaisissable, cette vérité que la science ne connaîtra sans doute jamais complètement.

La linguistique n'est ni un vain amusement, ni un art, ni une discipline soumise aux caprices des individus ou des multitudes. L'on ne saurait revendiquer pour elle une place trop honorable parmi les sciences.

Dans les lettres, en peinture, dans tous les domaines

qui relèvent de la fantaisie personnelle et du goût collectif, on peut concevoir, et l'histoire nous montre en fait, que des révolutions profondes ont été acceptées par les générations nouvelles, parce que la fantaisie est ailée, et que le goût est chose essentiellement variable dans le temps et dans l'espace, quoi qu'en aient pu dire certains théoriciens étroits. En France, les productions de Monet et de l'école impressionniste ont tout d'abord fait hurler le public, à qui on les présentait dans des salons d'Indépendants, et qui maintenant les admire au Luxembourg, voire au Louvre. Comme l'œil a fini par s'habituer aux procédés d'analyse propres aux peintres de la lumière, l'oreille moderne s'est faite peu à peu aux dissonances, aux rythmes quinaires, aux brisures des cadences, par quoi les Debussy et les Albeniz l'ont d'abord déchirée puis charmée.

Tout, ou presque tout, est possible dans le domaine du goût comme sans doute dans celui de la politique. A priori il n'est pas de forme d'état ou de société qui ne puisse s'établir et durer au moins un certain temps, même la forme anarchique.

En matière de science, cette liberté sans frein devient inadmissible, parce que la vérité scientifique échappe aux variations du goût, aux évolutions des mentalités individuelles ou collectives. Sans doute la vérité scientifique n'est pas éternelle les progrès mêmes de la science attestent qu'elle n'est jamais parfaite. Mais ces progrès dépendent de ce qu'il ya de plus stable en nous : de la raison. Ils sont inconciliables avec l'arbitraire qui se donne plus ou moins libre cours dans les arts, dans les lettres, ailleurs encore.

La vérité linguistique, comme toute vérité scientifique, ne sortira ni d'une recherche maladive ou enfantine de la nouveauté, ni d'un chambardement général des connaissances et des méthodes.

Ici, plus qu'ailleurs peut-être, l'utopie, l'intuitionnisme et en même temps le vain étalage d'une fausse précision scientifique, voilà les ennemis.

INDEX ET TABLES

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