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phonétique. Deux forces sont en présence: l'une force d'inertie, qui est le plus souvent d'ordre phonétique (v. p. 287 suiv.), mais qui peut être aussi, dans certains cas, d'ordre analogique (v. fr. je fis: tu fesis, etc. > je fis: tu fis, etc.), pousse l'idiome à confondre des formes de sens et d'emploi différents; l'autre, la force de caractérisation flexionnelle, joue le même rôle que la différenciation phonétique (v. p. 298-9); elle réagit contre tout ce qui tend à introduire la confusion dans le système grammatical.

Mais, si l'existence de ce principe général a pu depuis longtemps être soupçonnée grâce aux observations de la méthode comparative classique, c'est par l'application des procédés de la géographie linguistique qu'il est désormais possible de donner, pour chaque cas particulier, une démonstration décisive. Bien plus, la géographie indique la raison profonde de certaines créations morphologiques, dont les vieilles méthodes n'entrevoyaient même pas la raison d'être.

Il ne suffit pas de dire, par exemple, que, dans la partie occidentale de la région landaise déjà mentionnée, la première personne de l'indicatif présent du verbe « faire » est de formation analogique (v. fig. 38; cf. Pet. atl., p. 212).

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Il est manifeste que hèsi, hèzi, hès ne représentent pas une

évolution directe et normale de lat. facio, lequel aurait dû aboutir régulièrement à has étant donnée la phonétique en vigueur dans la région : cf. brachium > bras, etc. Il ne suffit pas davantage de supposer que des indicatifs en -ezi (bęzi « je vois », krezi, « je crois ») ont exercé leur influence sur has facio pour l'amener à hezi (cf. J. Ducamin, Disciplines de Clergie et de Moralités de Pierre Alphonse, Toulouse, 1908, 145). Il ne suffit pas d'autre part de tirer hesi, hès, de l'imparfait du subjonctif, v. gasc. fessi, fes, généralisé dans l'emploi d'indicatif (cf. R. D. R., 1910, 88). Il ne suffit même pas enfin de reconnaître, comme pourraient le faire des linguistes encore plus avisés, que ces formes analogiques, hèsi, hèzi, hès se sont développées à la place d'un hey « je fais », chronologiquement antérieur et lui-même analogique, - pour éviter la confusion avec la troisième personne bey « il fait » (Pet. atl., 213).

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Suggérer une explication de ce genre, c'est à coup sûr manifester non seulement le désir de rendre compte des formes nouvelles, mais encore le souci de remonter aux causes qui ont engendré ces innovations morphologiques. Il est excellent de vouloir ainsi rendre compte de l'évolution et du germe qui l'a produite. Mais on ne fournit aucune preuve réelle à l'appui de l'affirmation avancée.

La confrontation des deux cartes « je fais » et «< il fait >> (v. fig. 39), et l'application au problème en jeu de la

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méthode de superposition des aires, révèlent avec évidence la justesse de ce qui n'était qu'une hypothèse et lui donnent la valeur d'une vérité démontrée.

Dans le secteur où la troisième personne du singulier est hẹ, la première personne est hey uniformément. Au contraire, là où la troisième personne est hey, il n'y a pas un seul exemple de hey à la première personne. La ligne frontière entre 3 hę hey, d'une part, et 1 hey: hesi, hẹs, he̟zi d'autre part, coïncide sur toute l'étendue du domaine.

Les points 19 et 24, qui sont deux communes limitrophes, et où se remarque une dérogation, n'en restent pas moins fidèles au principe général, puisque 1 hèsi s'y oppose à 3 he. Il semble que ces deux patois ont pris, plus encore que leurs congénères, toutes les précautions pour éviter la confusion de 1 et 3. Il est vraisemblable que, sur ces deux points, I hesi s'est étendu au détriment de 1 hey pour le plus grand bien de la clarté du discours : entre hèsi et he, l'écart phonique est bien plus considérable qu'entre hey et he. Les formes analogiques hèsi, etc. y ont été considérées comme des «< moyens thérapeutiques » plus efficaces que le simple hey, estimé suffisant sur tous les autres points du secteur oriental.

Lespectacle d'une telle distribution géographique emporte à lui seul la conviction. Il atteste avec éloquence que le principe des collisions homonymiques, fécond pour l'étude des mouvements lexicaux, l'est au moins autant en morphologie. Car, ici, il ne s'agit pas de tenir distincts deux vocables, entre lesquels la confusion peut être le plus souvent évitée grâce à la nature particulière du sujet visé dans le discours : quand une personne parle de « traire » mulgere, il y a quelque chance pour que l'on ne comprenne pas « moudre » molere. Mais une méprise sur « je fais » et « il fait », sur «< tu es» et «< il est », est un accident d'une imminence bien plus fréquente et qui peut entraîner des conséquences beaucoup plus graves. Il n'est pas étonnant

que toutes les langues essaient de parer préventivement à des quiproquos de ce genre.

D'où il ressort que nombre d'innovations morphologiques n'ont d'autre cause que le besoin de clarté inhérent à chaque idiome. La préoccupation de tenir distincts dans leur forme linguistique les objets et les actes qui doivent être distingués dans la réalité, explique plus d'un changement dans la flexion comme dans le vocabulaire.

A propos du lexique on a parlé de « phonétique artificielle » (Path., III, 66 suiv.). Si cette dénomination était exacte, elle s'appliquerait également à toute une catégorie de phénomènes morphologiques. En réalité il n'y a rien. d' « artificiel », ni dans un cas ni dans l'autre. Tout se passe le plus naturellement du monde.

L'ie de vierge n'est pas un << artifice » destiné à parer au conflit de *verge < virginem avec verge <virgam, homonymie en vérité intolérable (cf. Path., III, 68). Les «< crochets brusques », les « volte-face » que l'on suppose, ne sont guère dans les habitudes des langues, créations collectives. Il faut croire que vierge est sorti par voie naturelle d'un croisement entre virgo, mot latin d'église, et verge(ne) mot populaire, ou mieux entre verge(ne) et virge(ne), formes héréditaire et savante du latin virginem (ib., p. 68, note de M. Clédat). C'est par sélection lexicologique, et non par suite de je ne sais quelle création de « phonétique artificielle », que verge(ne) a été éliminé, et que l'hybride vierge(ne), distinct le plus heureusement du monde de verge < virgam, s'est implanté définitivement.

De même c'est par sélection morphologique, que les seconde et troisième personnes de l'indicatif présent du verbe être, dans l'ensemble de la Romania, ou les première et troisième personnes du même temps et du même mode du verbe faire, dans les Landes, se sont tout naturellement différenciées les unes des autres. Pour remédier à l'homonymie menaçante, causée par l'action des forces d'inertie

d'ordre phonétique ou analogique éparses dans la langue, un choix subconscient s'est opéré entre les diverses formes, analogiques ou phonétiques, que chaque idiome a éliminées ou cantonnées dans des postes grammaticaux différents, suivant les besoins de l'expression. Poussées par la nécessité impérieuse de sauvegarder l'intégrité de leur système flexionnel, les langues ne reculent pas devant des moyens qui cessent de surprendre, lorsqu'on connaît les causes profondes de ces chassés-croisés en apparence bizarres : un futur prend la place d'un présent (esp.'eres): un subj. supplée un indicatif (gasc. hesi, hes).

D'une importance considérable. comme principe d'innovation flexionnelle, l'homonymie n'exerce pas moins d'influence sur les faits de composition et de dérivation qui forment une section spéciale de la morphologie.

La dérivation et la composition sont les procédés les plus simples dont dispose la langue, lorsqu'il s'agit de remédier à l'insuffisance phonique de certains mots et au danger de confusion homonymique qui en résulte. Il existe notamment plusieurs formes verbales, dont le radical s'est trouvé réduit par le jeu des lois phonétiques à si peu de chose, qu'il s'est adjoint des éléments adventices sans lesquels il lui eût été impossible de se maintenir et d'échapper à une destruction totale.

Le vfr. eissir ou eistre < exire se trouvait, à certaines personnes, représenté par des formes ultra-réduites : ind. prés. 3 s. ist, 3 pl. issent ; impf. 3 s. issoit, 3 pl. issoient, etc. En comparant ces formes avec finit, finissent, finissoit, finissoient, on pouvait se demander si vraiment le verbe n'était pas réduit, par suppression du radical, à une flexion pure et simple. Le vfr. nissir, sorti naturellement de (e)n issir (Faillite, 99), est né du besoin qu'a éprouvé la langue de donner plus de corps à ce radical défaillant.

Ce nissir, que les hasards du struggle for life ont fini mal

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