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C'est pour avoir méconnu cette vérité que plus d'un romaniste s'est égaré au milieu de ses propres spéculations. Admettons qu'on trouve «< curieuse » la différence du traitement phonétique des mots « chèvre », « fièvre » et <«< lièvre » dans les Vosges méridionales (Bloch, Vo., 109) Єyau des points 9, 10, 16-7 présente, sous l'influence du v suivant, une labialisation de yé, qui est inconnue à lyév, fyév. L'étonnement de l'auteur cesserait sans doute, s'il voulait bien se rappeler que le yé de šyév < capram diffère du yé de lievlěporem par la date de sa production. Il y a toutes les chances pour que cette différence de date corresponde à une différence de timbre, sans compter que l'influence labialisante de la labio-prépalatale € différente de la labiodentale f- a pu s'exercer à travers le y plus où moins réduit, ou même absent, comme le montre la variante cov des communes limitrophes, où y s'est résorbé dans le €.

Mais la méconnaissance du point de départ latin et des règles posées par le comparatisme roman a conduit d'autres dialectologues à commettre de véritables erreurs de classement dans les faits qu'ils analysent.

Dans l'étude de la limite du dialecte wallon et des dialectes champenois et lorrain, ayant à rendre compte du traitement de « l'e accentué latin entravé par nasale + consonne », M. Bruneau (Lim., 150 suiv.) remarque que les cartes << attendre », « comment », «< fendre »>, << rendre »>,

FIG. 24.

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« Vendre » dans les Ardennes, d'après M. Bruneau.

« vendre » offrent des aires concordantes : les aires de atēd, kumê, fèd, rèd, vêd se recouvrent sensiblement : cinq points seulement, sur un total de quatre-vingts à quatrevingt-dix, offrent des dérogations, et ces points sont tous limitrophes de la ligne frontière. Les formes avec a dénasalisé, vad, etc., offrent, il est vrai, un certain flottement : l'aire de atad ne coïncide pas avec celle de kuma, et vad est plus étendu que fad et surtout que rad. Il n'en est pas moins évident que la configuration géographique des zones occupées par ces formes dénasalisées et orientées en principe vers le Sud-Ouest est, dans ses grandes lignes, analogue pour tous ces mots. Cf. fig. 24.

Au contraire, l'adjectif « tendre » offre une répartition

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Montmédy

FIG. 25. — « Tendre », adj., dans les Ardennes, d'après M. Bruneau.

toute différente (ib., 154). Ici, il n'y a pas un exemple de a dénasalisé, et il en est de même pour « vendredi ». M. Bruneau n'a pas assez souligné les rapports qui existent entre ces deux cartes. Si l'on fait abstraction d'une aire vãdredi qui est un emprunt manifeste et sans doute assez

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récent, une zone vardi recouvre exactement l'aire tãr << tendre ». Comme celle-ci, elle a sa frontière Nord entre

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FIG. 26.

« Vendredi » dans les Ardennes, d'après M. Bruneau.

25 et 20, 27 et 26, et sa frontière Sud-Est entre 61-62, 75-76, 80-81, 81-82. Ce n'est qu'à partir de ce point qu'elle diffère, s'infléchissant vers le Sud-Ouest. Cf. fig. 25,

26.

Le mot «< gendre », dyer, dont nous ne connaissons pas pour l'instant la géographie, s'écarte aussi (ib., 158) de la série « attendre », « comment », etc.

L'auteur veut expliquer les particularités du traitement de ces mots par l'influence de l'r. Il remarque que, « au sud de la région ardennaise, tout a suivi d'une r (†). aboutit à è ». En effet, vers la région lorraine, l'r a une influence troublante sur la voyelle nasale précédente : dans les Vosges méridionales, on a, dans ces conditions: pār <prendere (Bloch, Vo., 13).

Mais cette particularité ne rend pas compte de la présence de tar << tenerum et de vārdi < veneris diem dans

toute la région centrale, au nord de Mézières et de Sedan et jusqu'au sud de Geddine. Selon M. Bruneau, ces deux formes sont des avancées champenoises dans le sud de la Wallonnie.

La coïncidence géographique de vardi et de tar nous paraît s'opposer à l'hypothèse d'un emprunt. En principe, les emprunts ne présentent pas des aires phonétiques régulièrement superposables.

Par conséquent, en l'absence d'autres documents géographiques, et jusqu'à preuve du contraire, on voudra sans doute penser que la différence des conditions phonétiques initiales est la véritable cause de la divergence phonétique actuelle entre tenerum, veneris diem et sans doute aussi generum, d'une part, et la série attendere, etc. de l'autre. La position de en dans les proparoxytons du type tenerum, etc., n'était pas la même que dans vendere, etc. Dans les groupes -nd-, -nt-, la force assimilatrice ou différenciatrice de la nasale a été plus considérable (cf. Rev. 1. rom., LXII, 202) et, de tout temps, devant ces groupes, l'e s'est trouvé en syllabe fermée. Dans tenerum, il a été primitivement en syllabe ouverte, et, lorsque le pros'est réduit paroxyton à quelque date que remonte cette réduction, comme les patois de ces régions ne font pas en principe l'épenthèse de d entre n et r, la position de l'n n'a pas été la même. De toutes ces variations des conditions phonétiques sont résultées nécessairement des variations dans les phénomènes de nasalisation et dénasalisation.

M. Bruneau avait donc tout à gagner à distinguer, dans l'étude de ces mots, deux séries phonétiques différentes.

Pourquoi de même étudier pêle-mêle la géographie phonétique de mots aussi différents d'origine que « bois », « doigt », « entonnoir », « froid », « raide », « savoir », « », « << seigle >>, << soif » et « toit » (Bruneau, Lim., 163)? <«< L'état de confusion complète » qu'on nous signale dans le traitement de ces mots n'est-il pas normal? Ce qui serait

anormal en vérité, ce serait une concordance cartographique même approximative entre des ó fermés latins +yod et des é fermés latins suivis ou non de yod. Du fait que sur un point géographique (le francien de Paris devenu la langue littéraire), il y a eu à un moment donné, confusion de ces divers phonèmes (et encore y a-t-il eu postérieurement de nombreuses divergences), il ne s'ensuit pas nécessairement que les traitements doivent couvrir des zones géographiquement identiques. L'accord des aires wallonnes de de respect. da < digitum, frè: frå < frigidum, sẻ: sœ <sītim, tè : tờ < tectum, lesquels se superposent à deux exceptions près (ib., 163), et l'aberrance de -tōrium > -we-u-wa sont des faits significatifs qu'on a malheureusement méconnus.

La géographie elle-même se charge de rappeler à l'ordre le romaniste quand il oublie que les langues, objet de son étude, sont les langues romanes.

Le point de départ de la phonétique des dialectes romans est la phonétique du latin. La remarque qui a été déjà faite à propos de l'application générale de la méthode comparative à la linguistique romane trouve tout particulièrement son application dans la phonétique. Pour reconstituer la courbe générale de l'évolution, nous devons remonter non seulement jusqu'à l'époque où a pu se constituer le roman commun, sous l'Empire, mais plus haut encore et au delà même de la période historique du latin.

Ainsi, une des questions les plus discutées de la phonétique romane est de savoir la valeur exacte en roman commun de ke, i. Comment le sarde et le dalmate. offrent-ils, dans cette position, un k de caractère occlusif log. kervu, kelu; vegl. kaina < cēnam, plakar <placere, etc., tandis que les autres idiomes romans l'ont fortement palatalisé et partiellement assibilé?

Il faut admettre que ke, i a eu une prononciation

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