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plus gracieuse en colonnettes plus légères à côté de celles-ci. Cette belle cheminée, spécimen curieux des usages domestiques du moyen-âge, n'a pas moins de 4 mètres 60 cent. de largeur.

Un écusson, portant une fleur de lys avec brisure, placé au-dessus d'une porte qui, de cette salle, donne accès à une sorte de chapelle placée à côté, vient encore confirmer les données déjà certaines que l'on a sur la construction de cet hôtel par un membre de la famille de Bourbon.

Il faudrait des journées pour apprécier toutes les beautés du parc qui environne ce curieux séjour; il faudrait des pages pour les décrire. Des allées qui se perdent au milieu des arbres et des fleurs, uue végétation luxuriante, des mouvements de terrain variés, tout ce qui peut faire les délices de la promenade se trouve ici réuni. Nous avons voulu voir de près cette belle tour qui, de loin, produisait un effet si remarquable: c'est la tour Fabri, ainsi appelée du nom de l'abbé, neveu du pape Clément VI, qui la fit construire en 1347. Son front ceint d'une couronne de machicoulis très-bien conservés, ses meurtrières en forme de croix, ses étages voûtés, lui donnent un aspect sévère et imposant. M. Ochier en a fait un petit sanctuaire, où il a réuni des gravures représentant différentes vues de l'abbaye, un plan en relief de l'église et quelques boiseries, tristes reliques échappées aux barbares.

Tout, dans cette abbaye, offre quelque chose de grandiose et de majestueux. Si du logement de l'abbé on passe à celui des moines, on voit une magnifique façade, dont l'architecture ogivale accuse le XIV. siècle. Nous ne savons à quel usage était destiné ce monument, qui porte encore aujourd'hui le nom de Palais du pape Gélase. Il est appuyé contre de vastes constructions, qui, à l'exception de quelques salles voûtées de la même époque que la façade, ne datent que du siècle dernier. Elles renfermaient autrefois les logements des moines;

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FRAGMENT DU BATIMENT APPELÉ PALAIS DU PAPE GELASE, A CLUNY.

E. Sagot del.

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depuis, on y a établi la mairie, le collége, des écoles communales, des salles d'asile, etc.; de vastes cloîtres, de longues galeries conduisent à d'immenses jardins qui produisaient des légumes et des fruits à la nombreuse population du monastère; on y voit encore les viviers où il suffisait de jeter le filet pour obtenir une pêche abondante; de belles et longues avenues d'arbres séculaires offraient un agréable délassement aux travaux sérieux. Nous ne pouvions nous défendre d'une sorte de respect, en regardant un vieux tilleul encore plus âgé que les autres, dont le tronc gros et court se divise en nombreux rameaux, et répand au loin un ombrage frais et impénétrable.

Il nous semblait voir un pieux bénédictin assis solitairement à l'écart sur l'un des bancs de pierre qui l'entourait. et refléchissant profondément dans le recueillement et le silence à la composition de l'un de ces ouvrages gigantesques que nous admirons aujourd'hui, et nous nous plaisions à songer avec envie aux longues heures d'étude et de calme que ces hommes heureux avaient pu passer dans un si beau séjour, loin du tumulte et des chagrins du monde.

La partie la plus intéressante de ce monastère, en tout si remarquable, était l'église qui surpassait tout ce que nous avons aujourd'hui de plus majestueux. Après avoir franchi la porte à double baie dont nous avons parlé, on entrait dans une enceinte où se trouvait un large escalier de 32 marches, qui conduisait à une immense basilique, dont la longueur approchait de 200 mètres. Un vaste narthex en précédait l'entrée; à l'intérieur se développerrt cinq nefs et deux transepts de grandeur différente, sur l'extrémité de chaque bras desquels était une tour; une cinquième occupait la partie centrale et deux autres ornaient l'entrée du narthex; cinq vastes chapelles rayonnaient autour du chœur. Les fondations en furent jetées en 1088; Urbain II put déjà en faire la con

sécration en 1099, et 25 années suffirent pour achever complètement ce colossal et magnifique chef-d'œuvre. Mais sa beauté, la célébrité qui l'environna rapidement et s'étendit dans toutes les parties du monde, ne purent le sauver du désastre. En 1793, on brûla les boiseries, les statues, les tableaux, les livres; on brisa les vitraux. Quelques années plus tard commença la démolition des murailles, et l'on ne s'arrêta qu'au moment où il n'y avait presque plus rien à détruire. En 1810, il était encore possible de conserver une partie fort intéressante de l'abside, ornée de colonnes de marbre venu à grands frais d'Italie et qui pouvait donner une idée de la magnificence qui avait présidé à l'ornementation de l'édifice; une année plus tard elle fut impitoyablement sacrifiée pour faire place aux écuries d'un haras (1)!

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Aujourd'hui le géant est réduit à l'état de cadavre et l'immensité de ses ruines fait encore plus ressentir son état d'anéantissement. A l'extérieur, on ne voit plus qu'une seule des chapelles primitives qui ornaient l'abside. Sa forme est arrondie; elle est décorée de colonnes et chapiteaux romans et surmontée par l'extrémité des transepts que domine à son tour le seul clocler qui subsiste encore. Il se compose de deux étages d'arcades à plein-cintre, dont les archivoltes ornées de billettes et de zigzags, reposent sur des colonnettes à chapiteaux romans ou sur des pilastres cannelés, curieux spécimen de l'architecture du XI. siècle, à l'aspect sévère et imposant.

A l'intérieur même désolation, mêmes ruines; on a de la peine à se rendre compte de la disposition et de l'immensité de l'ensemble. On ne voit plus que le bras sud du grand transept, qui, à lui seul, paraît toute une église; une portion du petit transept du même côté, la chapelle primitive, dont

(1) Nous devons ces détails à l'obligeance de M. Ochier.

nous avons parlé, à l'extérieur et une autre chapelle de la fin du XVe siècle, refaite sans doute, au moment où l'on voulait placer le tombeau de Jacques d'Amboise, évêque de Clermont, abbé de Cluny. La hauteur de la voûte de ce transept, qui s'élève à 100 pieds au-dessus du sol, la hardiesse des colonnes, la richesse des chapiteaux, les pilastres cannelés qui rappellent la grandeur romaine, font juger, par un modeste débris, quelle était la richesse et l'immensité de cette basilique. L'œil s'égare dans de sombres cavités, et l'on retrouve à peine sa route dans ces vastes ruines. Qu'elles devaient être belles, dans cette imposante enceinte, les cérémonies religieuses, lorsqu'à certaines époques on vit réunis à la fois jusqu'à trois cents abbés la mitre sur la tête, la crosse à la main, et que les voix retentissantes de tout le monastère faisaient vibrer les louanges du Seigneur dans les profondeurs de ces voûtes sacrées !

Du plus petit des deux transepts, dont nous venons de parler, on pouvait aller gagner le logement des moines, en passant par une fort jolie chapelle, qui surgit comme une perle au milieu de ces ruines. Le cardinal de Bourbon, alors abbé, l'avait fait construire, pour son usage personnel, avec un soin remarquable. On voit aux clefs de voûte ses armes et celles de Cluny, et, dans le pourtour, la représentation des principaux prophètes, qui servaient de consoles à des statues qui ont disparu. On a réuni dans ce lieu divers fragments curieux, précieux débris arrachés aux ruines de l'église. Nous avons remarqué plusieurs chapiteaux fouillés plus profondément qu'ils ne le sont ordinairement à cette époque, et représentant le péché du premier homme, le sacrifice d'Abraham; des feuillages gracieusement contournés, des colonnes richement sculptées; une femme à cheval sur un animal fantastique, tandis que des serpents lui dévorent les seins, terrible symbole de la luxure. Sur une belle frise tirée d'une des maisons

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