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la meilleure de ses productions. Ainsi, par une fatalité déplorable, son plus beau titre de gloire peut-être est enseveli dans l'oubli.

Une courte maladie enleva Jumelin à sa femme, à sa famille et à ses amis, à l'âge de 62 ans. Il mourut le 25 septembre 1807, à Visigneux, près de Soissons, où il s'était retiré pour passer ses vacances. Il laissa la réputation d'un savant éminent, d'un professeur distingué et d'un homme de bien.

VÉRUSMOR.

FRANÇOIS-LOUIS DELAUNAY (1).

François-Louis Delaunay naquit à Avranches, lé 23 avril 1792. Son père, artisan aisé, laborieux et prudent, reconnut bientôt en lui une intelligence précoce, et voulut lui assurer les plus belles chances d'avenir qui dépendissent de lui, en lui procurant une instruction étendue. Je ne suivrai pas ici le jeune Delaunay dans les solides et brillantes études qu'il commença, dès 1802, à l'Ecole centrale, et qu'il continua dans l'Ecole secondaire, puis le Collége qui succédèrent à celle-ci. Je me bornerai à dire qu'il s'y était assez distingné, pour qu'en sortant des bancs, et n'étant âgé que de 18 ans à peine, il fut immédiatement attaché comme maître d'études au collége, par le chef si remarquable qui le dirigeait alors, l'abbé Gilbert; que bientôt chargé en même temps d'une classe élémentaire, employé comme maitre dans un établissement particulier de Paris; revenu à Avranches comme répétiteur des lettres et des sciences, l'infatigable puissance de travail et l'aptitude qu'il déploya dans ces fonctions, firent promptement désirer de voir le collége en profiter de nouveau; qu'il y rentra effectivement, en 1816, par l'une des classes de grammaire, et qu'il parcourut successivement celles-ci, pendant dix ans. J'ajouterai seulement qu'il s'acquitta de cet enseignement avec un zèle véritable. Instruction large et approfondie. lucidité parfaite, méthode sûre; telles étaient les qualités spéciales qu'il développa dans cette chaire. Mais, en 1826, le départ de celui qui occupait la seule chaire de sciences

(1) Nous empruntons cette biographie au discours prononcé, sur la tombe de M. Delaunay, le 5 février 1859. M. Delaunay était mort le 3, à Avranches. Ses obsèques eurent lieu à Saint-Saturnin.

mathématiques, physiques et naturelles, qui existât alors au collége, ouvrit à Delaunay une voie nouvelle.

Chargé, à son tour, de cet enseignement, il se livra avec ardeur à de fortes études sur ces sciences, qu'il possédait déjà, et les résultats répondirent à ses efforts. J'en atteste les succès de ses nombreux élèves, dont plusieurs sont, aujourd'hui, des maîtres très-appréciés, et le titre de bachelier ès sciences mathématiques, alors peu commun, qu'il conquit bientôt. . Une nouvelle occasion de montrer sa capacité, dans un autre genre, ne tarda pas à se présenter. En 1830, un scrupule respectable décida les fonctionnaires ecclésiastiques du collége à renoncer à leurs titres, plutôt que de rien faire qui leur parût blesser leur conscience. L'Administration eut à remplacer, non seulement plusieurs professeurs expérimentés, mais aussi l'excellent Principal, que son talent et son caractère faisaient également regretter. Delaunay fut choisi pour adoucir ces regrets. Malgré les difficultés de sa position, comme Principal laïque, ce qui ne s'était pas vu chez nous de temps immémorial, et comme porté à ces fonctions par des événements politiques qui n'avaient pas l'assentiment de tous, il sut déployer une adresse, une réserve, une activité telles qu'en restant un professeur éprouvé, il sut se faire connaître, en même temps, pour un habile administrateur. Pendant les dix ans qu'il dirigea le collége, il lui conserva et consolida sa belle réputation. Elèves, Professeurs, Administration supérieure, tous lui rendirent justice, et le titre d'Officier de l'Université, qui lui fut conféré, en est le témoignage. Et même, après que le désir de satisfaire à des idées qu'il savait régner autour de lui, et des droits bien acquis à une honorable retraite, lui eurent fait demander et obtenir d'y être admis, l'Administration n'oubiia pas ses bons services, et, près de dix ans plus tard, un de ses successeurs eut le plaisir de lui transmettre, de la part du Ministre, comme souvenir mérité, le titre de Principal honoraire.

Vous savez tous que cette retraite ne fut point pour Delaunay un temps de repos et d'inaction. Sa capacité et son zèle pour le bien public étaient trop connus, pour qu'on ne leur fit pas de fréquents appels, et qu'il refusat d'y répondre.

Au Comité local d'instruction primaire, dont il était secrétaire, et parmi les Délégués cantonaux de la nouvelle organisation, il n'a cessé d'apporter une connaissance des règlements et des affaires, une lucidité d'exposition, qui entraînaient, presque toujours, l'assentiment de ses collègues.

Les mêmes qualités le faisaient écouter, avec une grande faveur, dans le Conseil municipal d'une commune voisine, dans la Commission de statistique, dans les sessions qu'a tenues, à Avranches, l'Association Normande; dans les réunions de la Caisse d'épargnes, dont il était l'un des plus anciens administrateurs.

La Société d'Agriculture perd, en lui, un trésorier, que son ordre dans la comptabilité et sa vigilance pour les intérêts de la Caisse distinguaient entre tous.

Les mêmes fonctions, dans notre cercle d'amis ou Société littéraire, étaient remplies par lui, depuis longues années avec un zèle, une habileté, un dévoùment et un succès pour lesquels des réélections presque unanimes n'étaient qu'un faible signe de gratitude, et qui nous laissent, à tous, de profonds regrets.

Notre Société d'Archéologie, des Lettres, Sciences et Arts, l'avait, depuis long-temps, nommé l'un des conservateurs de ses collections d'histoire naturelle. Ç'avait été, pour lui, un motif déterminant, pour se livrer à une étude de plus en plus sérieuse des diverses branches de cette science, et de se mettre ainsi en état de s'acquitter de ces fonctions avec la la conscience qui le dirigeait partout.

Comment exprimer l'étendue de la perte que fait en lui notre Cercle horticole ? Cet utile établissement, de spécialité et d'avenir pour Avranches, la ville des fleurs et des fruits, comptait, dès sa première organisation, notre collègue pour un de ses membres les plus zélés et les plus compétents. Mais, lorsque cette Société prit, il y a quelques années, une nouvelle et plus grande importance, Delaunay s'y distingua, d'abord comme secrétaire, par une étude attentive de toutes les questions de théorie et de pratique, et par une rédaction savante de procès-verbaux, dont il sut faire un véritable cours de culture et de taille des arbres. Plus tard, comme Président, il s'est fait un devoir de dominer, encore plus complétement, toutes les questions qui se présentaient; et notre jardin d'expériences était devenu pour lui une nouvelle chaire, où tous l'écoutaient, avec plaisir et profit, discuter comme un maître, et le voyaient opérer comme un praticien exercé. Justesse d'idées, netteté dans leur exposition, habileté à ménager les amours-propres, comme à encourager les capacités modestes, rien ne manquait à notre Président, dont la mort laisse un vide bien difficile à remplir.

Véritable fils de ses œuvres, ayant presque tout appris par lui-même, et n'ayant pu profiter que très-peu des ressources que présentent les grands centres, Delaunay n'en possédait pas moins des connaissances très-sûres et très-étendues. Il voulait savoir tout ce qu'il trouvait quelque occasion d'apprendre. Il connaissait l'italien; l'hébreu même ne lui était pas entièrement étranger; il possédait à fond la langue anglaise. La musique ne lui refusa point ses délassements: il savait l'exécuter lui-même, la goûter et l'applaudir chez les autres. Quant à ses relations sociales, où trouver plus de finesse d'esprit, plus de sagacité d'appréciation, d'à-propos dans les réparties, d'habileté dans les discussions ou dans la conduite

des affaires épineuses, de dévoûment adroit pour tous ceux qu'il aimait, de retenue dans la plaisanterie, de gaîté et de sel dans la conversation?

Au sein de la famille, jamais on ne vit fils plus respectueux et plus dévoué qu'il ne le fut pour ses parents. Uni à une compagne, que distinguent, à la fois, le cœur, l'esprit et le goût des arts, il l'aimait autant qu'elle en est digne; il en était justement fier, et saisissait, avec bonheur, toutes les occasions de faire juger l'étendue de son mérite. Il voulut être le premier et long-temps le seul professeur de deux fils, dignes de lui, auxquels est enlevée beaucoup trop vite, hélas ! la direction intelligente et dévouée dont ils avaient encore besoin. Heureusement, il leur laisse son exemple à suivre et la tendresse éclai rée d'une mère, dont nous devons espérer que l'intérêt de ses enfants, fortifié par leur affection et par la puissance du sentiment religieux, soutiendra le courage. Puissent nos regrets unanimes et profondément sentis leur apporter quelques consolations dans cette cruelle épreuve !

LAISNÉ.

MÉDÉRIC TRICOT.

C'est malheureusement notre compatriote M. Médéric Tricot, capitaine au 2e régiment d'infanterie de marine, qui a été tué dans une expédition contre les indigènes de la NouvelleCalédonie, le 2 septembre dernier, mort qu'ont annoncée les journaux de Sidney et une correspondance du Moniteur; l'amiral Ministre de la marine vient de confirmer cette triste nouvelle, par une lettre adressée au frère du défunt à Cherbourg.

M. Tricot (Marc-Médéric), né à Cherbourg, le 25 avril 1815, entra comme engagé volontaire, le 23 mai 1834, au 40o régiment de ligne, qu'il quitta, avec le grade de sergent-major, pour passer dans le 1er régiment d'infanterie de marine, où il fut nommé sous-lieutenant, le 3.janvier 1843.

Il fit dans les mers du Sud les campagnes de 1845, 1846, 1847, 1848 et 1849. Le 20 mars 1846, il débusqua l'ennemi des hauteurs qu'il occupait à l'attaque de Papaete. Le 30 mai suivant, il se maintint à Punaroo, avec quelques hommes, dans une position extrêmement critique en avant de la colonne. Promu lieutenant, le 3 mai 1846, il ne tarda pas à se distin

guer dans ce nouveau grade. Le 2 octobre de la même année, à la tête de 25 hommes, il conduisit, avec habileté et énergie, une expédition dans laquelle il fit 52 prisonniers.

Le 17 décembre suivant, il fut cité dans le rapport de l'expédition de Fatahua, où une balle traversa son épaulette. Mis pour sa belle conduite à l'ordre du jour, par l'amiral-gouverneur Bruat, le 7 janvier 1847, M. Tricot fut nommé chevalier de la Légion-d'Honneur, le 3 juillet de la même année.

La bravoure était une de ses qualités naturelles, et à l'oc-` casion, il poussait le dévoùment jusqu'à l'héroïsme. En juin 1849, effectuant son retour en France à bord du trois-mâts l'Arche-d'Alliance, commandé par M. le capitaine de frégate Marceau, et ce navire s'étant échoué sur la côte d'Afrique par une violente tempête, M. Tricot se rendit à terre, au péril de sa vie, pour réclamer les secours qui sauvèrent le bâti

ment.

Cet officier retourna bientôt en Océanie, et fit dans ces lointains parages les campagnes de 1851, 1852, 1853, 1854 et 4855, sous des climats souvent insalubres et toujours dévorés par les feux brûlants du tropique.

Nommé au choix capitaine en 1854, et appelé en 1856 au commandement des trois compagnies de son arme stationnées à Taïti, il fut désigné pour commander l'infanterie de marine à la Nouvelle-Calédonie, et partit pour cette destination, le 23 mai 1859.

C'est sur cette grande ile océanique, à 9,000 lieues de la France, qu'il a été tué, à la tête de ses troupes, le 2 septembre dernier, dans un combat contre la puissante tribu des Hyenguènes, en faisant des prodiges de valeur, pour repousser les masses qui le débordaient et menaçaient de l'envelopper.

M. Tricot allait prendre sa retraite, sa résolution à cet égard était bien arrêtée; mais l'honneur, dont la voix était sacrée pour lui, lui a commandé de marcher encore une fois à l'ennemi, avant de quitter le service, et une balle ennemie est venue le frapper! Sa fin a été digne de sa vie militaire: il est mort en brave, succombant sur le champ de bataille, en un jour de victoire !

Ainsi, c'est au moment où il avait payé son tribut à la patrie, par 25 ans de bons et loyaux services, et qu'il allait revenir au pays pour jouir du repos, au sein de sa famille, qu'il a terminé sa noble existence, loin de la France, loin de sa mère et de ses frères, qu'il ne devait plus revoir !!!

M. Tricot était un excellent homme; cœur noble et caractère loyal, ses supérieurs l'estimaient, ses camarades l'aimaient. Sa mort a produit une douloureuse impression dans Cherbourg, où sa mémoire est chérie de tous ceux qui l'ont

connu.

VÉRUSMOR..

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