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ordres, devint évêque de Coutances, et légua toute sa fortune à l'église. Son souvenir fut, parmi ses compatriotes, une tradition de famille qui se perpétua de siècle en siècle, et son nom était environné d'un respect tel qu'il finit enfin par l'emporter sur celui de Sainte-Croix (1).

En 890, les Normands s'emparèrent de la ville et de la forteresse, et en firent un monceau de ruines. Certaines cités furent plus long-temps que d'autres à se guérir des maux que leur avaient fait souffrir ces fâcheuses invasions. Sainte-Croix (Saint-Lo) fut du nombre. Un siècle s'écoula avant qu'on eût fait aucun effort pour relever ses murailles. Toutes les villes de cette province de Neustrie avaient été si horriblement maltraitées, qu'après la conquête normande les évêques de Coutances résidèrent tantôt à Rouen, tantôt à Bayeux, jusqu'à ce que l'évêque Robert, pour se mettre plus à portée de s'acquitter de la mission qui lui était confiée, établit, en 1025, sa résidence à Sainte-Croix (Saint-Lo). Il entreprit la restauration de la ville et la reconstruction de ses murailles; il commença aussi l'érection d'une cathédrale à la même place qu'occupait anciennement la chapelle de la forteresse. Ce monument fut dans la suite remplacé par une construction nouvelle, que l'on revêtit des caractères du style en pointe, et dont la consécration eut lieu en 1202 : c'est la cathédrale actuelle, qui a subi dans le cours des siècles un grand nombre de changements. Ses dimensions spacieuses, ses deux belles tours terminées en pyramides méritent de fixer l'attention. La nef et l'une des tours révèlent un style d'architecture pareil à celui qui était pratiqué sous le roi Edouard Ier. L'autre tour fut ajoutée ou achevée en 1464, et c'est aussi à cette époque que fut terminé le grand portail tel qu'il existe aujourd'hui. Bien qu'il y ait des rapports frappants de ressemblance entre l'architecture des églises françaises et celle des églises anglaises contemporaines, on rencontre cependant dans les détails une énorme différence en France, il y a dans les moulures moins de hardiesse et de projection, et, dans les ornements, une tendance plus suivie à se rapprocher des dessins romains.

En se plaçant sur le penchant de l'éminence où s'élève la cathédrale, la vue plane sur le vallon et la rivière, et s'y arrête avec satisfaction.

Après avoir visité la cathédrale, nous nous rendimes à l'église Sainte-Croix; nous eûmes une distance assez considérable à franchir, car elle est située à l'extrémité opposée de la ville. Le couvent a cédé devant le torrent des siècles, mais

(1) Saint-Lo ne s'appelait point Sainte-Croix, mais Briovère. (Note du Traducteur.)

l'église a victorieusement résisté. Les antiquaires français seraient tentés de la regarder comme l'œuvre de Charlemagne.

Il existe aujourd'hui en France un désir inquiet qui met en mouvement les archéologues, désir qui ne tend à rien moins qu'à constater dans cette contrée l'existence de quelque monument carlovingien; et il serait, il faut en convenir, assez surprenant que, dans un pays où ce grand restaurateur d'églises a laissé tant de traces de son beau zèle, il ne restât rien aujourd'hui que l'on pût avec certitude rapporter à son siècle. Toutefois ce n'est pas encore l'église de SainteCroix qui doit venir combler les vœux des antiquaires : elle est empreinte évidemment d'un caractère de grande antiquité; mais son architecture correspond si bien à l'architecture du XIe siècle, et si peu à celle du petit nombre de monuments du vie, que nous offrent d'autres pays, que l'édifice luimême nous interdit de supposer qu'il ait pu échapper au vandalisme normand. Quand il est de notoriété évidente que l'église de Charlemagne était située hors des murs de la ville; quand des documents authentiques viennent nous démontrer que la rage des Normands, voués alors au culte des faux dieux, se tourna principalement contre les temples chrétiens; quand enfin il est impossible d'élever aucun doute sur la destruction de la forteresse et de la ville entière, pourrions-nous croire qu'une église, sans moyen de tromper les yeux des dévastateurs, sans aucune ressource pour se défendre, se fût seule sauvée? Ne devons-nous pas plutôt penser qu'elle est sortie de ses cendres, en même temps que la ville et la cathédrale, dans la première moitié du XIe siècle?

L'église présente quelques traits particuliers. Ses dimensions n'ont rien de vaste. Les arcades circulaires qui bordent la nef ne reposent pas sur des piliers, mais sur des colonnes surmontées de chapiteaux à feuillage, imitation grossière des chapiteaux romains. Il n'y a pas identité parfaite entre les deux côtés de la nef. Celui du Sud est beaucoup plus uni que l'autre ; sa corniche consiste dans une série de simples pierres, au lieu que celle du côté du Nord se compose d'une décoration normande soigneusement travaillée. De pareilles différences sont communes, et la seule chose qu'elles prouvent, c'est que l'édifice n'a pas été construit d'un seul jet.

La porte occidentale est grossièrement ornée d'un groupe de figures grotesques en haut relief, qui représentent la soumission de l'Esprit du mal.

On aperçoit sous le toit une corniche composée d'une série de têtes monstrueuses.

Dans une autre partie de la ville se trouve un édifice dont on a fait une halle au blé, et qui, avant la révolution, était une église sous l'invocation de Saint-Thomas de Cantorbéry. La première église fut achevée en 1174. On y travaillait

lorsque Thomas Becket, après avoir soulevé contre lui la colère de Henri, passa sur le continent et traversa Saint-Lo. On était en ce moment divisé sur le point de savoir à quel saint on dédierait la nouvelle église. L'illustre fugitif fut consulté, et voici quelle fut sa réponse : « Que l'église soit vouée au • premier saint qui versera son sang pour la foi catholique. » La Providence lui réservait à lui-même cette honorable dédicace. Il fut assassiné en 1171, et canonisé deux ans après. L'église fut démolie en 1571, et rebâtie, telle qu'elle est aujourd'hui, en 1630.

La ville de Saint-Lo consiste en plusieurs groupes séparés. D'un côté, elle s'étend jusque sur la rive opposée du ravin. Vers le centre, on rencontre une nouvelle préfecture et un palais de justice dans un état d'isolement complet.

Nous quittâmes Saint-Lo pour faire une excursion au village de Cerisy. C'est là qu'existait autrefois une des abbayes les plus importantes de Normandie. L'église du couvent est encore debout, et l'on en a fait l'église paroissiale du lieu : c'est un exemple fort intéressant de l'architecture sévère, mais grandiose des anciens Normands. Elle offre tant de ressemblance avec la partie antique de l'église Saint-Etienne de Caen, qu'on pourrait presque employer les mêmes termes pour la décrire. On y voit une nef avec des ailes latérales, des transepts, un chancel semi-circulaire et une tour centrale. Les arcades de la nef reposent sur des piliers et des demicolonnes. Au-dessus d'elles se voit un triforium remarquable par sa profondeur. Les chapiteaux des piliers sont ornés d'un feuillage entremêlé de figures d'animaux et de petites têtes. Toute espèce d'ornement est bannie des autres parties de l'édifice.

Les transepts sont séparés de la nef, comme à SaintEtienne et à Saint-Georges-de-Boscherville. Le chancel est resté tel qu'il était dans l'origine; des colonnes en décorent l'intérieur; les fenêtres sont flanquées de demi-colonnes. La nef de l'église de Cerisy ne se couvrit jamais d'une voûte en pierre elle est encore aujourd'hui surmontée d'un toit en bois; et c'est là un fait digne de remarque, parce qu'il rend encore plus probable la non-contemporanéité de la voûte en pierre de Saint-Etienne de Caen et de ses murailles.

L'abbaye de Cerisy fut fondée en 1030 par Robert, duc de Normandie. Son départ pour la Terre-Sainte, où il périt, le força d'interrompre son ouvrage, et l'église resta inachevée. C'est Guillaume le Conquérant, son fils, qui la compléta.

La façade est moderne, et la longueur de la nef a été réduite. Cette partie du monument subit d'importantes modifications dans le courant du xive siècle, à l'époque où les moines bâtirent, en tête de la première église, un second

édifice qui devait servir d'église paroissiale. En 1812, celle-ci souffrit beaucoup du feu du ciel, et elle fut renversée l'année suivante (1).

GALLY-KNIGHT.

(1) On trouve un article de 14 pages sur l'abbaye de Cerisy, dans les Recherches sur les abbayes du département de la Manche, par M. de Gerville, insérées au deuxième volume des Mémoires de la Société des Antiquaires de Normandie, 1825.

FRANÇOIS Ier A SAINT-LO.

Le roi François Ier visita la contrée qui forme aujourd'hui le département de la Manche, dans les derniers quinze jours du mois d'avril 1532 et dans les premiers jours du mois de mai suivant. Après avoir séjourné une dizaine de jours à Caen, où lui avait été faite une pompeuse réception dont les détails nous ont été conservés par le bon et naïf M. de Bras(1); après avoir passé deux jours à Bayeux (2), ce monarque arriva le 15 avril à Saint-Lo, où il demeura deux jours le 19, il était à Hambye; le 21, il arrivait à Coutances; deux jours plus tard il se dirigeait vers l'extrémité de notre presqu'ile, visitant les villes, bourgs et châteaux qui se trouvaient sur son passage, y séjournant même (3); le 28 avril, il faisait son entrée à Cherbourg; deux ou trois jours après, il reprenait

(1) M. de Bras, Recherches et Antiquitez de la Neustrie, 2 partie, pag. 154 et suiv., éd. de 1833.

(2) M. Pezet, Etudes sur l'administration de la justice et l'organisation judiciaire en Basse-Normandie, avant la suppression des anciens tribunaux en 1790, dans les Mémoires de la Société des Belles-Lettres de Bayeux, tom. 111, pag. 196.

(3) François I visita, entre autres lieux, Saint-Vaast-la-Hougue; cela nous paraft incontestable. D'abord, Toustain de Billy (Mémoire historique sur la ville de Saint-Lo, pag. 66 et 67) rapporte que « sur le chemin de » Valognes à la Hogue, en une paroisse nommée Huberville, il y a une mai» son appartenant au seigneur d'Aumeville, du nom de Vautier, sous le » larmier de laquelle on voyoit, il y a quelque temps, gravé sur la chaux ce >> distique :

» L'an mil cinq cens et trente trois

>> Par cy passa le roy François. >>

Le besoin de la rime a sans doute fait changer le chiffre de l'année; mais

le chemin de Coutances, où il était de retour le 3 mai (1), et d'où il ne tardait pas à repartir pour aller en Bretagne, but principal de son voyage.

François Ier, nous dit Toustain de Billy (2), « fut reçu à » Saint-Lo avec toute la joie et toute la magnificence dont les » habitants étoient capables; ce qui se passa en cette récep» tion est contenu bien au long dans un registre de la Maisonde-Ville; il y a des particularités très-curieuses. Je n'ai pu » le voir; je dis seulement ce que j'en ai entendu, parce que ce registre est présentement entre les mains du bonhomme » M. de Martigny-Le Mennicier, un des lieutenant-généraux » de cette ville, de qui il n'est pas possible de l'arracher, ne sa» chant pas lui-même en quel lieu de son cabinet il l'a serré. »

"

M. de Martigny mourut (3) sans avoir rendu le registre de la Maison-de-Ville; après sa mort, on le chercha inutilement dans ses papiers Toustain de Billy ne put satisfaire sa légitime curiosité; il ne paraît même avoir connu aucuns documents relatifs aux faits qu'il se proposait de vérifier dans le précieux registre. Cependant il en existait alors au moins un oublié sans doute, depuis des années, parmi les papiers de quelque ancienne famille de la ville, ce document unique renfermait précisément le récit de l'Entrée du roi François Ier à Saint-Lo, rédigé en forme de procès-verbal, au moment même de l'événement.

Nous donnons ce récit d'après une copie faite il y a quelque cent ans; et qui, quoique dénuée des caractères rigoureux de l'authenticité, nous paraît toutefois reproduire assez fidèle

il est évident que l'auteur du distique avait plutôt en vue de conserver le souvenir du passage du Roi dans la localité, que de fixer l'époque précise où il avait eu lieu. D'un autre côté, Jacques de Cahaignes, docteur en médecine de la faculté de Caen, nous apprend, dans la traduction du livre intitulé: Juliani Palmarii de Vino et Pomaceo libri duo (Paris, 1588, in-8°), liv. 11, chap. VIII, que « à Morsalines, près la Hogue en Costentin, il y a une >> espèce de pommes qu'ils appellent d'Espice, desquelles on fait sidre si excellent qu'il est par dessus les autres. Le feu grand Roy François, passant par là en l'an mil cinq cens trente deux en fist porter en barreaux àȧ » sa suite, dont il usa tant qu'il put durer. » (Julien de Paulmier, biogra phie par M. Vict. Evr. Pillet, dans les Mémoires de la Société des BellesLettres de Bayeux, tom. IV, pag. 281).

(1) Manuscrit de M. de Mons, cité par M. Quenault, Recherches archéologiques, historiques et statistiques sur la ville de Coutances, 2e édition, pag. 27.

(2) Mémoire historique sur la ville de Saint-Lo, pag. 66.

(3) Charles Le Mennicier, écuyer, sieur de Martigny, lieutenant-général civil et criminel au bailliage de Saint-Lo, fut inhumé en l'église de N. D. du lieu, le 9 janvier 1705.- Toustain de Billy avait terminé son Mémoire historique sur la ville de Saint-Lo vers la fin de l'année précédente; il l'adressait à l'Intendant Foucault, le 11 janvier 1705, mais, dit-il, dans sa lettre d'envoi, « ce paquet étoit prêt il y a huit jours. »

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